Des déclarations qui suscitent l’ire de plusieurs dirigeants africains. Lors de son discours à la Conférence des ambassadeurs ce lundi, Emmanuel Macron est revenu sur la politique étrangère de la France en Afrique, marquée ces derniers mois par le retrait de ses forces militaires au Burkina Faso, au Niger, au Mali ou plus récemment au Tchad. « Nous sommes partis parce qu’il y a eu des coups d’État, parce que nous étions là à la demande d’États souverains qui avaient demandé à la France de venir », a invoqué le chef de l’État français.
« Je crois qu’on a oublié de dire merci », a-t-il ajouté un peu plus tard dans son discours, au sujet de la lutte contre le terrorisme menée par l’armée française au Sahel, notamment via les opérations Serval. (2013-2014) et Barkhane (2014-2022). « L’ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, est une maladie qui n’est pas transmissible à l’homme. Je dis cela pour tous les dirigeants africains qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leur opinion publique de le soutenir, aucun d’entre eux ne serait aujourd’hui avec un pays souverain si l’armée française n’était pas déployée dans cette région. »
Emmanuel Macron a également laissé entendre dans son discours que le départ des militaires français basés dans plusieurs pays du continent avait été négocié avec certains dirigeants. « Nous avons proposé aux chefs d’État africains de réorganiser notre présence. […] Je peux vous dire que dans certains de ces pays, nous n’avons pas voulu supprimer l’armée française, ni même la réorganiser, mais nous l’avons assumé ensemble. C’est la raison d’être du partenariat », a-t-il expliqué.
Après cette sortie, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a réagi lundi sur le réseau social « Aucune discussion ni négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain », a assuré le officiel. Le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, a de son côté jugé ce mardi qu’Emmanuel Macron “s’est trompé d’époque” en adoptant une telle position.
Ce nouvel épisode marque-t-il une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre la France et plusieurs États africains ? Décryptage avec Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), et auteur du « Grand Livre de l’Afrique » (éd. Eyrolles).
Lors de la Conférence des ambassadeurs, Emmanuel Macron a déclaré que « la France n’est pas en déclin en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise. […] Nous avons choisi de déménager en Afrique […] parce que nous avons dû déménager. » Partagez-vous ce constat ?
Le problème de cette intervention est qu’elle a été extrêmement maladroite, du moins vis-à-vis des populations des États africains concernés. Si l’on évoquait le problème de l’ingratitude, il fallait comparer l’aide que les pays africains nous avaient apportée avec les tirailleurs sénégalais, comme l’a fait François Hollande lors de sa venue au Mali en 2013.
Nous ne pouvons pas simplement apparaître comme un sauveur, qui se montre extrêmement arrogant à l’égard des pays africains, notamment en tant qu’ancienne grande puissance coloniale. Quant au fait que le président Macron ait déclaré que sans intervention militaire française, certains pays africains ne seraient plus des États souverains, ce n’est qu’une hypothèse qui peut être discutée. Nous ne pouvons pas être affirmatifs à ce sujet ; le dire ainsi est un peu excessif.
Sur le retrait des troupes françaises, Emmanuel Macron a également déclaré qu’il avait été négocié et que le primat de le déclarer avait été laissé aux États concernés. A ma connaissance, cela n’est vrai que dans un seul cas : celui de la Côte d’Ivoire. Quant au Tchad et au Sénégal, il y a eu des discussions avec Jean-Marie Bockel (l’envoyé personnel du président de la République pour l’Afrique, ndlr). Il était prévu de réduire les effectifs militaires français, mais nous avons été clairement dépassés. Sans parler du Sahel central (Mali, Niger, Burkina Faso), où nous avons été expulsés sans préavis.
Le président français a également déclaré que les dirigeants africains avaient « oublié de dire merci » à la France pour sa lutte contre le terrorisme au Sahel et dans la région. Des propos ensuite dénoncés par le Sénégal et le Tchad. Cet échange d’armes symbolise-t-il une nouvelle étape dans la détérioration des relations de la France avec les différents États africains ?
Il faut examiner cela au cas par cas. Au Tchad, la réaction est un peu surprenante, car le président Déby et son père doivent presque leur existence de chefs d’État à la France. Nous les avons sauvés des rebelles à plusieurs reprises, alors que l’actuel président était tant bien que mal intronisé par Emmanuel Macron. C’est tout simplement par opportunisme que l’actuel dirigeant veut surfer sur l’opinion publique, encore assez anti-française. Il est également possible que le président Déby réagisse ainsi en représailles à l’enquête préliminaire ouverte par la justice française contre lui pour des soupçons de biens mal acquis.
Au Sénégal, en revanche, on connaît bien le soutien populiste d’Ousmane Sonko et du président Faye. Cela dit, il est vrai que les propos d’Emmanuel Macron ne s’appliquaient pas à ce pays, car il n’y avait aucun contact avec M. Bockel, qui n’a pas pu se rendre au Sénégal. Il n’y a donc eu aucune discussion ni négociation sur la réduction de l’empreinte militaire française à l’intérieur de ses frontières. Ousmane Sonko l’a mal pris et a donc mis de l’huile sur le feu…
Dans son message de protestation, Ousmane Sonko a rappelé l’importance de la mobilisation des soldats africains pendant la Seconde Guerre mondiale. Faut-il encore travailler sur cet aspect mémoriel, lié à la colonisation française en Afrique, pour initier de nouvelles relations ?
C’est important, car il y a une quasi-absence de ces travaux sur les questions liées à la colonisation. Le cas du massacre de Thiaroye (plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais tués par les forces coloniales françaises en 1944, ndlr) est emblématique. Il faudra attendre fin 2024 pour que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot reconnaisse qu’il s’agit bien d’un massacre. Mieux vaut tard que jamais, mais c’est dommage d’avoir attendu aussi longtemps pour reconnaître une grave faute de l’armée française.
