La science-fiction offre enfin des avenirs souhaitables

La science-fiction offre enfin des avenirs souhaitables
La science-fiction offre enfin des avenirs souhaitables

Un autre monde est possible… Oui, mais à quoi ça ressemble ? Inventer des futurs heureux sans pétrole, concevoir un avenir post-effondrement désirable : la tâche semble ardue, tant les temps nous ont plongés dans l’apathie. “ Les gens ont peur, ils n’imaginent plus l’avenir »note l’écrivain Catherine Dufour.

“ Il n’y a pas d’alternative » (“ Il n’y a pas d’alternative »), a affirmé Margaret Thatcher, Premier ministre du Royaume-Uni. Depuis quarante ans, le fatalisme semble s’être insidieusement répandu dans nos esprits. Pire encore, cela nous paralyse. “ La résignation présentée comme la seule position réaliste face à un présent trop complexe est une arme au service du maintien de l’ordre. »a rappelé la journaliste Évelyne Pieiller dans un article du Monde diplomatique.

Cependant, face à la crise écologique, un nouveau slogan commence à se répandre : “ Nous devons dégager l’avenirinsiste Catherine Dufour. Rouvrez les possibilités, redémarrez nos neurones d’optimisme. » Et pour l’auteur, sans aucun doute : “ La science-fiction (SF) a un rôle essentiel à jouer pour offrir des pistes d’espoir collectif. »

Longtemps associé au catastrophisme, le genre littéraire connaît ainsi “ un renouveau des utopies vertes », selon l’auteur Ugo Bellagamba. Renouvellement ? Aux origines de la science-fiction, “ les utopies de XVIe siècle portait déjà l’idée d’un avenir conditionné au respect de la naturesouligne-t-il. La question écologique a donc, d’une certaine manière, toujours été présente ».

Autogestion, femmes au pouvoir, sobriété…

L’après-guerre, à contre-courant d’un flot de dystopies – notamment Soleil vert, publié en 1966 – quelques écrivains dessinaient déjà des voies alternatives. En 1974, Ursula Le Guin expose, en Les dépossédés, un monde anarchiste basé sur la liberté et la coopération absolues. Un an plus tard, en 1975, Écotopieune histoire utopique d’Ernest Callenbach, décrivait une société écologique radicale – des femmes au pouvoir, l’autogestion, une semaine de 22 heures.

Malgré ces rares pépites, la mode littéraire a toujours été à l’apocalypse. “ La science-fiction aime les catastrophes », remarque Ugo Bellagamba. Catastrophe… et technologie. “ Là SF de XXIe le siècle tourne désespérément autour “trois piliers” du transhumanisme ; immortalité, biotechnologie et intelligence artificielle »» analyse ainsi Catherine Dufour dans un article de Monde diplomatique.

Mais la tendance pourrait s’inverser. Face au mur climatique — “ parce que le pessimisme est un luxe qu’on ne peut plus se permettre »Selon Catherine Dufour, une tendance se dessine : le solarpunk. “ De plus en plus de romans renouvellent l’imaginaire utopique, autour de deux idées phares, la sobriété (technologique, énergétique) et la fin du capitalisme. », décrit Ugo Bellagamba. Outre-Atlantique, Kim Stanley Robinson, auteur du remarquable Ministère du futuret Becky Chambers font partie des leaders de ce mouvement.

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De gauche. à droite. : “ Ministère du futur » de Kim Stanley Robinson, « Écotopie » d’Ernest Callenbach et « Pollen » de Joëlle Wintrebert.

En France, la mayonnaise utopique prend du temps. La maison d’édition La Volte a créé une collection, Eutopia, pour porter ces nouvelles histoires. “ Mais nous ne publions qu’un livre par anregrette son éditeur, Mathias Echenay. Même si la question travaille chez les auteurs, nous recevons encore très peu de propositions abouties. »

La faute, selon lui, c’est la difficulté d’écrire des utopies : “ Faire une histoire dans un monde où tout va bien, on sait pas comment faire »il illustre. “ Une histoire est intéressante quand elle déraille »sourit Joëlle Wintrebert, pionnière du SF À la française. Un de ses romans, Pollenraconte ainsi une société matriarcale et pacifiste, mais qui repose sur une reproduction génétiquement contrôlée. “ L’utopie est toujours ambiguë… Un monde parfait n’existe pas »dit l’écrivain.

