un reportage de « Sud Ouest » sur les origines de l’homme

un reportage de « Sud Ouest » sur les origines de l’homme
un reportage de « Sud Ouest » sur les origines de l’homme

Yves Coppens a découvert Lucy, inventé « l’histoire de l’East Side », appelé la paléontologie moderne la « ruée vers les os ». Il nous avait révélé nos origines : la grande faille africaine, la Faille. Avec les australopithèques, ou pré-hommes, à l’est, et les grands singes à l’ouest, nos vagues cousins.

Evolution, une belle histoire

« Je ne dirais pas qu’Abel parlait, mais je ne dirais pas non plus le contraire. »

Parce qu’il est un fantastique communicateur et vulgarisateur, Yves Coppens nous a raconté cette belle histoire d’évolution : un Ouest luxuriant de forêts tropicales où vivre c’était se balancer de branche en branche, un Est désertique de savane boisée où vivre c’était se tenir sur deux jambes, pour courir, chasser ou être chassé. De part et d’autre du Rift, il a fallu s’adapter au milieu. Une histoire si inspirée des théories de Darwin et si séduisante qu’elle avait, au fil des années, bénéficié d’un consensus grandissant au sein de la communauté des paléoanthropologues. Ainsi, les sites d’Afar et d’Omo, en Ethiopie, importants gisements d’ossements d’hominidés, ont longtemps été considérés comme le véritable berceau de l’humanité. Un clin d’œil sinistre de l’Histoire qui fait de cette terre éthiopienne où l’homme a fait ses dents la plus pauvre du monde.

« Mais je n’ai proposé qu’un modèle, un scénario possible. Si ce modèle tombe, nous en ferons un autre », s’excuse aujourd’hui gentiment le célèbre professeur du Collège de . La découverte d’Abel, à 2 500 kilomètres à l’ouest du Grand Rift, dans un désert tchadien, fait craquer le modèle. En quelques centaines de milliers d’années, Abel sera contemporain de Lucie. Il aurait environ 3,5 millions d’années.

En attendant, Abel n’est qu’une mâchoire inférieure. Avec sept dents. Mais, pour les paléontologues, cela suffit largement pour déterminer le degré d’évolution de ce pré-homme, auparavant classé comme Australopithecus Afarensis comme Lucy, mais qui pourrait bientôt disposer d’une classification qui lui est propre. Car Abel est clairement différent de son cousin éthiopien : ses prémolaires ont trois racines, sa symphyse mandibulaire est très avancée. Au point qu’Yves Coppens y voit presque les prémices d’un être parlant… « Je ne dirais pas qu’Abel a parlé, mais je ne dirais pas non plus le contraire. »


Un village au bord du lac Turkana, aux frontières de l’Ethiopie et du Kenya, le pays de Lucy.

RD

Au bord du sable

Bercés par les théories de Coppens, Michel Brunet et ses amis y cherchaient des restes de grands singes. Ils ont trouvé un pré-homme.

Yves Coppens sait soigneusement équilibrer la prudence des hypothèses et les déclarations audacieuses. Son aventure en Ethiopie lui a appris qu’on fait plus de bien à la paléoanthropologie en en parlant qu’en gardant le silence. Et en parlant simplement. L’histoire de l’Australopithecus Afarensis nommé Lucy parce que les chercheurs écoutaient la chanson des Beatles « Lucy in the sky with diamonds » a fait le tour du monde. Juste avant qu’« Indiana Jones », « Jurassic Park » et d’autres fictions américaines viennent confirmer cette image dépoussiérée de l’archéo-anthropo-paléontologue. Vu à travers le prisme de Coppens, le récit des origines de l’homme est une aventure moderne, passionnante et très populaire.

Mais Coppens n’est plus le héros de cette aventure. Il vient de se faire voler la vedette par un de ses amis, Michel Brunet, professeur de paléontologie à la faculté des sciences de Poitiers. Pour cette mandibule cueillie au bord du sable dans le désert tchadien, un petit matin de janvier 1995.

