« J’ai vu Daniel se couper les veines avec un cutter sur scène en première partie de Talking Heads »

« J’ai vu Daniel se couper les veines avec un cutter sur scène en première partie de Talking Heads »
« J’ai vu Daniel se couper les veines avec un cutter sur scène en première partie de Talking Heads »

Vous avez publié votre premier roman l’année dernière : Le Tout-Puissant. Cette année, vous racontez l’histoire du groupe Taxi-Girl. Pourquoi écrire ?

Tout d’abord, je suis passionné de littérature. J’ai lu des choses assez sérieuses comme Nietzsche, j’ai lu Burroughs (La fête nue), Borges, Freud, Marx, Aristote, Selby Jr., Albert Cohen. J’ai aussi aimé James Ellroy dans les années 80, même si je ne suis pas un grand fan des séries sombres. Daniel et Laurent, en revanche, ont adoré. L’album Seppuku s’est beaucoup plongé dans ce type de livre, comme Raymond Chandler par exemple. Pour ma part, j’écris depuis la fin des années 90. Les paroles, bien sûr, mais cela ne suffisait pas. Je ne voulais pas publier ce que j’écrivais auparavant, parce que j’étais occupé avec autre chose. C’était le moment. Ce sera une trilogie. Je ne suis pas la personne la plus célèbre du monde, loin de là, mon parcours, en revanche, je pense, est très rare dans l’histoire de la musique. Je suis passé d’un groupe maudit à la fin des années 70 à 38 ans à la fin des années 70. années 90, là où cela se passait, puis faire le changement avec Madonna et le star system absolu. J’ai connu l’échec, la traversée du désert… J’ai trouvé intéressant de raconter cela sous forme littéraire.

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Nous allons donc commencer par Taxi-Girl. Le groupe se crée au lycée… Qui se rencontre en premier ?

J’étais au lycée Mallarmé, rue de la Jonquière à Paris, comme Stéphane. Les autres étaient à Balzac. Je rencontre Pierre, nous formons le groupe ensemble. Avant que Stéphane, Laurent et Daniel nous rejoignent, ils avaient un groupe concurrent « Crime sexuel », je crois. À l’époque, tout le monde essayait tout. C’est Laurent qui donnait l’impulsion, il était très énergique, flamboyant et avait un super style quand il jouait.

De votre côté, comment avez-vous commencé à jouer de la guitare ?

Par hasard, à 12 ans. Au lycée, un gars de Mallarmé y jouait. Je me disais, putain, c’est génial. A l’époque, il n’existait pas de tutoriels. Les cours étaient très chers. J’avais une technique absolument moyenne, mais je pense qu’en revanche, j’avais beaucoup de style et d’idées.

Que recherchiez-vous à travers la musique ?

La contre-culture. Je ne voulais absolument pas participer à la société française. Cela s’explique par le fait que je viens d’Afghanistan, et que je suis arrivé en France à six ans, je pense. Jimi Hendrix a déclaré : «Je viens de la planète Mars”. Je me demande si cela ne m’a pas influencé. J’ai gardé des souvenirs inoubliables de mon pays d’origine. Nous vivions tous en famille avec des montagnes de 8 000 mètres au loin. Ce sont des paysages vertigineux, même lorsque j’y suis retourné en 2011. Il n’y avait rien, mais j’avais une famille à laquelle j’étais arraché. Et je me suis retrouvé dans le 18ème arrondissement de Paris. Au départ, on m’a dit que c’était pour trois ou quatre ans, on n’est jamais revenu. Je n’étais pas un migrant, hein, j’avais le statut de réfugié, mon père était un haut fonctionnaire et il a perdu tous ses biens, il a connu la faillite, c’est vrai. Je suis très sensible à ce qui se passe actuellement à Gaza.

Vous expliquez dans le livre que le silence de l’appartement familial ressemblait à la mort. Les riffs de guitare ont été utilisés pour vaincre l’ennui et la mort ?

Mon père a abandonné sa carrière. Très étrangement, je n’ai jamais compris pourquoi… Je pense que c’est pour ma mère. Ensuite, ils ont décidé d’ouvrir un magasin de vêtements afghans, cela a bien fonctionné au début. Et moi, au milieu de tout ça, je m’ennuyais… C’est pour ça que je suis passé à la guitare. Il y avait quelques éléments familiaux qui rendaient la situation insupportable. J’ai dû m’échapper. Je n’arrivais pas à me concentrer sur mes études, il y avait trop de problèmes. J’ai été expulsé de trois lycées. Alors j’ai fait quelque chose d’artistique, ça m’a fait me sentir vivant. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, c’était tout ce que j’avais. Mon rêve était de jouer dans un groupe. Quand nous avons formé Taxi-Girl, j’avais 16 ans et demi, peut-être 17 ans.

