“Pouvez-vous le faire pour moi?” »

Alors que la Commission spéciale sur les impacts des écrans sur les jeunes est en cours, La presse a interrogé une dizaine d’enseignants, de professionnels et d’employés des écoles primaires de la province pour voir comment les jeunes ont évolué au fil des années.

Publié à 5h00

Pour leur permettre de raconter des cas réels, nous avons accepté de leur accorder l’anonymat. Nous avons également échangé avec des experts et des associations professionnelles, dont les observations confirment les témoignages du terrain.

Les résultats sont alarmants.

Cette année dans la classe de premier cycle de Sylvie*, les enfants n’ont pas réussi à identifier un koala sur une photo. Ils ont également mélangé un tigre et un lion. Un phénomène qu’elle n’avait pas vu il y a quelques années, avant les écrans, lorsque la consommation de livres était plus présente dans les foyers.

En première année, explique l’enseignant avec 30 ans d’expérience, seuls 20 % des élèves sont capables de peler une banane. Tailler un crayon est également difficile. « Nous avons été obligés de choisir de gros crayons triangulaires car les élèves n’étaient plus capables de manipuler des crayons ordinaires. »

Les enseignants doivent montrer aux enfants comment « retirer la capuche de leur sweat à capuche de leur manteau », enfiler leurs mitaines, fermer leur fermeture éclair ou attacher leurs chaussures.

«On entend des enseignants rapporter que les enfants ne maîtrisent pas certaines activités de la vie quotidienne à leur arrivée à l’école», confirme Noémi Cantin, professeure responsable du programme de développement des compétences professionnelles en milieu scolaire au département d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Rivières (UQTR). Elle précise toutefois que le phénomène n’a pas fait l’objet d’études sur le long terme et qu’il est difficile à mesurer.

On remarque certaines lacunes dans le langage, les comportements et les habitudes de vie. Depuis la pandémie, on voit vraiment une différence.

Carl Ouellet, président de l’Association québécoise du personnel en gestion scolaire (AQPDE)

M. Ouellet rapporte des enfants qui tentent de « glisser » les pages d’un livre comme sur une tablette électronique parce qu’ils n’ont pas été exposés à la lecture. Une directrice d’école primaire lui a également raconté que certains enfants vivent dans un monde parallèle et sont tellement déconnectés de la réalité qu’elle doit leur dire qu’elle s’adresse à eux, et non à leur personnage de jeu vidéo virtuel, lorsqu’elle leur parle.

«Ils sont entre deux mondes», estime Carl Ouellet.

L’Association québécoise du personnel scolaire en direction (AQPDE) a déposé en septembre un mémoire à la commission spéciale qui étudie les effets des écrans sur la santé et le bien-être des jeunes, selon lequel les enfants québécois ont des difficultés à écrire, à s’exprimer et à socialiser et ont une moins bonne motricité fine.

Présidente de la Fédération des comités de parents du Québec, Mélanie Laviolette constate des changements chez les enfants d’aujourd’hui et s’interroge sur la cause.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE ARCHIVES

Mélanie Laviolette, présidente de la Fédération des comités de parents du Québec

Nous avons un rythme de vie de plus en plus fou. Les deux parents doivent travailler. Nous sommes moins présents […] Il existe parfois un sentiment de culpabilité chez les parents qui nous fait mettre de côté les choses triviales, comme montrer comment attacher nos chaussures ou ramasser nos affaires pour faire des activités amusantes.

Mélanie Laviolette, présidente de la Fédération des comités de parents du Québec

Julie*, enseignante en maternelle, observe tout cela dans son école du Grand Montréal. Les enfants ne peuvent pas mettre leurs chaussures ni attacher leur manteau. « Quand je leur dis d’essayer, ils me disent : je n’en suis pas capable. Certaines personnes me font des crises de colère lorsque j’insiste pour qu’elles les essayent ou parce que je ne les habille pas. »

«Ils n’ont plus aucune autonomie», déplore sa collègue Luce*, enseignante de première année en Montérégie. Par exemple, certains élèves ne sont plus capables de couper en suivant les lignes. Beaucoup de gens ont des crises au moindre désagrément. Ils jettent des choses. Frappez les autres.

Ils n’ont pas appris à faire les efforts nécessaires. Beaucoup me demandent : « Pouvez-vous le faire pour moi ? « . Il y a moins de tolérance à l’effort.

Luce, enseignante de première année

En maternelle, certains enseignants doivent montrer aux élèves « comment monter et descendre les escaliers », ajoute-t-elle.

« Ils ne sont pas capables de bricoler. Ils ont du mal à rester assis en classe car ils ne bougent pas suffisamment. Ils manquent de tonus et de force musculaire. Ils sont plus violents dans leurs actes et dans leurs propos », raconte Catherine*, institutrice spécialisée. Elle ajoute que « beaucoup d’enfants ne sont pas habitués à la propreté » à la maternelle à 4 ans, et parfois même à 5 ans.

Marie-Ève*, enseignante dans une école de l’Estrie, constate également que les enfants débutent la maternelle avec des culottes de propreté. Et pas seulement ceux qui ont des besoins particuliers. À tel point que dans son école, quelqu’un était engagé pour changer les couches des enfants trois ou quatre fois par jour. Le poste s’appelle préposé aux enfants handicapés. « Mais ils ne sont pas nécessairement handicapés », dit-elle.

Ce manque d’autonomie peut durer des années.

Geneviève* enseigne en quatrième année dans un environnement très privilégié. Même à ce niveau, elle doit régulièrement gérer les baskets de ses élèves de 9 ans, dont beaucoup n’arrivent toujours pas à les lacer correctement.

Je leur montre comment les nouer moins serrés et rentrer les lacets à l’intérieur pour qu’ils puissent les enfiler comme des pantoufles. Sinon, je passe la journée à leur dire de les rattacher.

Geneviève, enseignante de quatrième année

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’organisation est déficiente chez de nombreux élèves, observent les enseignants.

L’enseignant déplore également un manque d’organisation chez plusieurs enfants. Il faut tout répéter encore et encore : mettez vos crayons ici, vos cahiers souples ici, vos cahiers rigides là. « Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais environ les deux tiers sont mal organisés. Ils ne savent plus rien gérer. Je leur montre même comment placer les objets sur leur bureau. Je dois vérifier leurs casiers. Il y en a qui ne peuvent pas récupérer leur lunch box. »

Même déclin en termes de relations sociales. L’enseignant a souvent besoin de relativiser la gravité de certains événements anodins, perçus comme des catastrophes par les enfants… et leurs parents. Elle donne l’exemple d’un étudiant paniqué parce qu’il a perdu son crayon, et d’un adulte qui envoie une lettre exigeant une intervention parce que son enfant « s’est fait marcher dessus » par un ami.

« Nous sommes débordés dans l’enseignement des matières car nous sommes occupés à enseigner le vivre-ensemble. Au début de l’année, je fais à peu près ça », dit-elle.

«Il y a une perte de temps d’enseignement», confirme Carl Ouellet, de l’AQPDE. Les enseignants sont très impliqués dans la gestion de base. Pour cela, vous devez prendre plus de temps. »

* Prénoms fictifs

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Afrique du Sud. L’ANC expulse définitivement Jacob Zuma
NEXT Actions de sensibilisation au SIDA et aux IST, et dépistage gratuit, cette semaine, en centre-ville