With “Surveillée et Punished”, Safia Nolin hits the spot in Paris – Libération

With “Surveillée et Punished”, Safia Nolin hits the spot in Paris – Libération
With “Surveillée et Punished”, Safia Nolin hits the spot in Paris – Libération

Face à 20 chanteurs qui regardent dans votre direction et chantent à l’unisson les pires insultes du monde, vous ne dirigez vraiment pas grand-chose. Mais s’il ne peut rien vous arriver ici, à l’abri d’une salle de répétition parisienne, cette pluie de folie fait partie du quotidien de Safia Nolin depuis sa soudaine notoriété il y a presque dix ans, alors que le Québec se pâmait pour le premier album de cette chanteur folk bruyant. Nominée en 2016 dans cinq catégories au gala de l’Adisq (équivalent québécois de nos Victoires) dont celles de révélation de l’année et vidéo de l’année qu’elle remporterait, Safia Nolin a fait l’objet d’une polémique aussi virulente qu’anachronique et pleine de misogynie sur ses vêtements – jean, t-shirt – et son niveau de langage – trois « baises » enregistrés – lors de la remise des prix. L’artiste a répondu avec panache via le média web progressiste Urbaniele coup d’envoi d’une relation houleuse entre la jeune femme sans filtre et l’opinion publique, ravivée en 2020 lorsque Safia Nolin accusait la candidate de télé-réalité et animatrice Maripier Morin d’agression sexuelle. Gros chanteur queer versus figure en filigrane de la télé à papa : un choc des cultures qui multiplie les messages d’insultes contre Nolin, bien au-delà des réseaux sociaux depuis que des graffitis haineux fleurissent sur les murs de Montréal.

Un dégoût vertigineux

C’est la matière première dans laquelle Safia Nolin et le réalisateur Philippe Cyr ont puisé pour concevoir Surveillé et puniun spectacle musical intense créé lors du festival Montréal TransAmériques en mai 2024 et qui est présenté pour la première fois en . La chanteuse a à ses côtés sur scène un alter ego, l’actrice Debbie Lynch-White, et tous deux, bien que tout aussi charismatiques et corpulents, paraissent au premier abord minuscules comparés à la vingtaine de chanteurs qui les surveillent dans les tribunes. Encapuchonnée dès le début du spectacle, la foule dévoile ses visages en chantant, de manière quasi discontinue pendant une heure et demie, des textes tissés à partir de plusieurs centaines (!) de messages privés et de commentaires publics sur les médias en ligne.

On sait, pour parfois en payer le prix, l’inventivité des trolls, des fans indignés que leur idole soit attaquée et autres harceleurs dérangés, mais le dégoût des insultes envers Nolin est vertigineux. Les moindres détails de son physique, de son poids, de sa chevelure, et tout ce qui fait sa nature, ses origines algériennes, son homosexualité sont attaqués, dans des styles variés qui vont de l’invective aux fantasmes de torture et même aux menaces de mort – on ne le fera pas. citer aucun de ces propos, la volonté de l’entreprise d’éviter de leur redonner une place dans l’espace public. Après un premier long segment où la protagoniste se laisse envahir par ce flot de merde, assise par terre face au chœur, elle et son double s’animent dans cette scène sonore pénétrante, se faisant du bien, se massant, se baignant, mangeant des pâtes, en une posture de défi ou de déni qu’on ne saurait assez dire, avant de s’approprier le matériel puant et de prendre les insultes à la bouche dans un numéro exubérant à la Broadway.

« Extraits radio trash »

Lundi soir a eu lieu la première répétition conjointe des choristes professionnels du Québec et de ceux, amateurs, recrutés à Ménilmontant et formés aux Plateaux sauvages par l’artiste multidisciplinaire Gérald Kurdian. Philippe Cyr nous dit de voir la pièce comme « un exercice de contamination positive, dans le sens où d’abord on voit l’ampleur des propos tenus, et ensuite on est dans un exercice de transformation et de solidarité »le recrutement de choristes locaux étant pour lui dans la continuité de ce geste. C’est en 2019 qu’il collabore pour la première fois avec Safia Nolin pour monter un concert aux Francofolies de Montréal, le plus grand de sa vie, gratuit, devant 20 000 personnes, et dans lequel ils jouaient déjà avec son image et la critique. contre elle : remplacée sur scène par une drag queen, encapuchonnée en duo avec Pomme, elle est aussi apparue nue sur les écrans, en vidéos “très Beyoncé”, cheveux au vent “avec des pétales de roses”… Safia déconne : “C’était un sacré bon spectacle !” Philippe : « On s’est beaucoup amusé avec les horizons qui attendent, en jouant « on vient voir Safia mais on ne la voit pas »»…

