Depuis 15 ans, il affirme sa présence attachante et faussement débonnaire dans le cinéma français. Ce mois-ci, il joue dans Le beau rôleune comédie romantique délicieuse et subtile sur la fusion du couple et du métier d’acteur.
Ce mois-ci, William Lebghil est amoureux. Premier dans Le beau rôle, délicate comédie de Victor Rodenbach où il incarne un acteur, en relation étroite avec une réalisatrice (Vimala Pons) depuis dix ans : elle le dirige, il joue. Jusqu’à ce que son envie de cinéma remette leur relation en question. Puis dans Assez Jolieune comédie musicale produite par Diastème avec des chansons d’Alex Beaupain, un hommage à Jacques Demy dans lequel, en tant qu’écrivain, il rencontre son idéal féminin, interprété par Clara Luciani.
William Lebghil est amoureux, et cela lui va bien. Jusqu’à présent, on ne retenait peut-être que sa silhouette maladroite, son regard ahuri et sa voix un peu traînante, silhouette d’éternel adolescent qui n’aurait pas grandi depuis ses débuts dans la série. Soude. Puis, à partir de Signification de la fête a Première année et Un métier sérieuxl’acteur de 34 ans a gagné en stature et en épaisseur. Et cette année il se révèle extrêmement touchant, jouant subtilement sur une corde fragile mêlant humour et sérieux dans des films qui osent faire un pas de côté, plus confidentiels que les blockbusters qui rassemblent les pairs de sa génération. C’était La vie de ma mère en mars, dans lequel, jeune adulte, il devait slalomer entre les humeurs changeantes d’une mère bipolaire, incarnait Agnès Jaoui. Ou récemment la saison 3 deHippocrate où, ophtalmologiste arrogant, il voyait les yeux ouverts par l’état lamentable de l’hôpital public. Aujourd’hui, il fait des merveilles dans ces deux comédies qui mêlent l’amour au présent. Complexe, faussement léger, ambivalent.
Madame Figaro.- Ce qui vous a attiré Le beau rôle ?
William Lebghil.- Je connais Victor, le réalisateur, depuis une dizaine d’années. On a fait un court métrage ensemble, on s’entendait extrêmement bien. Nous nous sommes retrouvés par hasard pendant le confinement que nous passions tous les deux dans un petit village de Charente. Il m’a dit qu’il écrivait un film, qu’il pensait à moi. Quand j’ai lu le scénario, je l’ai adoré. J’aime sa finesse, ses dialogues, ainsi que le fait de jouer un acteur, de parler de mon métier. Et j’aimais aussi parler d’amour : je suis assez romantique.
Ce personnage d’acteur vous ressemble-t-il ?
Oui, parce que j’y ai mis beaucoup de moi, mais en réalité, pas tant que ça : je n’ai jamais travaillé dix ans avec la même personne. Ce que j’ai apprécié dans le rôle d’un acteur, c’est cette porosité entre le jeu et la réalité. Parfois, je peux me laisser surprendre par une scène, la vivre réellement, sans faire semblant. Pouvoir montrer cela était génial.
Est-ce que cela s’est produit dans Le beau rôle ?
Oui, même si la scène a été coupée. Quand mon personnage assiste à une représentation de Ivanovde Chekov, il entend cette phrase sur « l’amour actif » « (…) chaque jeune fille est tentée par l’amour actif (…) Pour nous, l’amour, c’est la vie elle-même. Je t’aime, ça veut dire que je cherche à dissiper ta tristesse, que je veux te suivre jusqu’au bout du monde…», NDLR). J’ai fondu en larmes. Sans forcer, sans jouer. Quand on est acteur, ces petits moments sont des repères, des phares dans la nuit où l’on se dit que l’on a réussi quelque chose. À quoi nous essayons toujours de revenir.
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Le film montre aussi les coulisses du métier, son savoir-faire, ses difficultés…
Oui et c’était un plaisir de jouer dans ce film pour montrer à mes parents que c’est aussi un métier !
Depuis, n’en sont-ils toujours pas convaincus ?
Oui bien sûr. Mais il existe encore une forme de préjugé, selon lequel les acteurs travaillent peu, que leur « don » est inné. Aujourd’hui, c’est un travail fascinant, mais il ne s’arrête jamais vraiment. Quand j’aborde un rôle, il me poursuit. Je vais faire des liens entre tout ce qui m’arrive dans une journée et mon personnage, et me demander si cela peut lui être utile. Cela m’occupe beaucoup l’esprit.
