L’écrivain Ismail Kadare décède à 88 ans

L’écrivain Ismail Kadare décède à 88 ans
L’écrivain Ismail Kadare décède à 88 ans

Ismail Kadaré photographié en octobre dernier à Tirana, avant une rencontre avec Emmanuel Macron.

AFP

L’écrivain albanais Ismail Kadare, 88 ans, auteur d’une œuvre monumentale sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, est décédé lundi matin, ont annoncé à l’AFP son éditeur et l’hôpital.

M. Kadare est décédé d’une crise cardiaque, a indiqué l’hôpital de Tirana. Il est arrivé “sans signe de vie”, les médecins lui ont pratiqué un massage cardiaque, mais il “est décédé vers 8h40”, a indiqué l’hôpital.

Ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, Ismaïl Kadaré, a exploré les mythes et l’histoire de son pays, pour décortiquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme.

“L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant”, disait l’écrivain à l’AFP dans l’une de ses dernières interviews en octobre, juste avant d’être élevé au rang de Grand Officier de la Légion d’honneur par le président français Emmanuel Macron. “Mais dans la littérature, cela se transforme en une force vitale, une force qui aide à survivre, à vaincre de front la dictature.”

La littérature « m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter », expliquait-il, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana, la capitale albanaise.

Traduit en 40 langues

Quelle meilleure métaphore de la terreur hideuse des opprimés que les têtes des vizirs disgraciés exposées au public dans « La Niche de la honte » (1978), une évocation de l’occupation ottomane qui revient dans plusieurs œuvres, comme « Les Tambours de la pluie » (1970).

« J’appartiens à l’un des peuples des Balkans, le peuple albanais, qui a perdu l’Europe à deux reprises : au XVe siècle, lors de l’occupation ottomane, puis au XXe siècle, pendant la période communiste », expliquait l’écrivain en janvier 2015, après les attentats de Paris, au journal français Le Monde.

Son œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages – romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre – traduits en 40 langues, a été écrite en partie sous la direction de Hoxha, qui, jusqu’à sa mort en 1985, dirigea d’une main de fer son pays hermétiquement fermé.

Pour Ismaïl Kadaré, le joug ne saurait être une excuse : l’écrivain a le devoir de s’octroyer une liberté totale, d’« être au service de la liberté ». « La vérité n’est pas dans les actes mais dans mes livres qui sont un véritable testament littéraire », disait-il à l’AFP en 2019.

Né à Gjirokastër (comme Hoxha), sa « ville de pierres » (1970) dans le sud de l’Albanie, il publie son premier roman en 1963, « Le général de l’armée morte » : un officier italien se rend en Albanie pour exhumer ses compatriotes tués lors de la seconde Guerre mondiale.

M. Kadaré écrit depuis son enfance lorsqu’il découvre dans une bibliothèque familiale le « Macbeth » de Shakespeare, l’un de ses héros aux côtés d’Eschyle, Cervantes, Dante et Gogol.

Etudes à Moscou

Au début des années 1960, il étudie à l’Institut Maxime Gorki de Moscou, haut lieu du réalisme soviétique, genre littéraire qu’il déteste car « il n’y avait ni mystère, ni fantômes, rien ».

Il raconte cet apprentissage dans « Le Crépuscule des dieux de la steppe » (1978). La décision de Hoxha de rompre les liens avec l’URSS de Nikita Khrouchtchev ramène Ismail Kadare en Albanie.

De cette rupture naît « Le Grand Hiver » (1973), dans lequel apparaît Hoxha. Le livre est plutôt favorable à Tirana, mais les plus fervents adorateurs du tyran le jugent insuffisamment élogieux et réclament la tête de l’écrivain « bourgeois ».

Hoxha, qui se targue d’être un amateur de littérature, se précipite à son secours. Dans ses mémoires, sa veuve, Nexhmije Hoxha, raconte comment son mari, souvent exaspéré, a sauvé à plusieurs reprises Ismaïl Kadaré, brièvement député au début des années 1970.

Protégé par sa renommée lorsque d’autres sont condamnés aux travaux forcés, voire exécutés, il est critiqué pour ce statut de « dissident officiel ».

M. Kadare a toujours nié tout lien particulier avec la dictature. « De qui Enver Hoxha me protégeait-il ? D’Enver Hoxha », expliquait-il à l’AFP en 2016.

« Une littérature normale dans un pays anormal »

Ismaïl Kadaré se considère comme un écrivain qui « a tenté de créer une littérature normale dans un pays anormal ».

Le poème « Pachas rouges » (1975) l’a contraint à l’autocritique publique et les archives de l’époque Hoxha montrent qu’il a souvent frôlé l’arrestation. Sous l’épée de Damoclès de l’appareil policier, soumis à une surveillance aussi étouffante que constante, il s’exile en 1990, qu’il raconte dans son « Printemps albanais » (1997).

Jusqu’au bout, M. Kadaré a écrit « tout le temps ». « Je note des idées, j’écris des nouvelles, j’ai des projets », confiait-il à l’AFP d’une voix fatiguée en octobre. « Car la littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand incomparable avec tout ce qui a fait ma vie. Et comme elle, « l’écrivain n’a pas d’âge ».

Si l’Albanie était son décor exclusif, sa condamnation de la tyrannie était universelle – comme il l’expliquait dans « Discord » (2013) : « Si l’on commençait à chercher une ressemblance entre les peuples, on la trouverait avant tout dans leurs erreurs.

(AFP)

 
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