Le 6 janvier 2025, le Président français, SEM Emmanuel MACRON, a tenu des propos axés sur les relations avec l’Afrique, lors de la 30ème conférence des ambassadeurs de France. Si ces propos étaient attendus dans leur forme en raison de la nature de la rencontre, ils ont en revanche fondamentalement choqué les Africains et provoqué des réactions très vives de la part des pays reconnus pour l’excellence de leurs relations avec la France, selon l’ambassadeur François Oubida. À l’analyse, la virulence desdits propos est cependant le reflet du contexte et de l’environnement dans lesquels ils ont été tenus, estime-t-il.
Contexte : la conférence des ambassadeurs est un moment fort dans le processus de mise en œuvre de la politique étrangère des États. Les ambassadeurs se renseignent sur les priorités du moment et s’équipent pour servir de ponts entre leur pays et ceux d’accréditation. Les ambassadeurs français, notamment ceux en poste sur le continent africain, doivent certainement se poser beaucoup de questions face au rejet quasi unanime de la politique française. Il était donc tout naturel que le président de la République partage son ressenti, donne les directives appropriées et trouve les mots susceptibles de remonter le « moral de la troupe ».
Du côté de l’environnement : sur le plan interne, le président de la République est victime de ses propres turpitudes. Il pensait faire le bon choix en dissolvant l’Assemblée nationale française mais il s’est vite rendu compte que son peuple lui avait tourné le dos. Loin de s’amender et de tirer les meilleures leçons, il s’est mis les pieds dans les filets en prenant en otage la volonté exprimée par son peuple lors des élections. Le premier gouvernement qu’il a imposé n’a pas résisté à la sanction des représentants du peuple. Le second vient de sortir de l’œuf et n’a d’autre souci que de négocier, même avec ses pires ennemis, sa survie.
Par ailleurs, ne perdons pas de vue que le président est pratiquement au terme de son dernier mandat. Les récentes élections législatives ont montré que son mouvement n’a plus d’importance pour les Français. Il n’y a pas d’avenir politique pour lui dans la configuration actuelle.
À l’extérieur, l’Ukraine est devenue un os très difficile à ronger. Les Français ont montré à plusieurs reprises que leur président n’était plus à la hauteur de leurs attentes, tant sur ce dossier que sur celles concernant l’ensemble de ses options stratégiques internationales.
Face à ces aléas, que pourrait réellement dire le président à ses ambassadeurs ? Il lui semblait sans doute plus important de profiter de la tribune pour montrer à son peuple l’image d’un président qui reste le maître à bord, en attaquant de la pire des manières les dirigeants africains, quitte à s’humilier encore davantage. en empruntant les termes et méthodes propres aux ténors du Front national français. N’est-il pas simplement à plaindre ?
Quoi qu’il en soit, cette approche n’a pas eu l’impact escompté. Au contraire, cela a eu pour conséquence d’affaiblir davantage le président au sein de son peuple, surtout lorsque les pays qui semblaient être restés ses seuls soutiens en Afrique sont montés au créneau pour nier de manière irréfutable certaines allégations qu’il avait formulées et ont ainsi exposé les circonstances réelles du conflit. départ des militaires français d’Afrique. Il s’avère que c’est par la porte arrière.
Il me semble, après analyse, que ce pot cassé au-dessus de la tête du président français est aussi la conséquence d’incohérences et autres dissonances entre ce qui se dit au Conseil de sécurité des Nations Unies et ce qui se passe réellement sur le terrain. Le lièvre semblant avoir été relevé des multiples difficultés endurées par le vaillant peuple malien, je m’appuierai sur des exemples connexes pour éclairer ce que je viens d’avancer.
L’intervention militaire française au Mali, baptisée « Opération Serval », a été lancée le 11 janvier 2013 en réponse urgente à l’avancée des groupes jihadistes sur Bamako. Elle a pris fin en juillet 2014 lorsque les forces engagées dans le pays ont intégré un système régional appelé « Opération Barkhane » et ont établi la mise en place d’une force internationale appelée Mission internationale de soutien au Mali (MISMA).