Votre personnage, Henri, subit des échecs et des humiliations, notamment lors des castings. Est-ce que cela vous est arrivé ?
Oui, quand j’avais 16, 17 ans, j’ai passé un casting pour une publicité : j’étais tellement stressée que j’ai découvert de nouveaux muscles de mon visage qui bougeaient tout seuls. J’ai failli m’évanouir ensuite dans le métro. Il y a eu aussi cette fois où j’ai été à moitié insulté par le directeur de casting qui pensait que j’agissais trop mal.
Comment surmonter ces épisodes ?
Par le déni ? (rires) En fait, cela fait partie de ce travail. Comme nous sommes notre propre instrument, nous nous sentons plus facilement visés personnellement par les critiques. Mais il faut arriver à en rire. J’ai eu de grands professeurs qui m’ont appris que la honte et la peur du ridicule étaient les ennemis numéro un de l’acteur. L’accepter est le Saint Graal. C’est ainsi que nous ressentons le plus de liberté.
Être acteur, c’est aussi un métier qui implique la vie privée, comme le montre Le beau rôle .
Oui. J’ai souvent été avec des gens qui étaient dans ce milieu et qui comprenaient donc les enjeux, mais oui, cela reste difficile. Nous faisons parfois des choix quelque peu égoïstes. Quand j’ai commencé à préparer ce film, cela faisait longtemps que je n’avais pas tourné. Pour moi, c’était super important : je voulais bien faire mon travail, je voulais être en forme. Il y a de fortes chances que ma vie personnelle en ait pris un coup à ce moment-là. Mais j’ai prévenu que j’allais être très égoïste, absent, mais que ça finirait par finir. Dans une relation, on est parfois amené à passer ce genre de contrat. L’essentiel est d’en parler, comme on le voit dans le film. C’est quand les personnages ne se parlent plus qu’ils s’éloignent.
Le beau rôle est une comédie romantique. Croyez-vous vous-même au romantisme ?
C’est drôle parce que trois amis et moi en parlions récemment et nous cherchions la définition du mot « romantisme » (il sort son téléphone et le consulte sur Internet, NDLR) : « Une nouvelle sensibilité opposant classicisme, Lumières et rationalité. Elle proclame le culte de soi, l’expression des sentiments dont les passions. Issue de bouleversements politiques et sociaux sans précédent, elle confronte l’homme et l’artiste à un destin improbable et inquiétant. La prédominance de la sensibilité, de l’émotion et de l’imagination sur la raison et la morale : telle est la définition du travail d’acteur. Mais quand cela devient toxique, cela n’a plus de sens. À une époque, j’aimais beaucoup Les souffrances du jeune Werther, Goethe. Puis j’ai réalisé que je ne voulais pas être fan de ce type, c’est trop triste. Dans le vers de Tchekov sur « l’amour actif », il y a du romantisme, mais aussi un espoir et une envie de comprendre l’autre, d’avancer avec lui quoi qu’il arrive. Cet amour inconditionnel est génial, mais j’essaie aussi de me débarrasser de mes illusions. On se dit qu’on va gravir des montagnes et finalement c’est dans les gestes du quotidien, les petites attentions qu’on trouve le romantisme. Un coup de main, une épaule sur laquelle s’appuyer.
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Vous jouez également le rôle principal de Assez Jolie une comédie musicale romantique dans laquelle vous chantez. Est-ce la première fois ?
J’ai rappé Yvesmais ce n’est pas pareil. J’ai adoré ça. Mais j’aime chanter. Je chante sous ma douche comme un fou : je vis pour ellede Andrea Boccelli, Laurent Voulzy, Alain Souchon, beaucoup de variété française et italienne… Je chante même sur le plateau, entre deux prises, ça me détend.
Quelles sont vos comédies romantiques préférées ?
Pizza à la réglisse par Paul Thomas Anderson. J’aime aussi beaucoup Son par Spike Jonze. Des comédies romantiques plus « classiques » L’amour en fait ou Brigitte Jones ne me parle pas trop. je n’ai même pas vu 4 mariages et un enterrement : le côté beau du personnage principal, qui semble n’avoir que l’embarras du choix entre les filles, ne me touche pas. Alors que les personnages masculins comme ceux d’Anderson ou de Jonze me semblent plus « normaux ». En fait, je suis jaloux !