« Un peu plus haut, en amont du ruisseau, il y a des mûres. C’est le paradis des ours noirs. Il y a de l’eau de source. C’est leur chez-soi ; nous sommes les envahisseurs, pas les animaux, pas la nature », explique Arnold Raymond, en montrant les traces fraîches d’un ours noir à nos pieds.
Publié à 1h52
Mis à jour à 8h00
Le vieil homme a passé 45 ans de sa vie sur cette terre située sur le versant sud des Monts Sutton, en Estrie, dans le couloir de ce qu’on appelle les Montagnes Vertes. Il a décidé d’en laisser une grande partie afin qu’elle reste à l’état sauvage à perpétuité. Ainsi, 34 hectares de son territoire – l’équivalent de 214 patinoires de la Ligue nationale de hockey – ont été remis à Conservation de la nature Canada (CNC). La protection offerte par l’organisme fait qu’il sera à jamais interdit de chasser ou de camper dans cette zone, voire d’en faire un parc ou un lieu de villégiature.
Couvert en grande partie par la forêt, le territoire désormais protégé abrite une espèce d’oiseau rare, le pioui de l’Est (Contopus est vert). Dans son ruisseau nage la salamandre pourpre, désignée vulnérable selon le Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec. Au fil des années, M. Raymond a côtoyé des lynx et des cerfs. Il croit même avoir vu un couguar. Mais c’est en pensant aux ours noirs qu’il a choisi de léguer cette terre au nom de ses beaux-parents, Hugh et Dorothy Sherrer, qui l’avaient achetée en 1949.
Je crois qu’il y a une famille de cinq ours qui vit à proximité. Je veux m’assurer qu’ils conservent leur maison.
Arnold-Raymond
Au Québec, pas moins de 70 organismes ou fiducies acceptent des « dons écologiques » de particuliers, d’industries et de municipalités. Dans le cas de M. Raymond, c’est son agent immobilier qui l’a aidé dans ses démarches lorsqu’il a vendu l’ancienne ferme de ses beaux-parents. Une équipe accompagnée d’un biologiste s’est d’abord rendue sur place pour évaluer la valeur de l’écosystème. Le CNC a financé les démarches de M. Raymond, de l’inventaire écologique à l’arpentage, en passant par le certificat de localisation et l’évaluation foncière, jusqu’au bureau du notaire.
En échange du terrain, les donateurs reçoivent un reçu de don de bienfaisance qui donne droit à un crédit d’impôt.
Caroline Petit est chef de projet au CNC. Elle explique que la mission de l’organisme est d’être le gardien des héritages écologiques. Un réseau de bénévoles sillonne les terres protégées, notamment pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’espèces envahissantes. L’organisation est financée par les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que par des donateurs. Au-delà de la conservation des milieux naturels, le CNC a un mandat de recherche et d’éducation.
« C’est grâce à des gens comme M. Raymond que nous pouvons accélérer la conservation de la nature et avoir un impact sur la biodiversité. Les terrains sont de plus en plus chers, l’acquisition reste un défi majeur même avec le soutien du gouvernement. C’est donc grâce aux dons de terres que nous espérons atteindre nos objectifs de conservation d’ici 2030 et changer les choses », explique M.moi Petit.
Au Québec, 76 815 hectares répartis sur 1 587 sites de conservation dits « volontaires » sont protégés, selon le Réseau de milieux naturels protégés. Une nouvelle carte est actuellement en cours de mise à jour. À l’échelle du Canada, entre 1995 et 2016, près de 1 300 dons écologiques ont été dénombrés par le gouvernement fédéral, notamment au Québec et dans les Prairies.
Lanaudière Donations
Le directeur de l’organisme, Brice Caillé, estime que le nombre de dons peut paraître élevé, mais qu’il n’est pas suffisant. « Beaucoup de terres ont été perdues. On le voit encore ces jours-ci à Rabaska, à Lévis, où il y a des projets industriels malgré l’achat d’un des terrains par le gouvernement. Les municipalités doivent avoir davantage de devoirs et de pouvoirs juridiques en matière de protection écologique », estime-t-il.
Le 6 juin dernier, à Sainte-Émélie-de-l’Énergie, la Fiducie pour la conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL) célébrait le plus important don de terres à ce jour dans cette région : 22 hectares. Le don provient d’une citoyenne de Montréal, Linda Reven. Elle avait acquis le territoire montagneux, doté de nombreuses zones humides, mais dévasté par la coupe à blanc., Il y a 22 ans. L’organisme protège, conserve et met en valeur 645 hectares répartis dans 20 secteurs, de Mascouche à Saint-Zénon, plus au nord.
300
Nombre d’espèces animales recensées sur les terres protégées de la Fiducie pour la conservation des écosystèmes de Lanaudière, soit 35 % des 844 espèces répertoriées au Québec.
Source : FiCEL
La biologiste et responsable de la FiCEL Marie-Pierre Thibeault explique qu’un vaste inventaire des insectes et des chauves-souris sera réalisé cet été sur leurs terres, incluant plusieurs milieux humides. De 2018 à 2023, près de 80 espèces d’oiseaux ont été dénombrées, dont la paruline du Canada (Cardellina canadensis) et la grive des bois (Hylocichla mustela), espèces fragiles sous le Loi sur les espèces en voie de disparition.
« Il n’y a aucun développement ni exploitation forestière sur nos terres », rappelle M.moi Thibeault : Notre mission est de les protéger, nous faisons de la surveillance biologique. Et nous avons des bénévoles qui agissent comme des anges gardiens, notamment pour prévenir les déversements illégaux de déchets ou d’autres activités qui mettent en danger les écosystèmes.
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