L’opération Serval visait à soutenir les troupes maliennes engagées dans la lutte contre les attaques des groupes islamistes armés qui ont pris le contrôle de l’Azawad, la partie nord du pays.
Elle a été lancée après la prise de la ville de Konnan et la chute imminente de Bamako. Les objectifs précis de cette intervention, tels qu’exprimés par le président français François Hollande le 15 janvier 2013 lors de sa visite à Dubaï, étaient de stopper l’avancée des forces jihadistes vers Bamako, de sécuriser la capitale Bamako et de préserver l’intégrité territoriale du Mali. Ainsi, dès le départ, les mots d’ordre officiels ont été la sécurisation et la préservation de la souveraineté du peuple malien sur son territoire.
Cette priorité a également été réaffirmée dans les différentes résolutions et déclarations du Conseil de sécurité relatives à la situation au Mali, notamment les résolutions 2100 (2013) et 2164 (2014).
Pour accompagner cette action, le gouvernement français a également soutenu la mise en place du G5 Sahel (G5S) comme cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Créée lors d’un sommet tenu du 15 au 17 février 2014, cette structure regroupait cinq États du Sahel : la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad.
Concrètement, le G5S apparaît comme le pendant politique et économique sahélien de l’opération militaire française Barkhane. Il visait à améliorer la coordination des activités de sécurité et de défense entre les États membres. Comment ne pas saluer une telle disponibilité de la part du gouvernement français ?
Cependant, sur le plan pratique, tous les observateurs ont pu constater que ledit gouvernement était plutôt animé par des intérêts qui n’avaient rien à voir avec une quelconque considération pour le peuple malien et encore moins pour son gouvernement.
En effet, au moment des faits, SEM Laurent FABIUS, alors ministre des Affaires étrangères, indiquait lors d’une conférence de presse tenue le 11 janvier 2013, que tout en répondant à la demande du gouvernement malien d’un « soutien aérien et militaire » de la France suite à la prise de la ville de Konnan, il s’agissait aussi de protéger les intérêts français et les ressortissants français dans le pays. Il a estimé leur nombre à six mille (6.000) personnes. Logiquement, le gouvernement malien a joué sur cette corde sensible pour mobiliser rapidement le soutien français. Cela explique aussi la diligence avec laquelle la France a réagi lorsqu’elle a été sous pression pour la mise en place de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA).
Il a également été relevé que malgré le souci de préserver l’intégrité territoriale du Mali, Kidal aura bénéficié d’une attention particulière de la part de la France, matérialisant les liens dévoilés entretenus entre les autorités de ce pays et les rebelles sécessionnistes. du MNLA et empêchant ainsi l’armée malienne de prendre possession de cette partie du territoire national.
Deux autres faits méritent d’être soulignés en ce qui concerne le domaine pratique :
– la réticence à doter la MISMA d’une véritable force de frappe alors que l’Afrique lui avait donné un caractère africain avec l’espoir que les contingents qui y sont déployés s’engageraient effectivement aux côtés de leurs frères maliens dans les combats ;
– le manque de réelle mobilisation des partenaires pour doter le G5S de ressources financières et matérielles adéquates estimées à 415 millions d’euros. Mais il a été entendu qu’au-delà de la situation qui prévaut au Mali, les forces africaines, notamment celles composées des pays membres du G5S, devraient prendre le relais pour une stratégie globale de lutte contre le terrorisme au Sahel.
Objectivement, il va de soi que le soutien demandé par l’autorité malienne à travers le secrétaire général des Nations unies a effectivement ébranlé l’ONU et le gouvernement français, permettant ainsi à l’armée malienne de se renforcer et de repousser les jihadistes.
