Houcine et les inégalités de l’intelligence artificielle (Tribune)

Houcine et les inégalités de l’intelligence artificielle (Tribune)
Houcine et les inégalités de l’intelligence artificielle (Tribune)

Paire de Dima Droubi

Le miroir est ébréché, mais les toilettes sont propres et les ampoules LED, aux normes écologiques, diffusent une triste lumière blanche. Houcine, 29 ans, est frappé par le regard qu’il voit dans son reflet : frustration et désenchantement. Diplômé en l’informatiqueHoucine rêvait de concevoir des solutions technologiques innovantes pour entreprises dans son pays. Cinq ans plus tard, il traverse les rues animées de Casablanca pour rejoindre un immeuble de bureaux où il travaille comme étiqueteur de données. Toute la journée, devant son écran, il classe images et textes afin de s’entraîner algorithmes d’intelligence artificielle (IA). Ce travail répétitif et mal payé, qui perpétue la tendance à sous-traiter des tâches à faible valeur ajoutée dans les pays en développement avec une main d’œuvre qualifiée mais sous-payée, est loin des rêves qui ont nourri sa jeunesse.

Houcine n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de rêves brisés. Son cas reflète un problème systémique. Bien que l’IA ait un immense potentiel de transformationéconomie mondialecela risque de creuser davantage les inégalités entre pays développés et pays en développement. L’IA, qui booste certainement productivité et leinnovationlaisse derrière lui des millions de personnes, et autant de rêves déçus, comme celui d’Houcine.

Selon un rapport de PWC en 2017, l’intelligence artificielle pourrait ajouter 15 700 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2030. Cependant, 84 % de cette richesse serait concentrée dans l’économie mondiale. Échinedans Amérique du Nord et dans Europe. Des régions commeAfriquejeOcéanie et des parties duAsie ne recevra qu’une infime partie de ces bénéfices. Les industries les plus touchées par cette inégalité sont celles où les machines, devenues moins chères, remplacent les travailleurs humains. Les emplois peu qualifiés, souvent sous-traités vers les pays en développement, sont désormais automatisés dans les pays riches. Les travailleurs des pays du Sud, autrefois moteurs de l’économie mondiale grâce à effectifs pas cher, voir leur emplois disparaître à un rythme alarmant. Bref, les emplois qui étaient «délocalisé» vont être «retour à terre» dans les pays riches.

Plusieurs raisons expliquent cet écart croissant. L’un des principaux obstacles à l’adoption de l’IA dans les pays en développement est le manque d’infrastructures. En Afrique, seulement 25 % de la population a accès à Internetet les outils nécessaires pour exploiter pleinement les technologies de l’IA sont rares et coûteux. Les modèles d’IA, souvent conçus dans des contextes occidentaux, ne sont pas adaptés aux réalités locales. Par exemple, ils utilisent principalement leAnglais. Les données en anglais sont mieux adaptées aux contextes des pays riches.

Les entreprises locales peinent à rivaliser avec les géants de la technologie qui monopolisent les ressources informatiques et de données. Ces monopoles limitent les opportunités pour les innovateurs locaux comme Hussain de développer des solutions adaptées à leur environnement. Rien que pour corriger les biais générés par les données majoritairement en anglais, ces innovateurs locaux doivent consacrer beaucoup de temps et d’efforts pour produire des applications adaptées au contexte de leur pays. Malgré ces défis, des initiatives commencent à émerger. Par exemple, les programmes de formation en IA se multiplient dans des pays comme Marocet certains entrepreneurs les locaux s’adaptent technologies existant aux besoins locaux. Pour l’instant, ces efforts restent marginaux compte tenu de l’ampleur des inégalités.

Un rapport de McKinsey évalué le industries qui bénéficierait le plus des progrès de l’IA. Sans surprise, les secteurs de technologie de pointeles banques et le commerce de détail gagnent. L’agricultureun pilier économique en Afrique, reste à la traîne. Il ne faut cependant pas perdre espoir : les progrès de l’IA croissent à un rythme exponentiel. Il suffit qu’un jeune homme ou une jeune femme, armé d’une éducation solide et adéquate, identifie un besoin pour commencer à chercher des solutions avec l’aide de l’IA. Ainsi, les humains et les machines avancent ensemble.

Pour que l’IA devienne un levier d’opportunités plutôt qu’un amplificateur des inégalités, il est crucial que les gouvernements investissent dans les infrastructures et les technologies numériques.éducation. Les partenariats internationaux pourraient également contribuer à démocratiser l’accès aux technologies et à réduire les coûts d’entrée, notamment en ce qui concerne les ressources informatiques. Les pays du Sud ne représentent que 1 % des supercalculateurs mondiaux. Il est également impératif que l’IA soit formée en tenant compte des modes de vie, des besoins et des réalités des pays en développement afin d’éviter les préjugés néfastes. Il est crucial d’agir pour que le regard frustré de Houcine fasse place à un regard d’espoir. Houcine, sa femme et leurs enfants doivent pouvoir continuer à rêver d’un avenir où l’intelligence artificielle ne sera pas un outil d’exclusion, mais une opportunité pour tous.

 
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