Pourquoi 2024 a-t-elle été si douloureuse pour la gauche, ici et ailleurs ? Notre chroniqueur en a discuté avec la députée solidaire Manon Massé, qui digère mal les accusations de « wokisme » et en a profité pour répondre à Boucar Diouf, Bernie Sanders et Paul St-Pierre Plamondon.
« Trump est un multimilliardaire qui s’entoure de milliardaires et fait croire aux plus pauvres qu’il va les sauver », s’exclame Manon Massé.
“Eh bien, voyons!” »
La députée solidaire lève soudain les bras en l’air, dans un geste qui semble refléter à la fois son irritation et son incrédulité.
« Ce qu’il veut sauver, c’est sa richesse, puis celle de ses amis ! », poursuit-elle.
Manon Massé est un peu vexée… et c’est de ma faute.
Je l’ai rencontrée au café Sfouf, rue Ontario, à Montréal, près de son bureau de circonscription.
Je voulais avoir son avis sur les malheurs de la gauche.
Car l’année 2024 a été particulièrement douloureuse pour les forces progressistes.
Ici comme ailleurs.
Du cuisant revers de Kamala Harris aux États-Unis aux échecs de Québec Solidaire de ce côté-ci de la frontière, en passant par les difficultés rencontrées par plusieurs partis de gauche en Europe, les temps sont durs.
La veille de mon entrevue avec Manon Massé, Pierre Poilievre a été nommé personnalité médiatique de l’année par La Presse Canadienne. La semaine précédente, le magazine Temps avait offert à Donald Trump la même distinction.
« Ce qui me fait peur, c’est que cela signifie que leur discours passe. Ils sont donc perçus comme proches des gens », répond-elle lorsque j’évoque ces réussites.
« Eille ! » Donald Trump, anti-establishment ! Que veux-tu que je te dise ? », s’exclame-t-elle encore.
« Et ça marche ! » », déplore l’homme politique.
Manon Massé est persuadée que le président républicain, contrairement à ce qu’il a promis, n’entend pas défendre les Américains en difficulté.
Mais ce n’est pas la seule chose qui lui fait peur.
« Ça fait peur parce que je regarde Trump, avec tous ses discours d’exclusion, souvent très orientés vers les plus vulnérables, avec son discours qui brise l’égalité entre les hommes et les femmes… », ajoute-t-elle.
Pour une femme qui, toute sa vie, a voulu que les Etats jouent un rôle au service des peuples, ça fait peur de me retrouver face à ce mouvement. Et ça me fait peur parce qu’il y a des gens qui souffrent de ça tous les jours.
Manon Massé, Member of Parliament for Québec Solidaire
Mais si la droite domine, c’est forcément parce que ses idées séduisent désormais plus que celles de gauche, non ?
Je lui rappelle que certains pointent du doigt les forces progressistes sur ce sujet.
À commencer par le sénateur du Vermont Bernie Sanders.
Après la victoire de Donald Trump, il a critiqué le Parti démocrate pour avoir abandonné la classe ouvrière et pour « ne pas comprendre la douleur et l’aliénation politique que vivent des dizaines de millions d’Américains ».
« D’entrée de jeu, je veux dire : non, la gauche, au Québec, n’a pas abandonné les travailleurs. Loin de là», répond Manon Massé.
« Mais ce que la gauche québécoise ne parvient peut-être pas à positionner dans l’espace public, c’est que la richesse collective profite à tout le monde… et que la richesse individuelle profite à la personne à qui elle profite. »
Je vais plus loin en citant une récente tribune de Boucar Diouf, qui accusait la gauche de creuser sa propre tombe. Entre autres parce que, selon lui, cela « favorise le repli communautaire en fragmentant de plus en plus la population selon la race, la religion, le sexe, le genre et l’origine ethnolinguistique.1 ».
« Je pense que je dois prendre un bon café avec Boucar. Parce que quand je parle du salaire minimum, il n’a pas d’âge, il n’a pas de sexe, il n’a pas de couleur de peau», dit Manon Massé, qui cite aussi son combat pour les déjeuners gratuits. dans toutes les écoles et pour une assurance dentaire universelle.
Si on regarde toutes les priorités de Québec solidaire au cours des 10 dernières années, il n’a jamais été question de discours identitaire», explique-t-elle.
Manon Massé, Member of Parliament for Québec Solidaire
Le problème, selon le député solidaire, c’est que ce discours est aujourd’hui porté très efficacement par la droite. Ses représentants, un peu partout au sein de nos démocraties, mettent moins que par le passé l’accent sur l’économie et multiplient les débats autour de questions comme la laïcité, l’immigration, le genre, etc.
Ce faisant, ils ont piégé la gauche, qui est obligée de réagir, estime Manon Massé.
« À partir du moment où la droite a changé son discours en discours identitaire, il est certain que nous, la gauche, protégerons le monde qui est sur le point de perdre ses droits. Il est évident que nous allons le faire. Ce n’est pas parce que nous voulons mettre cela en avant », affirme l’homme politique.
«Je ne vous dis pas qu’on est parfait, ce n’est pas l’idée», prend soin d’ajouter l’ancien co-porte-parole de Québec solidaire.
Elle est donc convaincue que les priorités que sa formation met de l’avant ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent en raison de ce contexte.
D’autant que la pandémie a servi de catalyseur à la légitimation des discours identitaires, estime celle qui est toujours députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques.
« Les gens étaient affaiblis », se souvient-elle. Nos générations n’avaient jamais vécu cela, un événement comme celui-là. » Puis l’insécurité économique s’est installée à mesure que l’inflation augmentait.
« Lorsque nous sommes vulnérables, il existe un réflexe humain qui consiste à se recroqueviller et à se dire que nous nous en sortirons tout seuls. »
Un peu plus tard au cours de l’entrevue, elle évoque elle-même le mot « wokisme », qui a été utilisé pour dénoncer Québec solidaire. Notamment par le chef du Parti Québécois, Paul St-Pierre Plamondon, dans la foulée de la polémique sur les propos de Haroun Bouazzi sur le racisme à l’Assemblée nationale (qui n’ont certainement pas contribué à ce dont on parle de politiques publiques recommandées par QS!) .
« Que signifie le wokisme ? » Premièrement, personne n’a la même foutue définition. Ensuite, voulez-vous me dire comment se fait-il que je sois insulté parce que je défends les droits des gens ? », dit-elle.
Manon Massé n’a pas trente-six mille solutions pour inverser la tendance. « Nous avons du travail à faire sur le terrain. Nous avons beaucoup de travail à faire avec nos membres sur le programme. Nous avons pris note des dernières élections», explique-t-elle.
Elle promet donc de continuer à se battre pour l’égalité des droits, tout en espérant que la gauche saura mieux « démasquer les attaques de la droite ».
À la toute fin du débat, elle compare la gauche au féminisme, qui reste un combat constant.
« Ce sont des combats qui vont se poursuivre », a-t-elle déclaré. Et nous devons continuer à marcher et à avancer, quoi qu’il arrive. »
1. Lire la chronique « Cette gauche qui creuse sa propre tombe »
Qu’en penses-tu? Participer au dialogue