Pour la 29ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco – du 22 février au 1er mars 2025), le Sénégal est représenté par 16 films, toutes catégories confondues, sur les 235 en compétition à cette grand-messe du cinéma africain. .
Une observation ressort. Quatre séries télévisées porteront le drapeau sénégalais : « Hair Lover », « Debbo », « Les Aventures de Kady et Djudju » et « Milimo ». Nous éviterons volontiers les débats sur la prétendue domination des séries sur les films d’art, les soucis de financement malgré l’existence du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle du Sénégal (Fopica), la lancinante question de la distribution de nos films malgré la résurgence quoique timide des cinémas à Dakar, l’industrie du cinéma qui balbutie étrangement depuis plusieurs décennies, etc.
Au-delà des considérations scientifiques, il y a la volonté du public dans les tranchées. Une réalité que certains réalisateurs ou maisons de production ont bien saisi. Outre « Hair Lover », les séries sénégalaises sur le plateau du Fespaco sont ignorées du grand public. S’étant démarquées parmi des centaines de productions, force est de constater qu’elles sont brillantes par leur qualité et répondent aux critères cinématographiques. Mais « le peuple » reste friand, voire accro, de « Bété-Bété », « Famille sénégalaise », « Xalisso », « Cœurs Brisés », « Baabel », « Infidèles », et tutti quanti. C’est un assaut de la réalité contre la réalité. Au cinéma, la réalité désigne le reportage d’un fait dans sa simplicité. Alors que la réalité est une représentation de la réalité, suivant une esthétique élaborée.
Exemple : pour critiquer le président Senghor, la réalité est de le dénoncer et de mettre en avant les opposants qui l’attaquent. Pour en réalité, citons le film « Xala » (1975) de Sembène Ousmane, adapté du roman éponyme (1973, même auteur). On y voit un homme noir, à lunettes, distingué, redingote sur mesure, paroles polies, rusé, voire sournois à souhait. Il arrache le pouvoir des Blancs à la Chambre de Commerce, avant d’adopter toutes leurs évasions pour devenir un symbole du néocolonialisme. Une délicate caricature du prési-poète.
Cette exécution requiert une maîtrise sublime et une élégance pratique, et le spectateur doit avoir acquis les sciences humaines pour pénétrer les lignes et en saisir le sens. Pourtant, aujourd’hui, les gens ont hâte d’aller à « l’essentiel ». C’est l’heure d’Amul ! Focus sur la série « Bété-Bété », de la maison de production EvenProd. Cette belle chronique sociale révèle de nombreuses réalités vraies et nues de notre société. Tout le monde est là, car chaque actrice ou acteur reflète nos identités. Il n’y a quasiment aucune prétention des scénaristes ou des réalisateurs à dessiner des couleurs sur les personnages. Ils se présentent tous avec leur part d’ombre, leur naïveté, leur innocence, leur abjection, leur violence, leur humanité.
Cette méthode nous ébranle jusque dans nos croyances les plus profondes et nos raisons apparentes. Certains ont eu la tourmente de découvrir leur sectarisme, leurs débilités ou leur voyeurisme (Pourquoi pensez-vous aux courbes de guêpe de Dieynaba Tall ? Eh eh !). EvenProd fait partie du mouvement machiavélique. À l’esthétique, il préfère le pragmatisme et le génie, cherchant délibérément à choquer. Et ça marche pour lui. Il n’y a qu’à regarder sa ribambelle d’annonceurs qui s’insèrent même dans les dialogues et occupent vingt minutes des épisodes vus en moyenne par 4M d’internautes sur YouTube (On ne compte pas ceux qui regardent à la télé).
Ces séries fonctionnent parce qu’elles sont brutes et nous confrontent à nos dénégations, nous qui sommes si versés dans le kersa et le masla. Ils affichent nos attitudes. C’est de ça qu’il s’agit. Dans nos comportements comme dans nos relations, les gens en ont assez de porter des masques édulcorés et maquillés par des codes sociétaux. Nous vivons dans un village de convivialité, même si en réalité il s’agit d’un panier à crabes. Pourtant, cette génération dit en avoir assez de la « comédie ». Il faut se déshabiller et être vif, comme dans une bagarre de bordel. Nous souffrons de la disgrâce. Ce machiavélisme touche presque tout. On ne prend plus le temps de bien flirter, de bien sentir, de bien digérer, de bien articuler, de bien se comporter. Enfin, faire les choses bien. Malheureusement, la situation pourrait empirer. Na ñaaw, proclamons-nous.