-

Surtout, elle avait décidé de diffuser lors de ce concert un extrait d’une émission de la très droite Radio « J’avais envie de concrétiser ce qui m’arrivait. Les gens savaient que j’étais insulté, mais pas à ce point. C’était une occasion en or de parler au plus grand nombre, d’autant plus qu’il s’agissait d’un concert gratuit, donc ouvert également à des personnes pas forcément de mon côté. Philippe, qui était présent, raconte : « Au début, les gens étaient paralysés, puis ils ont commencé à huer en solidarité avec Safia, c’était assez fou de vivre ça ensemble avec autant de monde. Cette idée de Safia, de diffuser ces extraits de radio trash, a été la bougie d’allumage, la prémisse d’une conversation sur tous les sujets que l’on retrouve aujourd’hui dans Surveillé et puni

“Je ne fais plus attention aux mots”

L’essai de Foucault qui inspire le titre de l’exposition, Surveiller et punir – Naissance de la prison (1975), s’ouvre sur la transcription brute de trois pages du procès-verbal d’une exécution en 1757, document qui relate avec une précision chirurgicale tous les détails du supplice d’un parricide condamné à être tourmenté puis démembré en public. La perversion de certains abus imaginés par les harceleurs en ligne du jeune chanteur québécois n’est pas sans susciter le même sentiment de nausée – même si les harmonies plutôt consonantes du chant du chœur (composé par Vincent Legault) créent d’abord une distance avec la matière. Malgré cela, lors de la répétition de lundi où les choristes amateurs ont rencontré pour la première fois Safia Nolin, cette dernière et son sosie n’ont pas ménagé une précision : “Nous savons que c’est une affaire difficile, très violente, explique Debbie Lynch-White aux chanteurs. Lors de la création du spectacle, nous avons été bouleversés, nous avons beaucoup pleuré. […] Mais ces mots, on va très bien avec eux, c’est correct. Ne vous sentez pas mal de nous chanter ça. Et Nolin ajoute : « Je ne ressens pas la même chose que lorsque je les ai reçus, alors sachez qu’il n’y a pas d’inconfort. Je peux comprendre si ce n’est pas évident, mais ne stressez pas ! Allez-y !” Pendant la répétition, pendant que le chœur chante des horreurs, elle s’affale tranquillement sur un canapé et lit un Haruki Murakami ou joue Zelda sur son téléphone. « On s’y habitue ! Je ne fais plus attention aux paroles, elles sont devenues comme des chansons populaires : je les connais par cœur et je ne m’attarde plus sur le sens.

Pour Philippe Cyr, « La façon dont Safia assume son identité confronte les gens à quelque chose de révolutionnaire. On le regarde, on le commente, on le contraint, on le punit pour ce qu’il est. Ce qu’elle subit est une forme de coercition sociale. Cela résonne très fortement avec Foucault et la dynamique du surveillé-superviseur qu’il décrit à partir de la prison de [Jeremy] Bentham. […] Féminiser le titre de son essai a du sens car la majorité de ces insultes ont en commun d’être misogynes. Lui-même victime de harcèlement scolaire lorsqu’il était enfant (“On m’a traité de pédé à 11 ans”) identifie « très personnellement » à ce que vit le chanteur. “Cela me donne l’énergie nécessaire pour aller au bâton [au front] !» Franche dans ses discours, Safia Nolin était jusqu’ici habituée aux musiques folk pleines de poésie, mais se rend compte : « Cela me fait réfléchir à beaucoup de choses sur ma façon de créer. Je veux moins chiffrer les choses, camoufler le propos, je veux que ce soit plus direct. Ma musique n’était pas politique ; là, ça me donne envie d’explorer ces domaines. Pour continuer à tenir tête à des cons comme ceux qui étaient contents cet été lorsque leur van a pris feu. « Il y a des commentaires comme : j’aimerais que ça brûle. Le simple fait que j’existe est déjà trop pour ces gens.

Surveillé et puni par Safia Nolin et Philippe Cyr du 16 au 18 janvier aux Plateaux Sauvages (Paris XXe)
 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

-

PREV Bob Sinclar apparaît méconnaissable et intrigue les internautes
NEXT ces “petites folies” que Benoît compte faire avec ses gains