Portier félin du pays qui a fait roi Salif Keita, la panthère noire, Joseph-Antoine Bell, indomptable chez les Lions indomptables, a, tout au long d’une carrière d’une longévité remarquable et qu’il a accomplie à l’ASSE, séduit par son humanisme, son intelligence, son l’indépendance et ses grandes paroles. Quitte à déranger parfois. Joseph-Antoine Bell était également un homme libre sur le rectangle vert, amorçant un nouveau rôle pour le poste de gardien élevé au rang de joueur lié à sa formation. Aujourd’hui septuagénaire vif et toujours d’une rare élégance, Joseph-Antoine Bell continue de promouvoir le football africain, s’investissant avec détermination dans sa mission de président de l’Ordre national des infrastructures et équipements sportifs de la République du Cameroun.
Joseph-Antoine, qui a été votre partenaire le plus talentueux ?
Chez les Verts, indéniablement Lubo Moravcik. Un joueur expérimenté, doté de grandes qualités techniques, capable physiquement de répéter les efforts et doté également d’un bon état d’esprit. Et puis, mon préféré : Titi Camara. Il avait le feu dans les jambes mais n’a pas bénéficié de la confiance du staff. J’ai été surpris. Nous l’avons ramené pendant vingt minutes, l’avons jeté au combat alors que nous étions en retard. Il était jeune et la responsabilité d’une éventuelle explosion lui incombait. C’était injuste. Il n’avait pas la liberté d’exprimer tout son talent.
L’adversaire qui vous a le plus impressionné ?
Tout d’abord, j’avais un principe. Intangible. Je n’ai cessé de le rappeler à mes coéquipiers et à mes défenseurs en particulier : tout adversaire est dangereux si on lui laisse du temps, de l’espace et le ballon. Abedi Pelé, à ce propos, s’il bénéficiait de cette liberté, pourrait décider du sort d’un match. C’était un excellent dribbleur, capable de délivrer des passes douloureuses. Il avait un grand cœur et savait tout faire avec précision et efficacité.
L’agresseur que vous redoutiez particulièrement ?
Jean-Pierre Papin, bien sûr. Si vous ne le teniez pas étroitement, si vous lui offriez la possibilité de s’organiser, alors il se déclencherait avec une spontanéité et une habileté inhabituelles. Un attaquant exceptionnel.
Le partenaire le plus extraverti ?
A Sainté, Jean-Pierre Cyprien et Étienne Mendy. Toujours de bonne humeur, drôles, ils n’y ont pas pris les choses à la légère.
L’adversaire le plus agressif ?
Plus précisément, le plus ennuyeux. Je pense à Jean Tigana. Il avait quelque chose de spécial. Il avait un gabarit atypique mais n’a jamais abandonné. Je me souviens d’une journée au Vélodrome. On menait 4-0 contre les Girondins. Il se battait encore pour aller gratter des ballons dans ses pieds. Il détestait la défaite, ne trichait pas.
«Deux charnières exceptionnelles chez les Verts»
Sur quelle charnière aimiez-vous travailler ?
A l’ASSE, j’ai eu la chance d’évoluer derrière deux paires de joueurs centraux très talentueux : Cyprien – Kastendeuch et Cyprien – Blanc. Ce dernier était fort dans sa tête. Après l’élimination des Bleus pour le Mondial contre la Bulgarie, il a su faire face à l’adversité sans jamais baisser les bras. Il a également dénoncé les attitudes racistes. Un sujet qui m’était forcément cher, ayant été trop souvent victime de cette intolérance. Au début, je me suis dit, dans les stades, c’est une animation stupide, une reproduction, un copié-collé stupide destiné à déstabiliser l’adversaire. Les mots ne m’ont pas touché ; Cependant, nous sommes passés de la violence verbale à la violence physique. J’en ai été victime lors de la réception de l’OM à Geoffroy-Guichard. J’ai reçu un projectile lancé par un supporter marseillais et je suis resté allongé sur le terrain. Plus tard, lors de mon dernier match dans le Forez, pour un derby en 1994, une paire de ciseaux est tombée dans ma cage.
