L’élan de Paryse | La presse

Parfois tu m’écris des messages qui font mal.

Il y a quelques semaines, j’ai publié une chronique sur les sœurs et le rôle immense qu’elles peuvent jouer dans la vie et dans la société. Le même jour, j’ai reçu un mail de Natacha Martin.

«Ma sœur était, pour d’autres, une star des arts visuels au Québec, une enseignante attentionnée et exigeante, une voisine attentionnée ou une amie dévouée. Pour moi, elle était un monde à elle seule […] Quand elle est morte, cette partie de mon existence s’est cristallisée. Même si j’ai soudainement hérité d’un nombre impressionnant de collaborateurs, d’amis, de disciples et d’admirateurs, mon nouveau rôle de gardien de sa collection n’a pas réussi à apaiser les vagues de chagrin. »

Lire le texte « Être sœur, un état sous-estimé »

J’ai vite compris que la sœur en question était Paryse Martin, une artiste multidisciplinaire décédée d’une complication cardiaque le 4 mars 2024 à l’âge de 64 ans.

Et ce matin-là, j’ai eu droit au triste rappel que les sœurs – même les plus merveilleuses – ne sont pas éternelles…

Paryse accompagnait Natacha chez elle lorsque celle-ci « sortait du boutique « . Les femmes ont discuté au téléphone pendant que Natacha, qui dirige une entreprise d’aménagement paysager, rentrait chez elle. Pas tous les jours, mais presque. Les plus jeunes ont vite manqué ces conversations. Incapable de parler à sa sœur, elle a commencé à lui écrire…

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Artiste multidisciplinaire Paryse Martin

Le 4 août par exemple : « Je pense à tes derniers jours. J’ai tenu ma promesse. Je t’ai laissé partir. Le doute insidieux que vous auriez pu regretter de m’avoir demandé reste en moi comme un petit bruit gênant qu’il faut ignorer avec toute la patience d’une religieuse devant son travail. Je sais bien que la souffrance et l’immobilité ne font pas partie de la liste de tes grandes passions […] Vous commenciez à trouver la vieillesse encombrante. Le corps d’un vieux tank avec des pièces détachées ne convient pas aux princesses révolutionnaires ou aux punks, surtout à ceux qui aiment les gants en soie. Cet obstacle à votre course vers l’excellence, vous n’avez pas su le contourner ni le transformer. Bienvenue chez le commun des mortels… Cela doit changer pour vous ! »

Natacha rit en lisant et mes yeux pleurent.

Perdre une sœur, quel cauchemar.

Natacha n’a pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir, répond-elle.

Elle avait un « mandat de protection » envers sa sœur, qui avait déjà souffert de deux cancers. Elle a tenu sa promesse alors que Paryse était inconsciente à l’hôpital.

« Je lui ai dit : ‘Ecoute, si tu penses que ça va, qu’on peut encore s’amuser et que tu vas pouvoir dessiner, allez !’ Mais si tu en as marre de ton foutu voyage, ce n’est pas grave. Quoi qu’il en soit, c’est vous qui choisirez, c’est toujours vous qui choisissez. Vous êtes libre dès le départ. »

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PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Natacha Martin poursuivra les œuvres de sa sœur décédée. C’était une artiste reconnue.

Paryse Martin a laissé derrière elle une œuvre importante. Sculpture, peinture, illustration ; elle avait le don de créer des pièces fascinantes dans lesquelles, selon Natacha, « tout le monde pouvait reconnaître son histoire ». C’est pourquoi ses créations se retrouvent dans tant de collections privées et publiques (comme celles du Musée national des beaux-arts du Québec et de la Ville de Montréal).

Natacha Martin a hérité de toutes les pièces qui n’ont pas encore trouvé leur place officielle. Et, là encore, les consignes étaient claires : « [Paryse] m’avait prévenu : « Si vous faites une braderie, beaucoup d’œuvres sortiront en même temps et ce ne sera pas très bon pour entretenir ma mémoire. » »

Ce que Paryse Martin souhaitait, c’était plutôt que Natacha assure son héritage en la faisant entrer dans davantage de musées… et en achevant ses travaux en cours.

Au décès de la créatrice, elle avait trois contrats d’art public en cours. Le premier était une réinvention du célèbre arbre à boules québécois. Malade, l’orme avait été coupé. Paryse a eu l’idée de réaliser une sculpture rappelant notre interdépendance avec les êtres et la nature. Portez les rêves jusqu’à la limite du ciel était bien avancé et Natacha a tout simplement pu accompagner l’équipe créative dans la réalisation des travaux, inaugurés le 1est en novembre dernier.

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PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Natacha Martin

Même chose pour le projet d’art public dédié au quartier général de la police de Québec : Natacha le gère, tandis que les travaux sont exécutés par une équipe bien au fait des décisions esthétiques et techniques déjà prises par Paryse.

Quant au troisième projet – un hommage à l’enseignement pour le Collège François-de-Laval –, c’est plus compliqué. « On a le modèle, on a le scan que Paryse a fait de mon fils quand il avait 10 ans, on a les dessins… Ensuite, c’est tout. »

Pour le reste, Natacha a demandé l’aide d’anciens assistants de Paryse Martin. Grâce à Julie Gagnon et Vénétia Tsibucas, Natacha a appris à réaliser du bronze.

Le client en est bien conscient : la sculpture qu’il recevra ne sera pas de Paryse Martin, mais plutôt un hommage à Paryse. Un hommage qui incarnera parfaitement la philosophie de l’artiste, qui a consacré une bonne partie de sa vie à transmettre son savoir. Le 11 mai, l’Université Laval – où elle enseignait – organisait un événement commémoratif en son honneur. Natacha y a lu une lettre, dont je retiens ce passage…

« Plutôt que de souligner sa singularité, Paryse cherchait ce qu’elle avait en commun avec la personne en face d’elle. Elle a élevé tous ceux qu’elle a rencontrés. Profondément libre, elle a accepté nos choix et nos limites. Elle a respecté notre libre arbitre au point de nous laisser nous pendre avec toute cette belle corde qu’elle nous avait donnée, sans jamais faire de nœud, préférant de loin nous apprendre à fabriquer des ponts, des échelles ou des cordes à danser. »

Dans sa vie comme dans sa mort, elle aura veillé à entraîner sa sœur avec elle.

 
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