Tremblement sismique d’une ampleur rare au Théâtre Quat’Sous. L’actrice Évelyne brisée offre un grand service en chambre Tout çal’un des shows les plus puissants et les plus contrôlés de ces dernières années.
Seule pendant une heure sur une scène presque vide, au halo d’un unique projecteur, l’actrice nous raconte d’un grand souffle toute la vie d’une femme, de la naissance à la mort.
Des débuts d’un bébé, aux regrets de l’aîné jusqu’au crépuscule de son existence, elle est tantôt l’enfant en quête d’autonomie, tantôt l’adolescente qui vit ses premières émotions, tantôt la mère qui tient son enfant dans ses mains. Elle est cette femme unique, mais aussi toutes les femmes du monde. Même dans les plus petites fibres de son corps.
Pour raconter cette vie passagère, pleine de petits et de grands moments, Romptée Cane ne peut se cacher derrière aucun artifice. Sa seule arme, ce sont les mots de l’auteur britannique Alistair McDowall, traduits par la carrière de dentelle de Fanny Britt.
Pourtant, l’actrice gère cette partition vertigineuse et exigeante avec une maîtrise étonnante. Chaque parole, chaque son et chaque silence se déposent à nos pieds dans leur forme la plus pure et la plus juste.
On ne peut qu’être happé par le rythme des phrases captées, par les émotions qui surgissent sur le visage de l’interprète et par son talent rare à nous faire passer d’une étape de la vie à une autre par un geste simple, un simple inflexion de la voix.
Ici, le temps qui file dans le sablier des années prend une autre dimension, plus tangible. On se rend compte que toute vie reste un chapelet de petits moments et de grandes décisions. Et surtout, que ça passe en éclair. Le soir de la première, de nombreux spectateurs étaient d’ailleurs émus aux larmes en voyant cette existence ordinaire et grandiose se déployer sur scène.
Il ne fait aucun doute qu’Évelyne Rompré est une actrice d’un autre calibre; Ce spectacle le prouve à qui doutait encore.
-À la mise en scène, Louis-Karl Tremblay a choisi la voie du dénuement pour laisser toute la place au langage. Il offre une proposition d’une grande cohérence, notamment grâce à une mise en lumière très efficace (signée Robin Kittel-Ouimet) qui ponctue de ce qu’il faut pour discret certains passages de l’histoire. La conception sonore d’Antoine Bédard est une modification.
Louis-Karl Tremblay signe un autre grand succès sur la scène théâtrale montréalaise, la pièce Ma petite pouliche Présenté à La Licorne (dans lequel a également brillé sur Dérelyne brisée). Dans les deux cas, le réalisateur a réussi à intégrer dans le spectacle des symboles forts qui se transforment en autant d’images puissantes qui collent longtemps à la rétine.
Verser Tout çail a choisi d’ouvrir et de clôturer le spectacle avec une simple sentinelle qui éclaire la scène. Cette ampoule sur pied, censée veiller sur les planches en l’absence des comédiens, rappelle le mystère de la naissance et de la mort. Mais il témoigne aussi avec force de la puissance sans cesse renouvelée des arts vivants, même dans l’obscurité la plus épaisse.
Ce spectacle époustouflant et incontournable (le mot n’est pas trop fort) rappelle que l’humanité trouve toujours la lumière qui lui convient sur une scène de théâtre.
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Tout ça
Texte d’Alistair McDowall, traduit par Fanny Britt. Réalisé par Louis-Karl Tremblay. Avec Rumée Surrées
Théâtre Quat’SousJusqu’au 15 février
9/10