Votre meilleur souvenir en Vert ?
La victoire à Gerland (2-0) en 1993 avec Jacques Santini sur le banc. On connaît tous la saveur particulière de ces confrontations avec l’OL. Cette année-là, nous avons également signé deux clean sheet contre Lyon (0-0 à l’aller). Les derbys se sont plutôt bien déroulés pour moi. J’étais 3-0 en 1994 au Chaudron avec le doublé d’Étienne Mendy.
Plus généralement au cours de votre riche et longue carrière ?
Cette rencontre peut-être. J’étais en train de boucler la boucle avant de m’envoler pour disputer la Coupe du Monde avec le Cameroun. J’ai toujours douté, eu peur de me tromper dans ma vie, dans mes choix de carrière. Je ne voulais pas jouer trop de matches. Ma longévité, alors qualifiée d’exceptionnelle, m’avait déjà satisfait.
« La frustration de la demi-finale de Coupe perdue à Nantes »
Votre plus grande désillusion vécue dans le Forez ?
La demi-finale de Coupe de France que nous avions perdue à domicile contre Nantes (0-1) en 1993. Le ciel nous avait ouvert ses portes. Nous étions à 90 minutes de la montée à Paris. Malheureusement, je pense que l’athlète a été pris en otage. Nous avons sans doute souffert des problèmes rencontrés par le club. Il y a eu des luttes de pouvoir dans le cadre de la reprise de l’ASSE. Pas sûr que certains aient apprécié ce cadeau fait au président Laurent qu’aurait représenté cette finale. C’était une énorme frustration.
Et celle que vous avez connue tout au long de ses vingt-cinq années chez les pros ?
En 1982, lors de la Coupe du Monde en Espagne, bien qu’invaincus en phase de groupes, nous avons été éliminés grâce au goal-average et à d’astucieux calculs. Pour la première participation du Cameroun à cette rencontre mondiale ; cela aurait été une véritable réussite. C’est d’autant plus vrai que les deux nations sorties du groupe sont l’Italie, sacrée championne du monde, et la Pologne, classée troisième. Si proche, si loin !
Le coach qui vous a le plus marqué ?
J’en citerais deux : un entraîneur britannique, Michael Everett, que j’ai eu en Egypte. Il ne m’a pas restreint dans mon envie d’être acteur, d’être connecté au reste de l’équipe. “Nous pourrons bientôt jouer sans libéro”, m’a-t-il dit. “Nous pourrions encaisser un but un jour mais nous en aurions peut-être évité 1 000.” Idéal pas pour la confiance ! Et puis bien sûr Raymond Goethals à Bordeaux. Lors du premier cours de préparation, il m’a demandé de m’adresser au groupe. « Comment l’équipe devrait-elle jouer ? » Je prône la défense de zone. J’étais un fervent partisan de ce système. A la fin de la présentation, il s’est limité à un commentaire : « OK, vous avez tous bien compris. » Je fais souvent l’analogie avec l’école lorsque le professeur vous appelle au tableau pour que vous fassiez une correction. Raymond Goethals s’est montré ouvert au dialogue et a validé mon souhait. Il n’avait pas l’intention de créer du désordre. Un jour, en amical contre le Servette, Dominique Dropsy était dans la cage. l’entraîneur a précisé : “Attention, aujourd’hui nous ne jouons pas avec Joseph.”
Le chat d’avant-match dont vous vous souvenez ?
