L’attribution prévue de l’organisation de la Coupe du Monde de football 2034 à l’Arabie Saoudite apparaît inconciliable avec les engagements de la FIFA en faveur des droits de l’homme, soulignent des ONG.
Publié à 1h06
Mis à jour à 6h00
CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR
L’Arabie Saoudite est le seul pays en lice pour accueillir la Coupe du Monde de la FIFA 2034.
Plusieurs organisations gouvernementales exhortent la FIFA, qui doit prendre une décision définitive en décembre, à rejeter la candidature du pays en raison de son piètre bilan en matière de respect des droits de l’homme.
Human Rights Watch reproche notamment à l’organisation sportive d’ignorer ses propres règles d’attribution pour finir par favoriser Riyad.
Ils notent que la direction de la FIFA ferme « volontairement » les yeux sur les dérives du régime de Mohammed ben Salmane, qui a mandaté un cabinet d’avocats pour produire un « rapport de convenance » soulignant l’importance des efforts de réforme entrepris sous sa gouvernance.
“Cela ressemble à un avenir dystopique où l’argent permet de transformer un régime brutal en défenseur des droits de l’homme”, note Raed Jarrar, porte-parole de Democracy for the Arab World Now (DAWN), une organisation fondée par le journaliste saoudien Jamal Khashoggi. avant son assassinat par un commando envoyé de Riyad.
« La seule chose qui me réconforte, c’est que la décision finale n’a pas encore été prise. Il n’est pas trop tard pour que la FIFA fasse marche arrière », a déclaré M. Jarrar.
L’Arabie saoudite est actuellement le seul pays en lice pour accueillir l’événement en 2034, l’Australie s’étant retirée de la course l’année dernière.
Le processus d’évaluation de la candidature du pays, qui comprend une exploration approfondie de son bilan en matière de droits de l’homme, devrait normalement aboutir à une décision formelle en décembre. Un refus entraînerait la réouverture du processus de nomination.
Un deuxième Qatar ?
Minky Worden, directrice des initiatives mondiales à Human Rights Watch, affirme que la FIFA a « rejeté ses propres règles » de sélection des pays hôtes et se dirige vers une autre « catastrophe ».
« La FIFA n’a rien appris de ce qui s’est passé pour l’édition de la Coupe du monde organisée en 2022 au Qatar », note le militant.
Elle rappelle notamment que des milliers de travailleurs sont morts faute de lois adéquates pour les protéger lors de la construction des infrastructures sportives nécessaires à l’événement.
Dans le cas de l’Arabie Saoudite, les répercussions potentielles sur les travailleurs migrants sont encore plus dramatiques, prévient M.moi Worden, puisque Riyad devrait procéder à la construction d’une dizaine de stades.
Les pratiques discriminatoires du régime à l’égard des femmes et des minorités sexuelles, l’absence de toute liberté d’expression et les pratiques abusives de la police sont d’autres facteurs problématiques.
“A moins qu’une série de réformes majeures dont Mohammed ben Salmane ne veut rien avoir à faire ne soient lancées, il n’y a aucune possibilité pour la FIFA d’attribuer la Coupe du monde à l’Arabie Saoudite sans danger”, note M.moi Worden, qui exhorte l’organisation sportive à ouvrir le dialogue avec les personnes persécutées par le régime saoudien.
« Ils ne posent pas de questions parce qu’ils ne veulent pas entendre les réponses », dit-elle.
Des résultats divergents
Dans son dossier de candidature, l’Arabie Saoudite affirmait que la tenue de la Coupe du monde « célébrerait l’engagement du pays en faveur du développement durable et de la défense des droits de l’homme ainsi que sa passion pour le football ».
Un cabinet d’avocats mandaté pour produire un avis plus approfondi sur la question des droits de l’homme a dressé un portrait globalement positif de la situation, soulignant que de nombreuses réformes législatives avaient été mises en œuvre ces dernières années. Les auteurs préviennent dans le même temps qu’il est trop tôt pour mesurer les effets de ces réformes.
Cette évaluation contraste avec celle de trois avocats spécialisés qui ont écrit à la FIFA l’année dernière pour soutenir la longue liste de réformes exigées de Riyad pour répondre aux critères de sélection actuels.
Il est évident que l’Arabie saoudite est « très loin » d’adhérer aux normes internationales en matière de droits de l’homme, ont relevé les auteurs, qui ont évoqué dans des éclats l’absence de toute liberté d’expression dans le pays, les détentions arbitraires, le recours à la torture et l’esclavage forcé de milliers de travailleurs étrangers.
Les auteurs du rapport, dont un avocat qui représente la veuve de Jamal Khashoggi, ont déploré cette semaine dans un entretien au quotidien Le Gardien que leurs recommandations sont restées lettre morte. Ils ont prévenu que la FIFA « jouait avec le diable » dans cette affaire.
Changes
Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient qui enseigne à l’Université d’Ottawa, ne croit pas qu’il faille écarter d’emblée la candidature du pays même s’il s’agit d’une « dictature brutale ».
Tout en étouffant toute dissidence, Mohammed ben Salmane a engagé depuis son arrivée au pouvoir plusieurs réformes socio-économiques qui visent à moderniser l’Arabie saoudite en donnant plus de latitude aux jeunes Saoudiens, note le chercheur. Les investissements dans le secteur du sport font partie de cet effort.
On peut espérer, sans être « naïf », que la tenue d’une Coupe du monde alimenterait les échanges avec l’étranger et attirerait l’attention de manière bénéfique sur la question des droits de l’homme, note-t-il.
Raed Jarrar note pour sa part que les investissements colossaux de l’Arabie saoudite dans le domaine sportif visent avant tout à « blanchir la réputation du pays » à l’étranger et à « aveugler » la FIFA, qui n’a pas répondu aux questions du La presse.
“Rien ne justifierait que Riyad reçoive l’honneur d’accueillir la Coupe du monde”, conclut le militant.
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