« Le matriarcat est le fondement de la culture amérindienne » – .

Visage de Madonna, rideau de cheveux noirs… autant de traits distinctifs qui ont convaincu Martin Scorsese d’en faire la Joconde dans « Killers of the Flower Moon », son dernier film, aux côtés de Leonardo DiCaprio. Le rôle de Mollie Burkhart, une riche propriétaire terrienne de la tribu Osage confrontée à une série de meurtres dans son entourage proche, lui vaut une reconnaissance immédiate. Un Golden Globe et une nomination aux Oscars plus tard, la voici comme une superstar internationale. Honneur suprême : parmi les Pieds-Noirs, sa tribu, ils ont célébré l’année dernière une Journée Lily Gladstone.

Voix grave, timbre posé, la femme de 37 ans prend désormais la parole pour défendre les couleurs d’un autre long métrage, une perle noire comme seul le cinéma indépendant américain sait en produire. Elle incarne Jax, une Indienne Seneca-Cayuga, réduite à une vie d’assistanat dans une réserve et confrontée à la disparition de sa sœur. Aux États-Unis, ce type de fait divers, banalisé par des décennies d’affaires classées, a son acronyme : MMIW, pour « Missing and Murdered Indigenous Women ». Des « Missing and Murdered Indigenous Women » dont la réalisatrice Erica Tremblay fait le sujet central de « Fancy Dance », et dont Gladstone s’est fait la porte-parole. Entretien avec une femme de luttes.

La transcendance est peut-être la meilleure chose que nous ayons à offrir aux générations futures.

Lily Gladstone

Paris Match. D’apparence presque champêtre, « Fancy Dance » est un film très engagé. Quelle a été votre première réaction à la lecture du scénario ?
Lily Gladstone.
L’histoire m’a tout de suite captivée. Par sa richesse, sa subtilité. Ensuite pour ce qu’elle souligne et les observations qu’elle fait. C’est peut-être la première fois qu’un film décrit avec autant de précision les conditions de vie actuelles des Amérindiens.

Comment en êtes-vous venu à travailler sur ce projet ?
J’avais déjà joué dans un court métrage d’Erica [Tremblay, réalisatrice du film, NDLR] en 2020. Notre entente avait été telle que j’étais prêt à renouveler l’expérience avec elle à tout moment, quel que soit le sujet. [Elle sourit.] Cela dit, même si le rôle a été écrit pour moi, je me demandais quand même si j’allais pouvoir l’honorer… Il m’a fallu du temps pour l’assimiler. Je ne l’ai avoué à Erica que récemment.

Qu’est-ce qui vous faisait redouter de jouer la partition ?
J’ai eu du mal à comprendre pleinement le personnage. Jax avait quelque chose de totalement déconcertant et en même temps d’étrangement familier… Elle me rappelait, à plus d’un titre, des personnes que j’ai connues, des forts tempéraments féminins dans ma famille et certaines figures homosexuelles de mon entourage.

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Comme vous, Jax est le produit d’une double culture : blanche et amérindienne. Vous avez passé une partie de votre enfance dans une réserve des Pieds-Noirs, tribu dont est issu votre père. Vous êtes-vous appuyé sur votre expérience personnelle pour l’incarner ?
Plus que je ne l’aurais pensé ! Jax résume à lui seul une vaste période de ma vie. Elle a les mêmes croyances, dispense les mêmes enseignements, utilise les mêmes médecines ancestrales que les membres de la communauté dans laquelle j’ai vécu enfant, dans le Montana. Mes parents l’avaient rétabli avant que je vienne au monde : ils voulaient que j’y naisse et que j’y grandisse. Pour ce rôle, je me suis aussi inspiré d’un de mes proches cousins ​​avec qui j’ai grandi. Je lui ai emprunté l’approche et l’attitude dont affiche Jax…

Ce personnage est plein d’aspérités… Est-ce que c’est ce qui vous a attiré vers elle ?
J’ai adoré son humour, ses imperfections, le fait qu’elle se sente investie d’une mission – veiller sur sa nièce – même si elle n’était pas sûre d’y parvenir. Il y a chez elle une forme de résilience assez touchante.

Isabel Deroy-Olson (à gauche) et Lily Gladstone dans « Fancy Dance »

©Apple TV+

La notion de transcendance traverse également le film…
En effet, et c’est un élément qui me tient particulièrement à cœur. D’abord dans le constat social qu’il fait, et ce, sans porter de jugement. Contraint à la délinquance pour survivre, Jax finira néanmoins par abandonner ce mode de vie coûte que coûte, pour revenir à une existence plus conforme à ses aspirations les plus profondes… J’ai personnellement été témoin de ce genre d’épiphanie. Il y a chez eux quelque chose de profondément émouvant. La transcendance est peut-être la meilleure chose que nous ayons à offrir aux générations futures.

