Accoudée au bar, Marianne, 25 ans, n’en revient pas. La jeune fille, de passage à Paris, découvre pour la toute première fois le monde du bal folk, aussi appelé bal trad (pour traditionnel). C’est un ami qui l’a emmenée au Dorothéeun café-atelier associatif à Ménilmontant, où sont célébrées des danses traditionnelles tous les mercredis soir. « Honnêtement, je m’attendais à beaucoup rire, mais je me suis prise au jeu et je trouve ça génial », confie-t-elle. « Je suis assez surpris, je pensais que les boules commerce étaient en détresse. »
Il suffit de voir le nombre de danseurs montant sur la piste en cette soirée pluvieuse de novembre pour comprendre qu’il n’en est rien. Souvent associées aux bals musette et aux cheveux gris, les danses traditionnelles sont belles et très vivantes. Impossible de connaître le nombre précis d’adeptes en France : contrairement à d’autres pratiques culturelles, le ministère de la Culture ne dispose pas de statistiques sur le sujet.
Il y a de la joie
Au Dorothée en tout cas, le bal folklorique affiche complet “presque tout le temps depuis 2022”, nous informe Antoine, l’un des organisateurs. Lorsque le nombre de 95 participants a été atteint, Didier Pélaprat, un habitué de 75 ans, s’est même rendu avec les personnes restées sur place au bar d’à côté, faire quelques pas en attendant qu’une place se libère. Dans le hammam, Florian Karoubi, professeur de danse traditionnelle, initie les « ballers » au demi-tour de Noirmoutier. Une heure plus tard, une quinzaine de musiciens s’installent. Là jam-session [séance d’improvisation, NDLR] commence : challoise, mazurka, gavotte et scottish se succèdent, des danses rythmées par des rires, des cris et des applaudissements.
« Ils sont très accessibles, même si on ne les a jamais fait », assure Eva. À 22 ans, elle a déjà trois ans de danse traditionnelle à son actif et « ne se voit pas arrêter ». Comme elle, Fabienne, une quinquagénaire corrézienne, a été séduite par « le collectif, la joie, l’intergénérationnalité ». « Ici, on peut danser à deux, se toucher, se retrouver, se parler », poursuit Saul. « Ailleurs, ça n’existe plus. Surtout en ville ! »
Bal des villes et bal des champs
Dans les campagnes aussi, l’engouement pour les danses traditionnelles est évident. Lorsqu’il fonde le « Bal itinérant » en Ardèche, Géraud Barralon se retrouve d’abord face à une place de village déserte. « Douze ans plus tard, c’est complet et nous touchons aussi bien des personnes expérimentées que des novices », raconte-t-il. De l’autre côté de la France, à Melle (Deux-Sèvres), le Bal qui Pique bénéficie de la même dynamique : « Nous avons doublé nos inscriptions depuis la première édition en 2009. L’année dernière, nous avons même allongé la plage horaire due aux foules », raconte Julie Couprie, coprésidente de l’association organisatrice de l’événement.
Mais c’est à Gennetines (Allier) que l’on observe le mieux le succès des danses traditionnelles. Depuis 1990, y est organisé le Grand Bal de l’Europe, qui rassemble « des danseurs de 40 pays » et « fait salle comble sur 10 jours, avec environ 3 000 participants quotidiennement », précise son créateur, Bernard Coclet. En bon connaisseur du sujet, il constate que les danses qui s’y déroulent « puisent leurs racines dans une tradition souvent plus rêvée que réelle ».
#MeToo est passé par là
À l’image des évolutions sociétales, le bal folklorique s’adapte efficacement à son époque. Bernard Coclet évoque ainsi « le changement d’approche [à l’œuvre] sur les questions de genre et de consentement depuis #MeToo ». Longtemps associées à la domination masculine, les pratiques de bal évoluent. Sous l’impulsion de plusieurs associations, comme Queer as Folk à Nantes, les notions de « guide » et de « suiveur » sont remises en question. Chez Dorothy comme ailleurs, les rôles sont inversés et les couples se mélangent. Cet espace sûr », c’est justement ce qui a plu à Eva lorsqu’elle a découvert le bal folk. Encore une preuve, s’il en fallait, que les danses traditionnelles sont dans l’air du temps.
Danses traditionnelles, bal folklorique… De quoi parle-t-on ?
« Nous n’arrivons même pas à nous mettre d’accord sur le terme », souffle Bernard Coclet interrogé sur le manque de visibilité des danses traditionnelles. Au sein de la communauté, l’expression fait en effet débat, car la civilisation rurale et paysanne qui les a vu naître n’existe plus. Du rigodon à la gigouillette en passant par le cercle du cirque, les danses traditionnelles se sont aujourd’hui transformées avec nos corps et nos habitudes », explique Florian Karoubi.
Régionales, mondiales, populaires ou traditionnelles : peu importe comment on les décrit, ces danses sont toutes transmises de génération en génération et caractéristiques d’une zone géographique donnée. Ils se pratiquent dans les bals traditionnels mais aussi dans les bals folkloriques, « plus généralistes » que les premiers, ajoute le jeune professeur. Attention toutefois à ne pas les confondre avec les danses dites « folkloriques », pratiquées sur scène et en costume, lors d’un spectacle. Dans un bal traditionnel ou un bal folklorique, on danse uniquement « pour notre plaisir », précise Florian Karoubi.