Bercés par les théories de Coppens, Michel Brunet et ses amis y cherchaient des restes de grands singes. Ils ont trouvé un pré-homme. « À l’Est, nous avons trouvé près de 3 000 ossements humains. A l’ouest, rien. On peut raisonnablement estimer que les origines de l’homme se situent à l’Est. Abel vient perturber nos hypothèses. Mais sans les remettre complètement en cause», argumente tout de même Yves Coppens.

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Trouver le mutant

Que recherchent-ils tous en Afrique ? Le chaînon manquant, bien sûr, qui est à la paléontologie ce que le degré zéro de l’infini est aux mathématiques ou le point G à l’érotisme.

Michel Brunet sourit dans sa barbe. Il est convaincu que dans le désert de Koro Koto, où il a découvert Abel, il peut remonter bien plus loin que 3,5 millions d’années : « Il faut faire des forages. Et pour forer, il faut de l’argent. Notre budget prévisionnel pour les cinq prochaines années n’est que de 5 millions de francs. Avec 2 millions de francs dès la première année. Le succès en paléontologie est aussi une question d’argent. » Ce qui ne l’a pas empêché de faire sa fameuse découverte avec seulement quelques compagnons et deux jeeps alors qu’il dérivait vers l’est à cause d’une tempête de sable. Pas très scientifique, mais la science se construit aussi sur le hasard. Reste que pour poursuivre ses recherches, il ne peut plus compter sur la chance mais sur la méthode et les moyens pour mettre en œuvre cette méthode. Il faut remonter le temps en pénétrant les couches géologiques du désert qui ont donné naissance à la mâchoire d’Abel. Analysez tous les fossiles d’animaux qui s’y trouvent. « Il y a dix ou quinze ans de travail dans ce secteur », sourit Michel Brunet.

Que recherchent-ils tous en Afrique ? Le chaînon manquant, bien sûr, qui est à la paléontologie ce que le degré zéro de l’infini est aux mathématiques ou le point G à l’érotisme. « Plus on s’en rapproche, plus il s’éloigne. D’autant qu’on n’a pas réussi à déterminer sa datation exacte et qu’on ne sait pas vraiment s’il y en a un ou plusieurs”, admet Yves Coppens, fataliste. Il y a eu un mutant, à un moment donné dans l’histoire du globe, qui avait des caractéristiques de singe et des caractéristiques d’hominidé. C’est cet être animal essentiel qui fascine les scientifiques du passé.

Ceux qui attendent fébrilement l’os carrefour du singe et de l’homme risquent d’attendre encore longtemps. Forts de l’évidence qu’il est plus important de chercher que de trouver, les paléontologues français et américains continuent de parcourir avec foi le sol africain. Le berceau de l’humanité est là. Ils en sont fermement convaincus. Pas forcément à l’est de la grande faille tectonique, comme on le croyait il y a encore un an, mais pas forcément à l’ouest non plus. Quelque part, sous la terre chaude du Continent Noir, se trouve un autre tibia, un autre crâne ou une mâchoire qui en dit un peu plus que Lucy ou Abel sur nos origines. Mais cela ne veut pas tout dire.

Les grandes dates

7 février 1925 : Un crâne fossile découvert quelques mois plus tôt dans la grotte de Taung, en Afrique du Sud, est décrit par le professeur Raymond Dart comme le premier Australopithecus africanus (âgé de 3 millions d’années). 17 juillet 1959 : Marie Leakey, épouse du célèbre paléontologue Louis Leakey, a découvert le crâne de Zinjanthropus bosei dans les gorges d’Olduvaï, en Tanzanie. 1961 : Marie Leakey, elle aussi, a découvert dans la grotte d’Olduvaï le crâne d’un homo habilis – vieux de 1,8 million d’années –, le premier homme, prosaïquement baptisé « ER1470 ». Le volume du cerveau dépasse celui des australopithèques de 45 %. 1974 : Yves Coppens, Donald Jonhanson et Maurice Taïeb découvrent cinquante-deux fragments d’os d’un Australopithecus Afaranis (Lucy) vieux de 3,5 millions d’années, à Afar, dans le sud de l’Éthiopie. 1995 : Michel Brunet découvre la mâchoire inférieure d’un australopithèque contemporain de Lucy à 2 500 kilomètres à l’ouest de la Rift.

 
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