«Je voulais élever ma fille à l’opposé de la façon dont j’ai été élevée»

«Je voulais élever ma fille à l’opposé de la façon dont j’ai été élevée»
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ENTRETIEN – Le premier livre de Nadia DaamL’enfantest la chronique pleine d’humour et d’humour du quotidien d’une famille monoparentale : la sienne.

Dans L’enfant (1), récit d’un voyage intime sur lequel se greffent de vastes questions de société, Nadia Daam mêle l’humour à l’intelligence, l’ironie et la mélancolie pour raconter sa vie avec sa fille. Elle raconte l’histoire de cette enfant qui grandit sans père, ses propres incertitudes, le rapport au corps et à la perfection, les stéréotypes sexistes et parfois racistes, l’enfance et l’adolescence de celui qu’elle élève, qui lui rappelle la sienne. Et comment une relation de soin, de protection et d’éducation peut se transformer en une forme de sororité… Entretien.

L’enfant, Nadia Daam, éd. Grasset, 176 p., 17 €.
Presse.

Madame Figaro.- Avez-vous eu envie, avec L’enfant faire la lumière sur la monoparentalité ?

Nadia Daam.- Oui, car il n’est pas beaucoup représenté. Quand on est mère célibataire, et qu’on est enfant d’un foyer monoparental, on ne se voit nulle part ailleurs. Ma fille est la seule dans sa classe dans cette situation, et ni la télévision ni les livres ne proposent beaucoup d’histoires sur la monoparentalité. Je voulais le rendre plus lisible et visible pour les autres, pour raconter les défis auxquels nous sommes confrontés. Aujourd’hui, le quotidien est plus simple car ma fille est en dernière année de lycée et est plus indépendante que lorsqu’elle avait sept ou douze ans. Il n’en demeure pas moins que nous sommes seuls responsables de l’équilibre de notre famille, qu’il suffirait que je perde mon emploi pour que ce soit le chaos, et que je suis aussi le seul à prendre les décisions concernant son éducation. Ce qui est bien, c’est que nous sommes généralement d’accord avec nous-mêmes ! Mais quand je couchais ma fille le soir, je repensais à la journée et je me demandais si j’avais bien fait de la gronder pour ceci ou cela, si j’avais pris les bonnes décisions, si un problème ne m’avait pas échappé. elle ne m’en avait pas parlé. C’est épuisant, ne serait-ce que physiquement, car on travaille sans personne pour récupérer l’enfant, planifier les repas, s’occuper de l’organisation du foyer. Nous sommes sollicités de partout et nous passons notre temps à nous justifier – auprès de l’école parce que nous sommes absents à la réunion parents-profs, ou auprès de notre employeur parce que nous devons rester à la maison près de notre enfant malade.

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Vouliez-vous aussi parler de l’éducation des filles, notamment par rapport au corps ?

Toute une partie de la pensée féministe s’intéresse au corps féminin et à la manière dont il est perçu et façonné par les normes sociales, et j’avais de grands projets pour ma fille. Je voulais l’élever complètement à l’opposé de la façon dont j’ai été élevé. J’ai été beaucoup ramenée à ma condition de fille quand j’étais enfant, j’avais des frères et j’entendais toujours des adultes dire : « Il ne faut pas pleurer comme une fille », « Attention, tu cours comme une fille », « Ne fais pas ça, c’est un truc de fille. J’ai grandi avec l’idée qu’être une fille était moins bien qu’être un garçon. J’étais donc déterminé à corriger tous ces préjugés sexistes. Mais ces grands principes se sont heurtés à la réalité et j’ai vu ma fille succomber à cet intangible de la vie des femmes que j’appelle « la Règle » : ce moment où elles vont se regarder d’une manière extrêmement sévère, considérer qu’elles n’en ont pas assez ou trop de seins, ils sont trop gros, trop petits, etc.. Je n’ai pas pu empêcher ma fille de se regarder dans le miroir et de ne pas toujours s’aimer. Les jeunes femmes continuent d’être confrontées à des normes inatteignables, et même si j’ai grandi avec les magazines féminins et la télévision, les réseaux sociaux poussent désormais les jeunes comme les adultes à constamment se comparer aux autres et à s’excuser.

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Vous parlez aussi du « fantasme boueux de la femme nubile mais encore un peu conservée dans l’enfance ». Que veux-tu dire ?

Neige Sinno dans Tigre triste rappelle que le stéréotype de la Lolita est né d’un contresens absolu qui légitimait d’une certaine manière le viol et la pédophilie. Nabokov n’a cessé de proclamer que Lolita n’était pas une petite perverse mais une enfant débauchée, une victime ; il n’a eu de cesse de déconstruire cette idée du fruit défendu. Pourtant, cette confusion a laissé des traces et contribue encore aujourd’hui à esthétiser et légitimer l’érotisation d’un corps juvénile. Si l’on revoit le clip de Lio pour la chanson « Banana Split » ou le clip d’Alizée pour « Moi, Lolita », on se rend compte que le phénomène continue. Sauf que lorsque les gens ont commencé à remettre cela en question, ils les ont critiqués, sans se rendre compte qu’ils étaient trop jeunes pour comprendre le message véhiculé.

Votre parcours nous permet aussi de réfléchir à ce qu’est un transfuge de classe…

D’un point de vue sociologique, j’en fais partie dans la mesure où j’ai effectivement changé de classe. Nous sommes nombreux dans cette situation. Mais on assiste aujourd’hui à un phénomène d’usurpation de cette identité – j’entends parfois des fils d’enseignants le revendiquer alors qu’être transfuge de classe, c’est aussi ne pas avoir bénéficié d’un certain capital culturel. De plus, mon problème avec cette histoire est que, comme toutes les catégories, elle essentialise les identités. Je ne suis pas seulement issue d’un foyer modeste, je suis aussi une femme, une mère, une mère célibataire, une enfant d’immigrés… Et puis vivre dans une famille pauvre, ce n’est pas que de la violence ! Enfin, la romantisation du transfuge de classe me dérange. Je ne voyais pas venir ce moment où l’on pouvait espérer bénéficier d’une enfance difficile ou avec des insuffisances, et je ne le comprenais pas. Même chose pour la valorisation artificielle des origines étrangères… Quand j’ai grandi, on ne voyait pas de familles immigrées maghrébines à la télévision ou au cinéma, et les rares fois où on les représentait, c’était à travers des publicités. « Couscous Garbit » et tapis berbères. Cette publicité est pour moi l’incarnation de ce qu’on appelle aujourd’hui l’appropriation culturelle, tout comme Zoubida de Vincent Lagaf a été pour moi extrêmement violent, d’autant plus que j’ai dû faire semblant de trouver ça drôle. J’ai passé un temps infini à mentir sur le métier de ma mère ou à cacher d’où je venais, et je vois désormais des gens qui monopolisent ou inventent des origines modestes et/ou étrangères…

(1) L’enfant, Nadia Daam, éd. Grasset, 176 p., 17 €.

 
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