Le président Macron a cependant fait un certain effort sur les questions de mémoire. Elle permet le rapatriement, bien que marginal, de certains objets d’art vers les pays africains. Il a fait un effort de réconciliation avec l’Algérie, sans grand succès, mais aussi avec le Rwanda, pour lequel cela a mieux fonctionné.
Avec le retrait des troupes militaires françaises du Sahel, Paris est-il en mesure de réinventer sa diplomatie en Afrique ? Le président de la République a notamment appelé à « regardez « l’Afrique » comme un continent d’opportunités…
Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont chacun dénoncé ce qu’on appelle la Françafrique. Mais ils n’ont pas bien compris que la perception de ce concept n’était pas la même en Afrique que du point de vue des dirigeants français. Pour ces derniers, ce terme faisait référence à la mise en place de financements et de réseaux cachés. Mais pour les Africains, cela signifiait une sorte de néocolonialisme, une tutelle impérialiste qui ne veut pas mourir.
Pour eux, cela signifiait par exemple la présence de bases militaires françaises, le franc CFA, des cours de conduite ou de morale qu’on ne manquait pas de faire régulièrement, une aide au développement jugée intrusive… Les pays africains avaient l’impression qu’il y avait une sorte de tutélaire. Une politique africaine, inefficace et restrictive, qu’ils accusent, à tort ou à raison, d’être responsable de leurs problèmes de développement. A cela s’ajoutent les opérations militaires françaises Serval et Barkhane, qui n’ont pas eu les résultats escomptés, la situation sécuritaire s’étant dégradée dans la région.
Un diagnostic aurait dû être posé. Mais les trois derniers présidents français ne l’ont pas fait. Ils n’ont pas compris qu’il y avait des problèmes structurels en Afrique francophone, qui sont liés à la faiblesse des États, avec des armées peu compétentes, des services publics qui fonctionnent mal, un territoire mal contrôlé, un système d’éducation désastreux… Il fallait s’attaquer à ces problèmes fondamentaux, à l’origine du jihadisme et de l’insécurité. Ceci est également lié à la démographie : il y a un très grand nombre de jeunes qui montent, sans opportunités d’emploi, qui se radicalisent et se rebellent contre leurs autorités puis contre leur principal partenaire, la France.
Emmanuel Macron s’est rendu au Maroc au début de l’automne. Il a signé des accords d’investissement d’une valeur de 10 milliards d’euros avec le pays. Un partenariat d’une “ambition sans précédent”, s’est-il félicité lundi. Renouveler ce type d’opérations avec d’autres pays est-il une bonne stratégie ?
Je ne pense pas. Emmanuel Macron a d’abord fait un effort louable pour vouloir se rapprocher de l’Algérie. Elle n’a pas répondu favorablement. Il est donc allé à l’extrême inverse, qui consiste à reconnaître la marocanité du Sahara occidental, donc à faire des concessions majeures au Maroc et à adopter la position contraire à celle habituellement prise par le Quai d’Orsay, avec un équilibre entre Rabat et Alger. C’est bien d’avoir de bonnes relations avec le Maroc, mais si cela se fait au prix d’une brouille très importante avec l’Algérie, c’est quand même dommage.
Il y a une volonté constante, qui ne date pas de Macron, de développer nos relations avec l’Afrique anglophone. C’est louable, car actuellement nous n’avons que 1% de notre commerce extérieur avec cette région. […] Mais le problème de cette stratégie est qu’elle ne doit pas se faire au détriment de la compréhension de ce qui se passe en Afrique francophone. Mais c’est arrivé comme ça ! Au Quai d’Orsay, nous avons souvent nommé des directeurs de la politique Afrique, spécialistes de la partie anglophone du continent. Résultat : on a laissé pourrir la partie francophone.
Nous ne pouvons pas négliger ce qui se passe au Sahel comme nous l’avons fait. Lors de la crise du Mali en 2012, j’étais ambassadeur au Sénégal. Je me suis rendu compte qu’à cette époque personne à Paris ne comprenait ce qui se passait au Mali. Il y avait un manque de connaissances et de compétences suite à la négligence de l’Afrique francophone pendant des années.
Chine, Russie, Iran… Les grandes puissances étendent progressivement leur influence en Afrique. La France peut-elle – et doit-elle – proposer une alternative à cette ingérence sur le continent ?
Oui, mais pour prendre l’exemple de la Russie, on ne peut pas l’empêcher de faire ce qu’elle veut. D’abord parce que nous ne sommes pas sur le même terrain : Moscou produit une propagande basée sur des mensonges et des inventions. Ils prétendent que les soldats français extrairaient l’or du Sahel et l’enverraient dans leur pays. Ou que les soldats de l’opération Barkhane aidaient en réalité les jihadistes au lieu de les combattre… La France ne peut pas s’engager dans un tel terrain de mensonges et d’inventions.
Cependant, le lecteur ou l’auditeur africain ne peut pas savoir qui a raison entre la vérité et le mensonge. Alors, il a tendance à croire ce qui se rapproche le plus de ses intuitions – c’est-à-dire, souvent, que l’ancienne puissance coloniale continue de piller, d’exploiter, de dominer… Le fondement de la propagande russe repose sur cette idée de la France. Mais elle est bien ancrée dans l’imaginaire populaire en Afrique, aussi les Russes l’exploitent-ils sur ce terrain favorable. […] L’idée que la stabilité du Sahel est favorable à la France et à l’Europe ne leur paraît pas évidente.