Vous partagez l’écran avec la jeune Isabel Deroy-Olson. On imagine que jouer avec une actrice débutante est différent de travailler avec quelqu’un comme Leonardo DiCaprio. L’avez-vous guidée ?
Pas vraiment. Dans ce cas, c’est même elle qui m’a permis de comprendre certains problèmes spécifiques à Jax [Elle sourit.] Isabel est incroyablement talentueuse, elle a moins besoin d’être tenue par la main que d’être réconfortée dans l’idée qu’elle est une immense actrice en devenir… J’ai développé un lien fort avec elle. Au point de la considérer comme ma propre nièce. Et de la voir comme mon égale sur le plateau. La relation qui unit nos deux personnages dans le film est unique : l’aîné apprendra à l’adolescent à ne jamais se livrer au conformisme… Je suis particulièrement fier de ce que nous avons pu apporter à l’écran.

Vous célébrez également toutes les deux une certaine forme de féminisme, n’est-ce pas ?
Le matriarcat est le fondement même de la culture amérindienne, lui permettant de se perpétuer à travers les siècles. Il était donc naturel de lui rendre hommage.

Dans le film qui vous a fait connaître, Martin Scorsese dénonce le racisme dont votre communauté a été victime au début du XXe siècle. Faut-il alors considérer « Fancy Dance » comme la version contemporaine de « Killers of the Flower Moon » ?
Absolument. L’un est le pendant de l’autre. « Killers of the Flower Moon » a ouvert une brèche et a permis à un large public de s’intéresser enfin au sujet. Il s’y intéresse désormais de près. « Fancy Dance » reprend le flambeau en utilisant un point de vue un peu décalé : les corps mutilés exposés dans le film de Marty [Scorsese] laisser place au sentiment de perte abyssale généré par la disparition d’un individu et ses conséquences dévastatrices à différentes échelles. Les deux films se complètent dans la lecture qu’ils proposent des événements… Je ne peux que m’en féliciter, à l’heure où le sujet continue de faire la une de l’actualité et où nous n’avons toujours pas nos propres instances souveraines pour nous protéger.

Votre communauté n’est-elle pas soutenue comme elle devrait l’être ?
Il a dû remplacer certaines juridictions au niveau local. Dans le Montana, un groupe de femmes a créé la première base de données dédiée aux autochtones disparus. Le FBI ne l’avait même pas…

Vous relayez souvent des informations directement liées à ces actualités sur votre compte Instagram…
Cela me semble indispensable ! Les acteurs amérindiens sont de plus en plus visibles au cinéma, même s’ils restent sous-représentés.

Faut-il intégrer systématiquement des fictions à caractère social ou politique ?
Je ne crois pas. Notre simple présence à l’écran est en soi révolutionnaire. On ne peut pas nous demander de faire campagne en permanence…

Pourtant, vous êtes vous-même très engagé ! Votre discours ne le prouve-t-il pas ?
Je choisis mes rôles avec soin. J’ose espérer que mon travail contribuera à changer les mentalités. Personnellement, je suis plus attiré par les projets qui véhiculent un point de vue – c’était déjà le cas lorsque je faisais du théâtre, dans les années 2000. Mais je réalise aussi que des franchises comme Star Wars, de par la diversité des acteurs qu’elles incluent dans leur casting, sont politiques sans même le revendiquer. C’est une manière aussi respectable qu’une autre de faire bouger les lignes.

Vous êtes devenu célèbre en l’espace d’un seul film. Comment avez-vous vécu cette ascension fulgurante ?
Le plus détaché possible. L’attention était si grande l’an dernier que j’avais l’impression d’avoir mille projecteurs braqués sur moi. Plutôt que de finir aveuglé, j’ai préféré rediriger cette lumière ailleurs. Notamment sur mon clan, pour qui mon succès avait une saveur particulière. Les retours ont été sidérants. Je suis devenu un mème. [Elle rit.] Les enfants Pieds-Noirs m’envoient des vidéos où ils partagent leurs rêves et leurs envies… Si on ne fait rien, cette grosse machine qu’est la célébrité devient vite impossible à gérer.

« Fancy Dance », disponible le 28 juin sur Apple TV+.

© Apple TV+

« Fancy Dance » : Les chemins de l’injustice

Jax (Lily Gladstone), petite délinquante dans une réserve indienne de l’Oklahoma, veille sur sa nièce Roki (Isabel Deroy-Olson) depuis la disparition de sa mère. Qu’est-il arrivé à la jeune femme ? C’est ce que l’adolescente et sa tante vont tenter de comprendre en suivant ses traces. Elles sont bientôt menacées par les services sociaux et rattrapées par le poids d’un passé familial embarrassant. Leur escapade prend alors des airs d’escapade échevelée. Il y a du « Thelma et Louise » dans cette chronique familiale et sociale au goût d’absolu. Pour son premier long métrage, la scénariste et réalisatrice Erica Tremblay livre un portrait nuancé de deux générations unies par les liens du sang, en même temps qu’elle scrute les motivations d’un pays déterminé à ignorer certains de ses faits divers les plus inquiétants. Un an après sa présentation au festival de Sundance, « Fancy Dance » trouve enfin son chemin à l’écran via la plateforme Apple TV+. Cela fait de Lily Gladstone une héroïne bourrue, aussi muette que diablement attachante.

 
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