Le Québec a souvent eu une relation compliquée avec ses stars vieillissantes.
Le mécontentement au sein du Parti québécois pousse René Lévesque à quitter le parti qu’il avait fondé et à prendre sa retraite. Pourtant, il n’avait que 62 ans. Guy Lafleur, le plus grand joueur de hockey de son époque et idole d’un peuple, a tiré sa révérence à 33 ans parce que son entraîneur ne voulait plus de lui dans l’équipe. Il a même perdu son poste d’ambassadeur de l’équipe après un différend salarial avec le président Ronald Corey.
Une femme semble cependant avoir échappé à cette forme d’âgisme qui survient lorsque des personnes ou des organisations se lassent de quelqu’un. Comme pour Lafleur et Lévesque, les Québécois ont pris l’habitude de l’appeler simplement par son prénom, Janette.
Janette Bertrand entre dans sa centième année et tout le Québec célèbre avec elle. Les festivités ont débuté en septembre avec l’inauguration d’une mosaïque murale représentant son portrait sur la rue Ontario. Le 22 octobre est paru son livre le plus récent, Cent ans d’amour, dont les ventes dépassent déjà les 60 000 exemplaires.
Un mois plus tard, Libre Expression réédité Les recettes de Janette, publié pour la première fois en 1968. Le Salon du livre décerne le tout premier Prix littéraire Janette-Bertrand, destiné à honorer l’œuvre de la grande dame.
Ce n’est pas fini, printemps, En direct de l’univers lui consacrera une émission. Préparez vos mouchoirs. Et le Théâtre Duceppe présentera, en avril, Janette, une pièce sur sa vie dans laquelle Guylaine Tremblay jouera le rôle titre. Rebelote pour les mouchoirs.
Un comité du centenaire, mis sur pied par son agent Jacques K. Primeau, veille au bon déroulement des célébrations de celle qui aura 100 ans le 25 mars. Quatre attachées de presse y travaillent. Janette Bertrand faisait la couverture des magazines Tourner et Bon âge, mais aussi Véro Magazine etElle Québec. « Il n’y a pas un seul média qui a dit non », précise M. Primeau. « Janette, explique-t-il, a fait trente à quarante interviews. Et il n’y en a qu’un qui a été annulé pour cause de santé et c’est le journaliste qui était malade. »
Celle qui soutient Janette au quotidien est sa rédactrice, Johanne Guay. Alors qu’elle dirigeait les éditions Libre Expression, elle publie, en 2004, Ma vie en trois actesune réussite monstre.
Janette est une grande lectrice et c’est à travers ses lectures qu’elle choisit ce sur quoi elle veut écrire.
Johanne Guay, rédactrice
En vieillissant, beaucoup de choses deviennent plus difficiles. J’ai demandé à Johanne Guay comment on peut encore écrire à 99 ans. « J’ai la chance de rencontrer et d’accompagner une auteure dans ses 100 anse année. C’est exceptionnel. » insiste l’éditeur. « Je n’écris pas pour elle, pas même un paragraphe. Je corrige. Nettoyer un texte d’une vingtaine de pages peut me prendre deux heures car elle répète des choses et a parfois des difficultés avec le clavier à cause de son arthrose. Elle a simplement besoin de gentillesse autour d’elle pour que cela se passe comme elle le souhaite. »
Johanne Guay, 68 ans, a pris sa retraite du Groupe Librex il y a trois ans. Elle veille désormais sur Janette et son travail. «Je discute avec elle de ce qu’elle veut dire ou de la façon dont elle voit les choses. Je la défie, mais doucement. Elle a sa vision du monde et ses livres la représentent. »
L’impressionnante popularité de Janette Bertrand s’est manifestée lors de la dernière Foire du livre de Montréal. Une foule nombreuse attendait des heures pour la voir, pour lui dire un mot. Il y avait tellement de monde qu’il a fallu couper la file d’attente.
« Nous devons la protéger. Si on la laisse, elle signera pendant huit heures non-stop, même avec ses mains douloureuses. Elle ne veut pas décevoir ses lecteurs. »
A 99 ans, Janette Bertrand a encore des choses à dire et ça, c’est rassurant. Elle continue de lire tous les jours. C’est une femme moderne, préoccupée par les enjeux de société et l’évolution de la société dans laquelle elle vit.
Si son public reste majoritairement féminin, les hommes étaient nombreux dans sa file au Salon du Livre. « Il y avait trois pompiers qui sont venus la voir. Ils l’ont remerciée de les avoir transformés en hommes. Ils ont pris des photos en disant qu’elles étaient pour leur mère », souligne en souriant l’éditeur.
En cette année du centenaire de Janette, alors que Québec la célèbre, Johanne Guay regrette que l’industrie du livre la boude encore. « Les libraires sont heureux de vendre ses livres, mais le monde littéraire ne reconnaît pas pleinement la qualité de son œuvre. Je ne comprends pas pourquoi il ignore la littérature qui touche un si large public, la vraie littérature populaire. Dans sa plus belle forme. »
Janette publiera-t-elle un nouveau livre ? Son éditrice dit qu’elle verra avec elle ce qu’elle a envie d’écrire. Quant à Janette, elle a passé les vacances en famille. Elle cuisinait, comme toujours. La vie comme elle l’aime. Tellement bien entouré, c’est une belle année qui s’annonce. Pourquoi pas un nouveau titre de Janette ?