Le groupe jihadiste « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », GSIM, affilié à Al-Qaïda, a revendiqué vendredi dans un communiqué l’attaque qui a tué mercredi au moins 28 soldats béninois dans le nord du pays.
Cité par l’ONG américaine Site Intelligence Group, le GSIM détaille que « les moudjahidines ont pu prendre d’assaut un poste de l’armée béninoise à Ouda dans la province de Karimama ».
Les autorités béninoises n’ont pas commenté cette attaque. Mais le chef d’état-major, le colonel Faizou Gomina, a publié jeudi soir un communiqué reconnaissant “une très lourde perte”. « La position attaquée était l’une des plus fortes et des plus militarisées de l’opération Mirador », a-t-il déclaré.
Le Bénin, nouvelle cible des jihadistes
Les attaques dans le nord du Bénin se sont multipliées ces dernières années.
En avril 2023, les autorités béninoises faisaient état d’une vingtaine d’incursions transfrontalières depuis 2021.
Ils sont attribués par les autorités à des combattants jihadistes du groupe État islamique (EI) et d’Al-Qaïda originaires des pays voisins où ils sont actifs.
Selon Seidik Abba, journaliste et président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel, « le Bénin est depuis très longtemps dans le viseur des groupes jihadistes. »
Seidik Abba explique que l’agenda de l’expansion de la menace jihadiste depuis le Sahel vers les pays du golfe de Guinée « privilégie le Bénin comme cible ».
En effet, avec la progression des groupes jihadistes sur la rive droite du fleuve Niger, c’est-à-dire le Parc W, qui borde le Niger, le Burkina Faso et le Bénin ; et la zone de la Pendjari, « toute cette zone était presque un peu infestée par des groupes jihadistes ».
Cela explique pour lui la répétition de ces attaques de plus en plus meurtrières.
Depuis l’année dernière, on observe cependant une période de calme avec de moins en moins d’attaques de cette ampleur visant les forces de défense et de sécurité.
Toutefois, les groupes armés continuent d’agir.
« Il y a des incidents constatés sur le territoire béninois, notamment des cas d’utilisation d’engins explosifs improvisés qui ciblent à la fois les forces de défense et de sécurité, mais aussi les populations civiles », précise Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale à l’Institut d’études de sécurité (ISS).
Elle ajoute que l’on a également assisté à « des cas d’enlèvements de personnes à des fins de représailles », notamment de civils soupçonnés par des groupes terroristes de collaborer avec les forces de défense et de sécurité.
Le chercheur principal de l’ISS ajoute que ces incursions montrent que « ces groupes jihadistes conservent une capacité d’action, mais aussi de nuisance, même s’ils n’occupent pas de position ou de zone sur le territoire béninois. »
Une autre explication des attaques au nord du Bénin pourrait aussi être « une stratégie d’approvisionnement des jihadistes en moyens opérationnels », indique Ella Abatan. Approvisionnement, notamment en armes, munitions et équipements que ces groupes utilisent.
Un contexte géopolitique propice aux attaques jihadistes ?
L’attaque de mercredi a eu lieu dans une zone frontalière entre le Bénin, le Burkina et le Niger.
Ces trois pays connaissent actuellement des tensions politiques liées au fait que le Burkina et le Niger accusent leur voisin le Bénin de « tentatives de déstabilisation ». Les autorités béninoises ont nié ces faits.
Jeannine Ella Abatan estime que cette dernière action des jihadistes « montre leur capacité à tirer parti de tout type de vulnérabilité, qu’il s’agisse des vulnérabilités internes à ces pays ou des vulnérabilités externes à ces pays ».
Seidik Abba ajoute que « les terroristes, qui sont aussi avisés, savent qu’il existe des difficultés entre les différents pays de la région, ils en profitent pour faire avancer leur agenda ».
Cette multiplication des attaques, selon Ella Abatan, démontre « la pleine capacité de ces groupes à tirer profit des vulnérabilités des pays ». L’objectif étant de créer une psychose au sein des populations et de saper le moral des forces de défense et de sécurité qui sont déployées.
C’est pourquoi Seidik Abba estime que « les djihadistes ont intérêt à faire de la menace un enjeu transnational, un défi qui dépasse une seule frontière », les pays ayant du mal à coordonner leurs réponses.
De plus, le harcèlement entre l’AES et la CEDEAO ne contribue pas à résoudre ces défis sécuritaires selon certains experts.
Opération Mirador
En janvier 2022, le Bénin a déployé près de 3 000 militaires pour sécuriser ses frontières dans le cadre de l’opération « Mirador ». Les autorités béninoises ont également recruté 5 000 militaires supplémentaires pour renforcer la sécurité dans le nord. Le 27 novembre, l’ambassade des États-Unis a fait don à l’armée de 12 véhicules blindés de transport de troupes, de 280 plaques balistiques et de 35 radios tactiques.
La valeur de ces équipements est estimée à 6,6 millions de dollars, selon Brian Shukan, ambassadeur des États-Unis.
Ce soutien américain constitue un « soutien précieux aux Forces armées dans leurs missions de défense », a déclaré le ministre béninois de la Défense Fortunet Alain Nouatin, lors de la remise de ces équipements.
Fin avril 2024, l’Union européenne a annoncé qu’elle débloquerait 47 millions d’euros, notamment à travers l’achat de matériels et d’équipements, pour soutenir le Bénin dans sa lutte contre le terrorisme.
Selon Ella Abatan, il y a eu une montée en puissance des forces armées béninoises avec le renforcement de leurs effectifs. Des efforts ont été entrepris par le gouvernement pour équiper les forces de défense et de sécurité à travers l’achat d’armes et de drones afin de renforcer leur efficacité sur le terrain.
Toutefois, le chercheur de l’ISS estime qu’il est nécessaire que les forces de défense et de sécurité continuent de maintenir un très haut niveau de vigilance sur le terrain. Un terrain qui, selon elle, est hostile car les groupes terroristes profitent souvent de la porosité des frontières.
Mutualisation des efforts
La menace terroriste est devenue transnationale et régionale, mais la construction d’une réponse transnationale ou régionale peine à se mettre en place.
Cette dernière attaque au Bénin constitue « la preuve que l’équipement seul ne suffit pas pour gagner », a déclaré le colonel Gomina. « La posture opérationnelle et la qualité de nos ressources humaines sont la clé pour vaincre cette menace. »
Selon Seidik Abba, il est également nécessaire que « toute la région prenne conscience qu’il est dans l’intérêt de tous de travailler ensemble ». “Il est important que nous construisions une réponse transnationale, il est important que nous construisions une réponse régionale, et cela ne peut se faire qu’avec les pays de l’AES et avec les pays de la CEDEAO”, ajoute-t-il.
La solution à ces attaques passe aussi par le renforcement des liens et de la collaboration avec la population civile selon Ella Abatan. Elle précise que « les forces de défense et de sécurité ont besoin des populations qui sont souvent en première ligne dans ce combat ».
Dans le contexte politique actuel que traverse la région, il est essentiel de continuer à explorer « les différentes voies diplomatiques pour dissiper les tensions politiques entre ces États », suggère le chercheur de l’ISS.
« Il est important que nous construisions une réponse transnationale, il est important que nous construisions une réponse régionale, et cela ne peut se faire qu’avec les pays de l’AES et avec les pays de la CEDEAO », conclut SeidiK Abba.