Daniel Darc, chanteur du groupe, a lui aussi grandi dans une famille traumatisée. Sa grand-mère a été gazée, sa mère rasée par les Allemands à la Libération. Est-ce qu’il s’est coupé les veines à 16 ans ?

Je ne l’ai jamais vu se couper les veines devant moi à ce moment-là, mais je l’ai vu le lendemain, oui. Et puis, sur scène, au Palace, à ma gauche, j’ai vu Daniel se couper les veines au cutter dans la première partie de Talking Heads, il y avait tellement de sang qu’on a pris du recul… Est-ce que c’était lié au passé ? Il est né en 1959, 14 ans après la guerre. C’était pourtant très, très serré. En plus son père ne parlait pas, il était fourreur, donc prolétaire, je pense qu’il était un peu alcoolique, tous ces traumatismes n’étaient pas traités psychologiquement… Ça laisse forcément des traces.

Son mal-être résidait aussi dans le fait de ne pas avoir fait son coming-out ?

Oui, il l’a expliqué lui-même. Il y avait une latence très élevée. Il avait cette sensibilité et il ne pouvait pas l’accepter, donc il y avait un énorme conflit en lui, cette sorte d’ambivalence pendant très longtemps. Même si je pense qu’il était bisexuel, parce qu’il aimait vraiment les femmes avec qui il était.

Vous évoquez de nombreuses disputes entre les membres du groupe et avec d’autres. Comme ce jour où Daniel Darc a jeté une pizza dans la tête du chanteur Pierre Billon, gratuitement, sur RTL. Était-ce ingérable ?

Je pense que c’était Pierre Billon, oui. Ce n’était pas pratique… Je pense que les groupes de rock, ceux des années 60 en tout cas, même les Stones, les Beatles, ont été des lieux de rivalités, de gens qui s’opposaient, dès le départ. C’est une histoire de mâles alpha… Personne n’aimait ce groupe et je pense que j’avais le « rôle principal ». J’avais des projets, je les obligeais à répéter parce que nos concerts n’étaient pas vraiment parfaits… J’étais toujours dans l’attitude « ok, faisons-le ». Pour comprendre l’état d’esprit des autres, il faut penser aux fous, comme Kanye West, qui pensent que tout ce qu’ils font est génial. Quand Kanye West se rend à Glastonbury pour reprendre Queen, il ne peut pas chanter sans autotune…

La photo de couverture porte-t-elle les marques de cette violence ?

Pierre et Daniel se sont battus la veille, il y a encore des marques sur leurs visages. C’est pourquoi je l’ai choisi. Pierre René-Worms nous a suivi, comme tout le monde à l’époque. Je l’ai pris aussi, parce qu’il représentait vraiment qui nous étions. On retrouve clairement ce sentiment du groupe sorti de rien. J’avais aussi besoin de montrer que nous étions un groupe moderne, même s’il est vieux.

Mirwais (à gauche) en couverture de Taxi-Girl. ©Pierre René-Worms

Dans Taxi-Filletu expliques que les autres voulaient te virer ?

On était dans un système hystérique, c’était un peu sacrificiel. Pour continuer, il fallait brûler quelqu’un. C’est pour ça que Taxi-Girl était très intéressant, je pense que c’était vrai, parce qu’il y avait cette animalité, cette sauvagerie. C’était tragique mais il y avait une sorte de chaleur dans ce groupe. Nous luttions, c’était la vie, c’était la nature sauvage de la vie. Stéphane a été viré. J’étais assez amical avec lui, nous nous soutenions mutuellement dans notre refus de plonger dans l’hystérie et le délire des trois autres. C’est moi qui ai donné le signal de le virer. C’était une erreur. Pour ma défense, j’étais jeune.

Vous arrêtez la drogue plus rapidement que les autres. Pour quelles raisons ?

Monter sur scène a été une révélation. Et soudain, je n’ai plus eu besoin de médicaments. J’étais maigre aussi. Il fallait être fort, mine de rien, pour gérer ça, il y a des métabolismes qui ne tiennent pas. J’ai fait des bad trips. Et puis, je n’avais aucun renfort pour moi : les autres vivaient chez leurs parents, ce qui leur permettait malheureusement de planer encore plus. Rocher (le batteur, mort d’une overdose en juillet 81, NDLR) C’était juste quelqu’un qui essayait d’explorer la drogue. Il se serait certainement calmé. C’était une tragédie.