Plutôt le chat d’après-match. Nous avons gagné sur le score de 3-0 avec les Girondins. A priori, pas de problème. Pourtant, le président Bez entre dans les vestiaires, furieux. Il crie après tout le monde comme si ce n’était pas possible. « Nous avons gagné mais le meilleur joueur était Joseph. Est-ce normal que notre gardien fasse autant d’arrêts ? Nous gagnons mais nous ne jouons pas bien. Claude Bez était un expert-comptable, un homme de chiffres. Les statistiques lui ont parlé. C’était un leader d’un réalisme absolu, d’une grande justesse, tenant ses promesses et pour qui sa parole était d’or.
Les images qui viennent à l’esprit quand on parle d’un certain ASSE – OM en 1991 ?
En 1993, on se qualifie pour les quarts de finale de la Coupe de France contre les Marseillais (2-1, a.p.). Au Cameroun, dans la capitale, a soudainement retenti une forme d’explosion. Le président de la République a demandé à l’un de ses conseillers : “Mais que se passe-t-il ?” Ils célèbrent la victoire de Saint-Étienne ; C’est Bell dans les buts ! J’ai aussi un autre souvenir en 1993 au Vélodrome en championnat : ce fameux but de Rudi Voeller qui m’a volé le ballon des bras. Nous avons perdu (3-1, l’ASSE a concédé un penalty et a terminé 10 après l’expulsion de Laurent Blanc). Sur TF1, un arbitre a évoqué « une aberration » dans la mesure où on ne peut pas toucher un gardien dans sa surface. Quelques jours plus tard, j’ai participé à une réunion en Suisse à la FIFA en tant que représentant des joueurs. Une cassette a été visionnée et la commission a pointé du doigt la France, clarifiant fermement sa position. C’est à cette époque que nous avons travaillé, dans le cadre de la Task Force 2000, à des changements importants dans les règles du jeu.
Le transfert qui n’a pas eu lieu ?
En 1991, j’aurais pu et dû signer au Barça. J’ai reçu un télex de félicitations du président du club catalan. Il n’y avait là rien d’innocent ou de gratuit. Je venais d’être nommé Ballon d’Argent Africain. Cependant, il n’a pas été facile de vendre aux membres l’arrivée d’un gardien de 37 ans même si de nombreuses questions se posaient sur l’âge et l’avenir d’Andoni Zubizarreta et de ses 30 ans. Cela ne s’est donc pas produit, mais cela a néanmoins été terriblement enrichissant. Et finalement, j’ai signé chez Sainté pour mon plus grand bonheur.
Un événement qui vous a touché et dont vous n’avez jamais parlé ?
Un moment incroyable que seul le sport peut sans aucun doute susciter. Cela crée des liens et vous amène dans la vie des gens. J’étais à Roissy où je m’apprêtais à embarquer pour le Cameroun lorsque j’ai reçu un appel. À l’autre bout du fil, quelqu’un m’a dit : « Bonjour, Monsieur Bell, excusez-nous de vous déranger, quelqu’un aimerait vous parler. Nous vous le transmettrons. » Et là, j’échange avec un supporter stéphanois au bord de la mort. C’était son dernier souhait qu’il avait exprimé à ses proches : me parler. Un moment complètement incroyable. Malheureusement, il est décédé quelques jours plus tard. Si ses parents, ses amis, fervents ou lointains supporters de l’ASSE lisent ces lignes, faites-lui savoir que je pense souvent à ce moment. Me remémorer ce moment, encore aujourd’hui, me fait monter les larmes aux yeux.
Un maillot historique
Si vous avez la riche idée de franchir le seuil du Musée des Verts, vous découvrirez le maillot porté par Joseph-Antoine Bell, gardien de l’ASSE, pendant trois saisons de 1991 à 1994. Un maillot avec un partenaire qui parle à tous Stéphanoises et tous les Stéphanois, celle de Casino, société fondée par Geoffroy-Guichard. D’ailleurs, à ce propos, il faut savoir que tant l’AS Casino que le Stade Olympique Montpelliérain, ancêtres de l’ASSE et du MHSC, ont été créés la même année, en l’occurrence en 1919.