Films, produits dérivés ou parcs d’attractions: le très conservateur Nintendo, pionnier japonais du jeu vidéo, a longtemps cantonné ses stars de Mario ou Zelda aux consoles, mais opère depuis quelques années un lent virage stratégique pour toucher un public plus large. “Il y a une limite au nombre de personnes dans le monde qu’une console de jeux peut atteindre” Shigeru Miyamoto, le créateur de Mario, l’a admis en juin lors d’une assemblée des actionnaires de Nintendo.
La présentation, mardi 12 novembre 2024, d’un nouvel univers dédié au gorille Donkey Kong au parc Universal Studios d’Osaka (ouest du Japon) qui ouvrira le 11 décembre, en plus des zones Nintendo aux Etats-Unis, fait suite à la ouverture d’un musée sur l’histoire de l’entreprise le mois dernier au Japon.
Nintendo a également envahi les cinémas avec Super Mario Bros., sur le podium du box-office mondial en 2023, dont une suite est en préparation pour 2026. Un film Zelda a également été annoncé. « Depuis dix ans, il y a vraiment eu un virage à 180 degrés » dans la stratégie du constructeur, « plutôt bénéfique », juge Florent Gorges, éditeur et auteur d’ouvrages sur l’histoire de Nintendo.
Selon lui, la réticence historique de Nintendo à exploiter ses licences s’expliquait en partie par la “conservatisme” de l’entreprise basée dans l’ancienne capitale de Kyoto, « relativement hermétique ». “Il y avait cette culture du secret poussée à l’extrême chez Nintendo, très fébrile face aux nouveautés.”
Par ailleurs, l’ancien président Hiroshi Yamauchi, qui a dirigé l’entreprise pendant plus d’un demi-siècle (1949-2002), “Je détestais les mascottes, pour une raison quelconque.” Nintendo a également, selon Florent Gorges, été « considérablement échauffé au début des années 1990 après avoir cédé sa licence Mario à Hollywood », pour un film qui était presque unanimement contre lui.
Les prémices de son virage stratégique remontent au début des années 2000, lorsque la firme se remet en question après les ventes décevantes de deux de ses consoles, la Nintendo 64 et la GameCube. Le président de Nintendo de l’époque, Satoru Iwata, avait alors annoncé un plan d’action : il fallait « élargir la population de joueurs » en transmettant le virus du jeu vidéo à des individus n’ayant jamais détenu de manette.
Les deux consoles suivantes, taillées sur mesure pour intéresser les non-joueurs, comptent parmi les plus grands succès commerciaux de Nintendo : la DS, machine portable à deux écrans, et la Wii, contrôlée à l’aide d’une télécommande, se sont vendues chacune à plus de 100 millions d’exemplaires.
Après l’échec commercial des consoles suivantes, la 3DS et surtout la Wii U, Satoru Iwata a modifié sa stratégie : il s’agira désormais de mieux faire connaître les personnages de la marque au monde entier, au-delà de leurs aventures vidéoludiques.
Nintendo, qui jusqu’alors n’avait pas « le savoir-faire des produits physiques », commence à « vendre des peluches et des friandises, permettant à ses personnages d’être présents dans le quotidien des consommateurs », souligne Hideki Yasuda, analyste chez Toyo Securities. “On a vu les produits Nintendo affluer dans les supermarchés, alors qu’avant, il fallait se lever tôt pour trouver des goodies”, glisse Florent Gorges.
En essayant de “placeur” ses héros dans des produits et des productions tous azimuts, Nintendo se considère désormais comme un véritable “agence de talents” pour ses personnages, a souligné Shigeru Miyamoto dans plusieurs interviews.
Parfois comparé à Disney, Nintendo a cependant un modèle distinct du géant américain, qui multiplie les acquisitions de franchises pour les développer en interne, explique l’analyste Kensaku Namera de Nomura Securities. Nippon, d’une part, reste avant tout une société de jeux, dont les ventes de consoles et de jeux Switch représentent plus de 90 % du chiffre d’affaires.
Et pour les autres médias, c’est «se concentre sur ce qu’il peut faire lui-même » et collabore avec d’autres acteurs, tels que Universal Studios pour les attractions de Mario, ainsi qu’avec des studios et réalisateurs externes pour les films.
Nintendo préfèrerait s’inspirer d’une autre franchise japonaise au succès mondial, née d’un jeu vidéo : “Pokémon”, une licence dont il a géré les droits pendant un temps et qui “a vraiment poussé Nintendo à exploiter davantage ses franchises”, dit Kensaku Namera.
“Beaucoup d’enfants adorent Pikachu et achètent des peluches même s’ils ne jouent pas aux jeux vidéo”ajoute-t-il. DONC, “les exposer à des personnages comme Mario ou Yoshi servira peut-être de déclic” pour les attirer vers les consoles.