Cependant, le gouvernement français semble avoir rapidement perdu de vue que l’un des objectifs majeurs mis en avant par le Conseil de sécurité dans ses différentes résolutions était de préserver l’intégrité territoriale du Mali. Ce « trou de mémoire », pour ne pas dire ce manque d’engagement, exacerbé par les obstacles posés par la communauté internationale dans l’acquisition des équipements de combat et un environnement marqué par une multiplication des attentats terroristes principalement contre les populations civiles, au nez et à la barbe du partenaire. forces déployées dans la zone, a été le déclencheur du soulèvement populaire du 19 août 2020, dirigé par le Colonel Assimi GOITA.
Même si le Président MACRON a repris le dossier en cours, nul doute qu’il est entouré de femmes et d’hommes capables d’analyser la situation pour lui rappeler que les remerciements et la reconnaissance africaine dont il a soif ont été prodigués à satiété, en son temps. , aux autorités et aux Français.
Compte tenu de ce qui précède, je considère les propos du Président MACRON devant les ambassadeurs de France comme le reflet de la situation d’un homme impuissant, qui a perdu ses repères à l’intérieur comme à l’extérieur et qui cherche à s’améliorer. critique morale plutôt que fondée. Si l’on devait procéder à une balance de remerciements ou de regrets et d’excuses, il va sans dire qu’il faudrait d’abord se mettre à jour face à la traite négrière, la colonisation, le pillage des biens et matériels culturels, des premières africaines, la dissimulation des sommes détournées par certains dirigeants africains, les crimes contre nos vaillants tirailleurs à Thiaroye et ailleurs et leur non-indemnisation, etc. Il en est certainement conscient et les gouvernements tchadien et sénégalais le lui ont clairement rappelé.
J’aurais aimé ne pas avoir à évoquer ici les mauvaises perceptions des problèmes africains et souvent les manipulations du Conseil de sécurité pour la légitimation ou pour la création de privilèges, comme ce fut le cas pour la Libye. Vous vous souviendrez que le Président Kadhafi a été pourchassé et assassiné sur la base de la résolution 1973 (2011) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 6498ème séance par 10 voix pour et 05 abstentions, le 17 mars 2011. Toutefois, cette résolution ne n’a autorisé personne à bombarder la Libye.
Au contraire, dans l’article 2 de son dispositif, il « souligne que les efforts doivent être redoublés pour apporter une solution à la crise qui satisfasse les revendications légitimes du peuple libyen ». Mais ceux qui étaient en colère contre le président libyen l’ont interprété d’une manière qui a facilité leurs agendas cachés.
En larguant des bombes sur Tripoli sans avertissement ni légitimité internationale, les commanditaires ont en même temps créé la situation qui prévaut actuellement au Sahel. Le Président MACRON voudrait-il que nous remerciions son pays ad vitam aeternam pour avoir apporté son aide dans la résolution d’une crise dont il est à l’origine et qui est devenue une menace sérieuse pour la survie des États sahéliens, notamment ceux de la zone du Liptako Gourma. ?
De nombreux chefs d’État africains ont répété à plusieurs reprises que les initiatives qui heurtent la France ne sont en aucun cas dirigées contre les Français mais s’inscrivent plutôt dans une nécessité de mieux maîtriser leur souveraineté et de créer les conditions d’un partenariat pour sécuriser la population. En quoi cette approche devrait-elle frustrer le président MACRON ?
Cependant, cette réflexion serait incomplète si je n’évoquais une fois de plus le silence coupable des pays africains individuels ainsi que de leur ensemble qu’est l’Union africaine. Le mépris dénoncé par le Sénégal ne se manifeste pas seulement à l’encontre des États de la Confédération AES et des pays qui ont soit décidé de retirer les troupes françaises de leurs territoires, soit noué des partenariats jugés gagnant-gagnant avec la Fédération de Russie. C’est tout simplement la révélation des sentiments réels du Président MACRON à l’égard de l’Afrique toute entière, de ses peuples et de ses dirigeants.
François OUBIDA