La faute aussi à notre imagination trop limitée ? Pour l’écrivain Elio Possoz, le SF le post-capitalisme se heurte à deux murs, la politique – quel système peut-on concevoir autre qu’une dictature ? – et technique. Abandonnez la technologie, imaginez un monde sans électricité… “ Ce sont encore des impensés. » Le trentenaire vient de terminer un roman (à paraître l’année prochaine chez La Volte) qui décrit un road trip dans une France de l’après-pétrole parsemée de “ communautés »zones autonomes et autogérées.

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Quelques livres de la collection Eutopia de La Volte, consacrés aux nouvelles utopies.
© La Volte

S’approprier l’avenir

Low-tech, vélos solaires et anarchie : tout cela n’est qu’un rêve, mais comment passer de l’écriture à l’action ? ? “ Ces histoires permettent aux lecteurs d’expérimenter d’autres possibles, de les toucher, à travers le sensible, et donc de les familiariser avec ce qui pourrait arriver. », estime Mathias Echenay. C’est ainsi que les scientifiques du GIEC [1] a demandé aux écrivains de produire “ des histoires pour s’approprier notre avenir » décrits dans leurs rapports. Le résultat, Non(s) Futur(s)publié en 2020, vous permet de“ imaginez les possibilités du changement climatique ».

Les plus intéressés par ces collaborations littéraires se trouvent parmi les armées. Dès 2016, l’un des départements de l’armée américaine a lancé son propre concours de nouvelles de science-fiction, afin de façonner sa future stratégie militaire. Constituée en 2019 en France, l’équipe Rouge rassemble des auteurs et des experts militaires en vue de“ anticiper les aspects technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux du futur qui pourraient générer des conflits potentiels à l’horizon 2030-2060 ».

“ A quand une équipe Rouge au ministère de la Santé ou de l’Ecologie ?demande Ugo Bellagamba. Les politiques ont encore du mal à saisir l’intérêt de SF pour ouvrir des possibilités. » Sans prendre toute fiction au pied de la lettre, auteurs et éditeurs espèrent que leurs œuvres participeront à “ briser le récit dominant », selon les propos de Mathias Echenay. Comme le disait Alain Damasio, “ la lutte de l’imagination » fait partie des moyens de “ vaincre le capitalisme sur le terrain du désir ».


Quelques conseils de lecture :

  • Les classiques :

    Les dépossédéspar Ursula Le Guin (Poche)

    Écotopiede Ernest Callenbach (Gallimard)

    Les furtifsde Alain Damasio (La Volte)

  • Les travaux des auteurs cités :

    Pollende Joëlle Wintrebert (Au Diable Vauvert)

    La terrible arithmétique de la misèrede Catherine Dufour (Le Bélial’)

    Dictionnaire utopique de science-fictionde Ugo Bellagamba (Le Bélial’)

  • Recommandations de ces auteurs :

    Le cadredu Collectif Bombyx Mori (La Volte)

    Visitede Li-Cam (La Volte)

    Xénogenèsede Octavia Butler (Au Diable Vauvert)

    Quitter les montagnes d’automnede Émilie Querbalec (Albin Michel)

    Histoires de moines et de robotsde Becky Chambers (L’Atalante)

    Le Ministère du Futurde Kim Stanley Robinson (Bragelone)

    Non(s) Futur(s)collectif (Actualités SF)

    Obsolètede Sophie Loubière (Belfond)

    L’Opéra de Shayapar Sylvie Lainé (Actualités SF)

    Les Utopiens, l’actualité de 2043collectif (La Mer Salée)

    Le non liéde Sandrine Roudaut (La Mer Salée)

 
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