Rituels primitifs, sorcellerie, enfer… A la fois magique et effrayant, lié à l’occulte et à l’insaisissable, le feu est un élément puissant qui offre des possibilités techniques infinies. Selon l’intensité avec laquelle il est utilisé, un flamme peut être utilisé comme pinceau en déposant noir de fumée et teintes orange sur une feuille de papier, mais aussi pour percer, dévorer, déformer, graver ou faire fondre une matière. Avec, toujours, un une partie de l’imprévisible et du mystère…
Yves Klein, Alberto Burri, Géraldine Tobé Mutamande, Christian Jaccard, Marina Abramović, Jean-Paul Marcheschi, Bernard Aubertin, Steven Spazuk, Ana Mendieta, Christian Lapie… Tous ces artistes ont en commun d’avoir utilisé cet élément, ponctuellement ou systématiquement. comme outil de création ou matière première pour leurs travaux. « Peinture », sculpture, performances… À chacun sa manière de jouer avec le feu !
1. Le feu, créateur de formes abstraites
Pionnier de l’art du feu, l’artiste Alberto Burri (1915-1995) crée sa première « combustione » (« Combustione ») en 1953 : restes de débris brûlés, noircis et rongé par les flammes, qu’il colle pour former des compositions abstraites. Marqué par la guerre, l’Italien se met alors à déchirer le plastique en le brûlant, ce qui évoque parfois chair mutiléeet attaquer avec une flamme de fines couches de plastique transparent, les percer avec cicatrices béantes avec des bords carbonisés…
Au début des années 1960, Yves Klein devient le tout premier artiste à peindre avec un lance-flammes. Lors de séances spectaculaires, il dirige le feu sur carton en variant les gestes et l’intensité de la flamme afin d’obtenir formes noires et dansantes… Le tout en présence d’un pompier qui, armé d’un tuyau, est prêt à éteindre un éventuel incendie !
En 1972, Claude Viallat (né en 1936) asperge par endroits de grandes toiles blanches d’un liquide inflammable qu’il enflamme pour produire taches et trous disposés à intervalles réguliers. Christian Jaccard (né en 1939), il « peint » aussi en laissant stries brûlées sur toile ou papier de 1975. Protégé par un masque à gaz, il allume des mèches goudronnées noires et savamment placées, pour laisser marques sombres sur des supports très grand format, fruit d’une combinaison de maîtrise artistique et risque de combustion…
2. Des tableaux figuratifs envoûtants nés d’une simple flamme
Effectuer peintures figuratives avec une simple flamme ? Cela ressemble à de la sorcellerie, et pourtant plusieurs artistes en ont fait leur spécialité ! Ainsi l’artiste corse Jean-Paul Marcheschi (né en 1951) réalise depuis les années 1980 peintures puissantes inspiré des volcans, de l’astronomie et L’Enfer par Danten’utilisant que du papier et la flamme rougeoyante des torches, des bougies en cire à longues mèches qu’il avait fabriquées en Vendée.
Depuis 2001, l’artiste québécois Steven Spazuk (né en 1960) utilise une technique qu’il appelle “fumeur”, consistant à caresser une feuille de papier avec la flamme d’une bougie, qui dépose à sa surface des souffles mystérieux et des tourbillons sombres. Puis il les touche formes floues avec une plume d’oiseau, un grattoir ou un pinceau fin pour tracer les moindres détails dans la suie, révélant images spectrales…
Né en 1992, Géraldine Tobé Mutamande Elle fait aussi des miracles avec la fumée. Enfant, cet artiste congolais a été victime de violences exorcisme : accusée de sorcellerie par un prêtre, elle a été battue puis enfermée plusieurs jours sans manger ni boire dans une petite pièce enfumée, remplie de bougies et d’encens… traumatisme qu’elle a transformé en force créatrice. A l’aide d’une simple lampe à huile et de pochoirs, elle place sur ses toiles un voile de fumée ce qui lui permet de créer des œuvres époustouflantes où silhouettes de femmes fantomatiquesdes animaux et des hommes vêtus de masques africains se livrent à d’étranges rituels…
3. Pyrographie et peinture à la cire fondue
De nombreuses autres techniques permettent de créer des tableaux avec le feu. Certains, comme le jeune américain Zachary Aronson, dessiner au chalumeau sur panneaux de bois. D’autres pratiquent pyrographiecomme la jeune Française Ségolène Duret qui, à l’aide d’une fine pointe chaude alimentée par l’électricité, crée gravures sur bois, cuir et liège. D’autres encore l’associent avec de la cire : ainsi le peintre français Rhizo (Thibault Rabiller) fait fondre un mélange de cire de surfeur et de pigments naturels, qu’il étale sur des panneaux de bois à l’aide de la flamme d’un chalumeau pour obtenir tableaux endommagés dont la texture rappelle celle de céramique.
