Le drame des enfants parfaits

Le drame des enfants parfaits est un plaidoyer contre le surdiagnostic des troubles psychiatriques et la surmédicalisation des enfants. L’auteure Céline Lamy, pédopsychiatre et professeure adjointe de psychiatrie à l’Université de Montréal, déplore qu’on cherche à élever nos enfants comme des « êtres normés, standardisés comme les fruits parfaits des supermarchés » et que « s’ils ne rentrent pas dans le étalonnage, ils finissent en compote. Entretien.

La presse: Pourquoi cherchons-nous, comme vous le dites, à « élever nos enfants selon les normes d’une agriculture moderne qui produit des fruits identiques et parfaitement calibrés » ?

Céline Lamy : On a tendance à oublier que nous sommes des petits soldats d’un système capitaliste et individualiste. Les enfants sont les futurs petits soldats de ce système et nous n’avons aucun intérêt à ce qu’ils développent un esprit critique car cela ne correspondrait plus à ce que nous demandons, c’est-à-dire qu’ils deviennent des enfants efficaces, productifs, compétitifs, souriants. Un enfant ne doit être ni trop heureux, réactif, émotif, ni pas assez, car dès qu’il sort un peu de la normalité, on se demande s’il a un trouble ou une maladie. On s’inquiète, on le fait évaluer, et on nous dit, à nous les pédopsychiatres, que cet enfant est un problème et qu’il faut le réparer et le rendre conforme. L’enfant se retrouve « fonctionnellement brisé » ; cette expression évoque un objet cassé qui doit être réparé, alors que les enfants sont par nature spontanés, imprévisibles et explosifs. Certains comportements comme l’agitation et l’impulsivité ou les difficultés dans les relations avec les autres font partie du développement de l’enfant et ne doivent pas être trop rapidement étiquetés avec un diagnostic de TDAH. [trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité]. Si l’on veut constamment enfoncer la nature humaine dans un moule, il est normal qu’elle explose.

Vous dénoncez avec raison l’inflation diagnostique et la surconsommation de médicaments chez les enfants du Québec.

Au Québec, il y en a qui disent que c’est parce qu’on est plus avancés sur la question du diagnostic, donc ce serait une gloire de diagnostiquer autant de TDAH. Nous serions meilleurs que les autres… Malheureusement non. Il n’y a pas assez de prévention et lorsque les médecins de famille sont confrontés à des jeunes qui ne vont pas bien, ils font des demandes au CLSC, et les listes d’attente pour voir un pédopsychiatre sont interminables, jusqu’à 18 mois à certains endroits. Pendant ce temps, la santé mentale de l’enfant se dégrade, et on n’a plus le choix de prescrire. On se retrouve face à des jeunes qui n’ont plus d’estime de soi, qui ont des troubles anxieux, qui sont déprimés et on arrive trop tard, alors qu’on devrait arriver beaucoup plus tôt. La consommation de psychostimulants a doublé chez les jeunes de 10 à 12 ans entre 2006 et 2014, et ils sont trois fois plus prescrits au Québec que dans le reste du Canada. Il existe des surdiagnostics de TDAH, tandis que certains enfants souffrent simplement de troubles d’apprentissage, de dyslexie ou de dyscalculie et nous ne les voyons pas. Ils passent inaperçus et les médicaments ne vont pas aider un enfant dyslexique.

Faut-il repenser les horaires et les rythmes scolaires ?

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PHOTO FOURNIE PAR ATELIER 10

Céline Lamy, auteure et pédopsychiatre

Oui. Les huit heures de travail actuelles ne respectent aucun rythme physiologique d’apprentissage. Les périodes sont trop longues car le temps de concentration fluctue au cours de la journée. Pourquoi obligeons-nous les enfants à se concentrer toute la journée ? Pendant les récréations, les enfants s’éclatent dans la cour de récréation. Ils reviennent en classe excités, et c’est normal, il faut qu’ils bougent ! Aucun adulte ne peut rester assis à écouter son patron pendant près de huit heures. C’est physiologique et ça ne peut pas marcher ! Dans les pays scandinaves, les cours théoriques sont privilégiés le matin et les activités artistiques et physiques l’après-midi.

J’entends des parents et des adultes dire : « À l’époque, on s’en sortait, on était de bons enfants. » Mais nous sommes devenus des adultes complètement névrosés et anxieux de la performance ! On avale des pilules pour pouvoir faire face à sa vie et on consulte des psychologues ! Alors oui, nous étions des enfants très doux, mais à quel prix ?

Devrions-nous sortir et présenter le jeu ?

Oui. Il faut un enseignement plus dynamique qui laisse beaucoup de place au jeu et à la nature en sortant. Nous savons que les enfants apprennent en jouant, et même nous, les adultes, apprenons mieux lorsque nous nous amusons et jouons. Les enfants, quand ils entrent en première année, on leur dit : le jeu est fini, on écoute et on apprend par cœur. Et quand ils rentrent de l’école, ils ont des devoirs, et puis ils se retrouvent devant leurs écrans. Les parents pensent qu’ils pourront ainsi veiller sur eux et qu’ils ne seront pas blessés. A l’intérieur, l’enfant perd sa créativité et son imagination. Les enfants ont besoin de nature pour sortir, que ce soit au parc ou dans la ruelle.

Les attentes des parents sont-elles trop élevées ?

Les attentes de la société sont élevées et les parents sont souvent un peu trop durement touchés. Les parents n’ont pas le choix, car nous sommes constamment en compétition et en comparaison. Les parents ont des attentes qui sont inculquées par un système qui nous dit : soyez toujours la meilleure version de vous-même. Je vois des mamans qui emmènent leurs enfants faire du yoga dans une langue étrangère ! Il y a cette escalade de parents qui vont surstimuler leurs enfants dès leur plus jeune âge, ils vont les remplir de connaissances comme on gave une oie.

Les enfants se sentent-ils inadéquats ?

Oui, je le vois en consultation. Les enfants le disent. « Papa n’est pas fier de moi. Maman ne m’aime pas comme je suis. Mes parents ne sont heureux que lorsque j’ai de bonnes notes. » Ces enfants sont en validation externe, s’accrochant à la gratification de leurs parents qui ne sont heureux que lorsqu’ils font de bonnes choses. Ces enfants n’ont pas le droit à l’erreur et j’en vois beaucoup, de tous horizons, et de plus en plus jeunes. Je vois de plus en plus d’enfants qui sont déprimés, ils ont 8 ou 9 ans et ne se sentent pas à la hauteur.

Il faut ralentir, se donner du temps…

Nous ne sommes pas dans la même tranche horaire que nos enfants. Nous sommes dans le journal et nos enfants entendent deux phrases : « dépêchez-vous » ou « attendez ». Le cerveau des enfants n’est pas construit pour être dans notre temporalité, puisqu’il est un cerveau du moment présent. Il faut ralentir, cesser d’être obsédé par l’idée de bien faire, poser son téléphone, se laisser toucher par ce qui se passe autour de nous. Nous n’allons pas perdre de temps, au contraire, nous allons gagner en qualité de vie et en qualité dans nos relations. Ce sera également bien meilleur pour notre santé physique et mentale, et en plus, nous gagnerons en espérance de vie.

Le drame des enfants parfaits

Céline Lamy

Éditions Atelier 10

67 pages

 
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