la voix, le geste et le ressort

la voix, le geste et le ressort
la voix, le geste et le ressort

Pour leur troisième collaboration après Patients et Vie scolaireMedhi Idir et Grand Corps Malade s’essayent à un biopic musical. Ils retracent l’ascension au sommet de l’affiche d’un Charles Aznavour aux humeurs tourmentées dans un portrait ambitieux teinté d’une mélancolie sincère, interprété par un redoutable Tahar Rahim qui brille ici dans son plus beau rôle. Malgré quelques fausses notes dans le scénario, le film rend un vibrant hommage à la plume et à la poésie intemporelles du comédien des mots et magicien de la mélodie. Lui qui, comme personne, chantait toute la tendresse du monde, la rage de l’existence et la peur du vide.

Derrière la biographie léchée du fils de réfugiés arméniens propulsé en tête de l’affiche par une Edith Piaf impertinente qui saura capter en lui un talent pur et une soif de gloire irrépressible, Monsieur Aznavour distille en filigrane le parfum mélancolique des espoirs disparus, des bonheurs disparus et de l’humidité du passé que nous portons avec nous.

Ludique mais parfois raide et emphatique, la mise en scène, de Mehdi Idir et Grand Corps Malade (Patients et La vie école), capture les vertiges profonds ; celle de la quête existentielle de l’artiste, tout en abordant avec tendresse chaque couche de son personnage, aussi complexe qu’affectueux. Car, plus qu’un grand amoureux de la scène, un travailleur acharné, un mari insatisfait ou un père absent, Charles, de son vrai nom Aznavourian, reste avant tout une énigme, un homme incompris replié sur lui-même, obsédé par le temps qui passe. , tiraillé entre la nostalgie d’un hier joyeux le reliant à la chaleur réconfortante de ses racines et de sa famille, et la fièvre glaciale, solitaire et fière d’un lendemain triomphant sous les acclamations d’un public conquis. Lui, le petit débrouillard d’en bas, de la rue, de la misère ordinaire qui, contrairement aux stars du music-hall fabriquées par Hollywood comme Frank Sinatra dont il convoite l’incroyable cachet, n’a rien formé pour en arriver là.

Les deux réalisateurs recréent un faux Paris en sépia fantomatique où le spectacle est roi, le théâtre de l’éblouissement histoire de réussite d’un jeune Aznavour, déjà perfectionniste, débordant de projets et d’ambitions. Le scénario cherche ainsi à condenser cette trajectoire en dents de scie, parsemée de rencontres et de ruptures brutales : du duo fou créé avec le pianiste et acolyte Pierre Roche au coup de foudre artistique avec La Môme, à qui il doit sa carrière internationale (« laborieuse des débuts mais une répartition intéressante”, dit-elle à celui qu’elle surnommait le “génie stupide”), à travers des soirées showbiz en compagnie de Trénet et Bécaud, puis, plus tard, à travers le traumatisme indélébile causé par le suicide prématuré de son fils Patrick à l’âge de vingt-cinq.

Toujours à bonne distance, la caméra met en valeur le regard triste et la silhouette nerveuse d’un Tahar Rahim habité qui reproduit avec précision chaque geste et chaque intonation. Sensible, empathique, mais aussi respectueux, son jeu tente de décortiquer au plus près l’émotion contenue de Charles lorsque, errant de galères en galas, il se heurte peu à peu à l’hypocrisie de la profession, aux critiques acerbes, voire racistes, de journalistes. , et promet à ses détracteurs d’entrer un jour au panthéon de la chanson française.

Chapitre chronologiquement, Monsieur Aznavour scrute la plume toujours fière du magicien des mots, son sens du détail et de la césure, mais aussi la vitalité rigoureuse de sa poésie à la fois brillante, fantaisiste et sensuelle qui touche droit au cœur et donne des frissons. Saluant la différence, défiant la pudeur masculine, certains de ses textes osent même ouvrir des brèches comme l’illustrent les rimes enveloppantes du célèbre « Comme on dit », première chanson de variétés sur l’homosexualité dans laquelle Aznavour incarne, avec une audace rare à l’époque, un personnage travesti. Tel un clown triste enlevant un à un ses postiches à la fin du numéro, l’artiste se met à nu à travers chaque mot qu’il interprète, non pas par souci d’exhibitionnisme, mais pour être plus proche de lui-même. En effet, le film fait la part belle au spectacle ainsi qu’aux grands succès qui composent le répertoire légendaire d’Aznavour (” Je me suis déjà vu », « Pour moi formidable », « Hier encore », « Bohême », « Prends-moi », « Désormais “). Toutes ces mélodies aux fortes connotations autobiographiques traduisent des sentiments universels d’une infinie simplicité, cristallisent des romances contrariées, des rêves perdus, et révèlent de sombres contradictions intimes. Les pages blanches du cahier sur lequel il griffonne ses mots ressemblent alors aux défauts intérieurs qu’il faut combler pour s’endurcir et mieux performer. Passé de l’ombre à la lumière, Charles change de costume alors qu’il s’apprête à quitter ceux qui l’ont escorté vers la gloire. Le garçon vulnérable, effacé et en perpétuelle recherche de reconnaissance, se transforme ainsi en un homme d’affaires solide et riche, une métamorphose excentrique qui donne son titre au film. Monsieur Aznavour aborde également sa relation complexe avec les femmes qui traversent sa vie, magnifiant la beauté du lien qu’il entretient avec Aïda, sa sœur, à laquelle il s’accroche comme un phare dans l’obscurité.

S’il souffre malheureusement de séquences plus maladroites – notamment celle du débarquement sur Ellis Island, île d’immigrés et véritable porte d’entrée vers le rêve américain, qui, construite en réponse à l’exil arménien évoqué dans l’incipit, débouche ici sur une scène d’audition anecdotique. , ou encore le passage symbolique du flambeau au tout jeune Johnny Hallyday sur le langoureux” Retiens la nuit » donnant lieu à une impression d’inachevé – mais aussi de quelques ellipses et impasses (un trop bref clin d’œil à Tirez sur le pianiste de Truffaut, pas de virage vers les rôles au cinéma, les ennuis fiscaux ou l’idylle secrète avec Liza Minnelli…), le biopic ressuscite le ton voilé et les ambiances tourmenté par celui qui chantait comme personne toute la tendresse du monde, l’amour malheureux et la rage de l’existence.

Monsieur Aznavour – Bande-annonce

Synopsis : Fils de réfugiés, petit, pauvre, à la voix rauque, on disait de lui qu’il n’avait rien à réussir. A force de travail, de persévérance et de volonté hors du commun, Charles Aznavour est devenu un monument de la chanson, et un symbole de la culture française. Avec près de 1 200 titres interprétés à travers le monde et dans toutes les langues, il a inspiré des générations entières.

Monsieur Aznavour – Fiche technique

Réalisateur et scénario : Mehdi Idir et Grand Corps Malade
Avec : Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup, Camille Moutabangun, Hovnatan Avedikian, Luc Antoni, Ella Pellegrini…
Réalisation : Éric et Nicolas Altmayer, Jean-Rachid Kallouche
Photographie : Brecht Goyvaerts
Editing: Laure Gardette
Décor : Stéphane Rozenbaum
Costumes : Isabelle Mathieu
: Varda Kakon
Distributor: Pathé
Durée : 2h13
Genre : Biopic musical
Sortie : 23 octobre 2024

 
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