4. Sculptures en bois carbonisé
En 1974, Arman (1928-2005) a exposé une contrebasse brûlée dans une boîte en plexiglas. Ainsi émietté, noirci et carbonisé, l’instrument ne pouvait plus être utilisé. Portant les stigmates de la colère des flammes, il prit un nouvelle dimension intensetragique et poétique… Une force que l’on retrouve dans le « Arbres brûlés » de Philippe Pastor (né en 1961), qui n’ont pas été retouchés par l’artiste lui-même : présentés comme des totems, ces troncs noircis par les flammes, récupérés après les incendies du massif des Maures en 2003, dénoncent sérieusement destruction de la nature.
Au Japon, une technique ancestrale appelée shou sugi baOu yakisugiconsiste à obtenir une couche noire de carbone à la surface du bois en le brûlant, ce qui lui permet de rendre plus résistant. En Europe, certains artistes calcinent le bois de leurs sculptures pour leur donner cette intensité et cette rugosité particulières, comme Christian Lapie (né en 1955) et ses figures solennelles qui interrogent la mémoire, ou Alban Lanore (né en 1966) qui sculpte des formes géométriques dans des portions de troncs bruts calcinés. Ou, dans un style très différent, Gil Bruvel (né en 1959), qui assemble d’innombrables bâtons de bois brûlé de formes et de tailles variées, découpées à la main et peintes de différentes couleurs, pour former de grands visages « pixelisés ».
5. Œuvres incendiées ou consommées vivantes
Pour certains artistes, c’est la combustion lui-même, plus que les traces laissées, qui fait le travail. En 1961, le Français Bernard Aubertin (1934-2015) présente “Peintures de feu”composé deallumettes piquées ou coincées sur un support qu’il a enflammé de façon spectaculaire devant témoins et photographes.
LE Suisse Urs Fischer (né en 1973), il crée sculptures de cire qui, comme de gigantesques bougies, brûler lentement sous les yeux des visiteurs – comme sa réplique de Le viol des Sabines du sculpteur italien de la Renaissance Giambologna, exposé au Bourse de Commerce – Collection Pinault en 2021. Une méditation magistrale sur la manière dont la destruction peut être créatrice. Sur, aussi, l’impermanence des hommes et des choses, confrontés au temps qui passe et à la fragilité de la matière. Son nature éphémère le rendant encore plus beau…
6. Sculptures de flammes dansantes
Dès 1958, Yves Klein dessinait “sculptures de feu”, et rêve d’une installation qui ferait danser des jets de feu sur l’eau. En 1961, un an avant sa mort, le pionnier érigea une ” Mur de Feu » Merci cinquante becs Bunsen alignés devant la villa de Mies van der Rohe. Aujourd’hui, les fontaines de feu qu’il avait imaginées jaillissent sur le plan d’eau du Guggenheim Bilbao. Le feu lui-même, lumineux et dansant, devient ici le matériau principal de l’œuvre !
D’autres artistes ont utilisé le feu pour réaliser des sculptures performantes. Ainsi, en 1974, l’artiste serbe Marina Abramovic (né en 1946), pour son performance Rythme 5enflamma une étoile à cinq branches, symbole du communisme, et se plaça en son centre comme un Christ crucifié. En 1976, l’artiste cubain Ana Mendieta (1948-1985) a créé et photographié les contours d’un corps en feu, l’un de ses célèbres silhouette. Au vidéaste Bill Viola (né en 1951), cet élément brûlant donne naissance à œuvres mystiques comme Pompier (2005). Envoûtement, danger, colère, rituel ancestral… Au-delà de sa beauté hypnotique, le feu permet assurément de véhiculer des messages puissants et intemporels.
7. La chaleur du feu pour façonner les objets
Face à ces manières inhabituelles pour utiliser le feu, on en oublie presque la partie la plus élémentaire. Verre, métal, céramique… Ceux-ci arts anciens tous nécessitent l’utilisation du feu, y compris de la chaleur aide à adoucir le matériaupar fusion pour mieux le façonner, ou au contraire pour le solidifier pendant la cuisson.
Ces disciplines brûlantes sont célébrées depuis 2019 dans un lieu dédié à Rouen : la Galerie des Arts du Feu. Cet espace de 500 m² est situé dans le Saint-Maclouaître, un ossuaire du 14ème sièclee siècle classé monument historique, qui remonte à la Grande Peste Noire. Une bonne idée pour une sortie Halloween !