Incursion dans une ressource intermédiaire qui joue un rôle déterminant dans la vie de ses résidents
Geneviève Perras jure qu’elle a « le plus beau métier du monde ».
Lorsque le copropriétaire de deux résidences intermédiaires (RI) nous annonce cela, l’un des résidents hurle dans la salle de bain.
La personne chargée de changer ses sous-vêtements finit par s’essouffler, des gouttes de sueur perlant sur son front. On comprend qu’une goutte de savon dans l’oeil ait déclenché une énorme colère.
Nous sommes dans un duplex situé dans l’est de Montréal où vivent huit hommes autistes et déficients intellectuels présentant de graves troubles du comportement.
Un énorme ballon gonflable Omnikin trône au centre de la salle à manger. Les intervenants peuvent mettre la balle entre eux et un résident violent. Ainsi, c’est l’objet, et non le locuteur, qui absorbe les coups.
« Le plus beau métier du monde », vraiment ?
Mmoi Perras présente Félix, 31 ans, pour le prouver.
À son arrivée il y a deux ans, le jeune autiste qui vit avec une déficience intellectuelle modérée à sévère avait des crises à répétition. A chaque repas, il s’en prenait aux autres résidents.
Dès qu’un intervenant lui tournait le dos, Félix l’attrapait violemment pour attirer son attention. “Mon équipe a dit : on ne pourra pas le garder”, raconte M.moi Perras, copropriétaire des ressources Léger et Desautels avec Valérie Coombs.
Mais pour ces deux éducateurs spécialisés formés, pas question d’envoyer Félix à l’hôpital psychiatrique ou dans une résidence d’assistance continue (RAC) sans avoir tout essayé. Il venait d’un RAC où il était très malheureux. Il attendait depuis deux ans un logement plus adapté à ses besoins.
«C’est plus dur, les RAC», raconte la mère de Félix, Suzie Coutu. « Le roulement du personnel y est terrible. Les cas sont très graves. Tout est vissé au sol à cause de la violence des habitants. »
Et rentrer à la maison à temps plein était trop dangereux. «Disons qu’au moment où Félix n’allait pas bien, j’avais peur pour ma sécurité», décrit la mère, séparée du père de son fils. Le jeune homme l’a agressée physiquement à plusieurs reprises.
De plus, lors de son dernier RAC, les ouvriers ont interdit au jeune homme tout contact physique avec autrui. Ils ne cessent de lui répéter : « Non, Félix, on ne se touche pas » alors même que le jeune enfant autiste a besoin de contact humain. « On ne demanderait pas à une éducatrice de garderie de ne pas tenir un enfant dans ses bras », souligne sa mère.
Au RAC ou à l’hôpital, Félix se sentait rejeté ; ce qui a aggravé ses problèmes de comportement. Il devait également suivre une routine militaire. Il devait avoir des moments « en solo » pendant la journée.
Félix a besoin « d’être avec le monde », ont compris les copropriétaires du RI. Ils ont rendu son emploi du temps plus flexible et ont éliminé le temps qu’il devait passer seul. Ils prennent la main de Félix lorsqu’ils lui parlent.
Noël : une passion toute l’année
Le jeune homme a deux passions dans la vie : les personnages Disney et Pixar – il en imite 800 – et… Noël. « Félix commence à parler de Noël en août », raconte son père, Claude Castonguay, avec beaucoup d’affection dans la voix.
Sauf que l’anticipation et l’excitation entourant le grand jour peuvent aussi être problématiques. L’année dernière, au mois de décembre, il n’y avait pas d’activité thématique tous les jours. “Notre calendrier de l’Avent avait des trous”, raconte M.moi Perras. Ces jours-là, son comportement était catastrophique du matin au soir. »
Nous avons vu à quelle vitesse les choses peuvent dégénérer lors de notre visite, lorsque Suzie a rappelé à son fils qu’il n’avait pas le droit de boire du Coca pendant la semaine – c’est sa récompense du week-end. Félix lui saisit la gorge à deux mains pour l’étrangler. Plusieurs d’entre eux se sont réunis pour l’éloigner de sa mère.
Pour éviter la multiplication des crises, les copropriétaires ont offert cette année un calendrier de l’Avent complet à Félix et ses « colocataires ». Le jour de notre visite, la décoration du sapin était au programme.
Les ressources peuvent fermer
Les parents de Félix ne tarissent pas d’éloges à l’égard des copropriétaires dévoués. La conversation prend ici une tournure politique. Ils soutiennent que l’IR est sous-financé par le gouvernement du Québec.
Félix a besoin d’un « travailleur dévoué » (1 à 1). Or, Québec accorde – avec la Mesure liée aux services exceptionnels de soutien ou d’assistance – un financement inférieur au coût réel du salaire d’un travailleur.
En d’autres termes, les propriétaires d’IR s’appauvrissent grâce à cette mesure.
«Il s’agit d’une situation aberrante à nos yeux dans un contexte budgétaire déjà difficile», affirme le directeur des affaires juridiques et gouvernementales à l’Association des ressources d’hébergement intermédiaire du Québec, Simon Telles.
Sans un intervenant dévoué, des jeunes comme Félix seraient condamnés à vivre en institution, confirme Mmoi Combes.
Ces dernières années, le gouvernement a créé 1.244 places en résidence pour personnes âgées, souligne M. Telles. Pour le même coût, près de 3 732 places en RI auraient pu être créées. Une place dans un centre pour seniors coûte 992 000 $, contre 317 000 $ pour une place en RI, toujours selon l’Association.
Sans nouveaux investissements ni accélération des mesures, près de la moitié (43%) des ressources intermédiaires risquent de fermer d’ici trois ans, selon une enquête réalisée par l’Association. Cela représente potentiellement 8 600 places ailleurs dans le réseau de la santé et des services sociaux.
En attendant, Geneviève Perras et Valérie Coombs continuent d’exploiter leurs deux IR. Avec leur aide, Félix est devenu beaucoup moins violent qu’avant. Ses parents peuvent désormais l’accueillir à tour de rôle le week-end.
«Nous avons réussi à faire une différence dans la vie de Félix», déclare M.moi Perras, fier. D’où « le plus beau métier du monde ».
Qu’est-ce qu’une ressource intermédiaire ?
Les ressources intermédiaires sont à mi-chemin entre les soins à domicile et les CHSLD. Ils sont exploités par une personne physique à titre de travailleur autonome ou par une personne morale ou une société de personnes et qui est reconnue par un CISSS ou un CIUSSS pour participer au maintien ou à l’intégration à la communauté d’utilisateurs autrement inscrits aux services d’un public. établissement en leur offrant un milieu de vie adapté à leurs besoins et en leur offrant les services de soutien ou d’assistance requis par leur condition. Le Québec en compte 1 120 qui offrent des services à près de 20 000 personnes vulnérables (personnes âgées, personnes ayant une déficience intellectuelle, un handicap physique, un trouble de santé mentale, un trouble du spectre autistique).