Quelles traces avez-vous laissées à Taxi-Girl ?

Je pense que nous avons fait la transition vers une musique véritablement moderne : synthpop, darkwave, post-punk. Je pense que Daniel n’a pas compris ça. Il voulait faire un groupe punk parce que je pense qu’il voulait tester sa testostérone. Daniel, il parlait des Stooges, “le rock est dangereux », mais écoutez comment il chante. Nous l’avons compris et je pense que Taxi-Girl était pour lui la meilleure synthèse possible. Nous étions très rock sur scène et nous avons compris que la production était très importante. C’était plus subversif que de faire « uniquement » du punk français. Nous avons également « fondé » Virgin de manière métaphorique. Ils voulaient nous signer, nous avons conclu un « label deal », et de ce « label deal » est née la première production internationale à succès de Virgin : « Paris Latino » de Bandolero est sur notre label. Nous avons fait l’appel aérien qui a permis à Virgin d’attirer les autres artistes. Téléphone, la Rita Mitsouko est arrivée plus tard. J’explique avec une grande tristesse que la musique française a décollé sans nous…

Avant de revenir sur le devant de la scène grâce à la musique électronique, vous avez vécu un voyage à travers le désert après Taxi-Girl. J’imagine que c’était compliqué à gérer…

D’autant plus que nous avons été arnaqués. C’est pourquoi un passage du livre s’appelle Direction supérieure. J’en sais beaucoup sur les escroqueries. La sauvagerie humaine est épouvantable lorsqu’elle se traduit dans le domaine de l’art, lorsque certains volent des droits, s’utilisent eux-mêmes. C’est impardonnable de gâcher une carrière comme ça. Parce que si on faisait de la musique, c’était parce qu’on était déprimés. Nous n’aimions pas l’entreprise. Malgré la violence, nous étions pour la plupart humains. Vous voyez, j’ai encore de la rage aujourd’hui.

Vous vous êtes finalement orienté vers la musique électronique. Vous signez ensuite avec Naïve et partez Production, avant de travailler avec Madonna. Comment se réalise cette collaboration ?

Quand j’ai signé chez Naïve, parce que j’avais Science du disco, Frédéric Rebet souhaitait également que je signe une licence avec le réseau indépendant Sony. Cependant, je voulais un label américain différent de Sony. Il se trouve que j’avais un ami Stéphane Sednaoui devenu star du vidéo. Il avait réalisé un clip pour Madonna et il connaissait son manager. J’ai envoyé ma musique à Maverick Records, son label, car Prodigy était là. Je pense que j’étais plus proche de Prodigy que de Daft Punk. C’était plus rock. En conséquence, le manager l’a vraiment apprécié et l’a transmis à Madonna. Dit-elle : “C’est exactement ce que je recherche.” Elle travaillait sur l’album qui succéderait à rayon de lumière avec William Orbite. Elle a fini 12 des pistes, alors je me suis lancé et j’ai finalement roulé sur l’album. Elle voulait absolument faire Science du disco. Moi, j’étais plutôt électro-folk au Ne me dis pas. C’est de là qu’est né le concept du cowboy que tout le monde a pris d’affection. Y compris maintenant avec Beyoncé. Les cyber-folks en fait. Finalement, je n’ai pas signé avec son label, mais par contre j’ai travaillé avec elle…

Comment jugez-vous l’industrie musicale actuelle ?

Il y a deux états. L’étendue du marché est magnifique, merveilleuse, démocratique. C’est mieux qu’avant. Dans les années 80, le tiers monde n’avait pas accès à une musique de qualité. Je tourne à plein régime sur Spotify, YouTube et Cie mais pas pour la qualité du service, c’est pour la rémunération de l’artiste qu’il va falloir améliorer. Les artistes de niche, tous ceux qui veulent faire de la bonne musique et être indépendants, ne gagnent rien. C’est devenu l’affaire des riches. Ce ne sont pas les meilleurs qui sont exposés. Les gens courageux font de la musique, ne se prostituent pas pour des nerds. À un moment donné, s’ils n’ont pas de travail à côté ou d’argent familial, ils sont obligés d’abandonner. Ce qui explique pourquoi le niveau de musique est très, très bas. Les artistes qui réussissent sont des directeurs artistiques complètement mégalomanes. Comme dans la mode, tous les trois mois, les choses changent.

 
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