Survivre à la fin du monde

Survivre à la fin du monde
Survivre à la fin du monde

Kuei! Cela signifie bonjour en innu-aimun. C’est un joli mot et plusieurs Premières Nations l’utilisent et l’écrivent à leur manière. Kuei, kway, Kwé, le bonjour indigène prend ainsi différents visages dans l’écriture.

Cette attention à l’orthographe peut surprendre de la part de personnes de tradition orale et donc a priori sans culture littéraire. Pourquoi s’inquiéter de la façon dont un mot est orthographié s’il n’était pas du tout orthographié il y a quelques décennies ? Et de toute façon, n’est-ce pas le rôle de l’Office québécois de la langue française (OQLF) de décider de l’orthographe d’un mot au Québec ? Si chacune des nations autochtones commence à s’impliquer, cela ne risque-t-il pas de devenir compliqué ?

Sans doute, mais en fait, c’est déjà un peu.

Ainsi, l’OQLF recommande le terme Attikameks pour désigner les membres de cette nation qui compte trois communautés. Mais ils préfèrent le terme Atikamekw invariable en genre et en nombre. L’Office parle des Abénakis qui préfèrent les Abénakis. Il suggère d’écrire « un Inuit, une Inuite, des Inuits, des Inuites ». À Kuujjuaraapik, on dit et on écrit un Inuk, Inuuk s’il s’agit de deux personnes. Lorsqu’il y en a trois ou plus, les Inuit sans le « s » qui, en inuktitut, devient le pluriel d’Inuk.

Le Québec autochtone est divisé en 11 nations, chacune avec sa propre culture et sa propre langue. Même s’ils sont parlés ici depuis la nuit des temps, ils ne bénéficient d’aucun statut ni protection particulière, pas plus que le russe, le chinois, l’arabe ou l’hindi.

La Suède, pays dont le Québec aime souvent s’inspirer, reconnaît cinq langues minoritaires, dont le sami, parlé par le dernier peuple autochtone d’Europe, les Sami. Bien entendu, l’Europe multiculturelle n’est pas l’Amérique anglo-saxonne. Et le combat du Québec pour préserver le français ressemble à celui de David face à Goliath. Mais l’exemple suédois montre qu’il existe d’autres modèles. C’est possible.

Je suis Innu, mais je m’exprime et j’écris en français. Si vous êtes né en ville comme moi, il est peu probable que vous appreniez autre chose que le français ou l’anglais, les deux seules langues enseignées dans le système scolaire.

Et grandir dans une communauté autochtone ne garantit pas non plus que vous apprendrez la langue de vos ancêtres. Ma cousine Charlène a grandi à Mashteuiatsh. Sa mère a été envoyée avec ses sœurs et ses frères au pensionnat de Fort George. Là, elle a vécu des attaques, des humiliations, de la douleur, de la peur et en est venue à penser que tout cela était à cause des innu-aimun. Pour la protéger, elle voulait que sa fille parle français, comme tout le monde au Lac-Saint-Jean. La honte des pensionnats a un long bras.

Le Québec ne fait rien pour lutter contre une forme d’assimilation qu’il craint pour lui-même face à l’anglais. C’est triste quand on y pense.

C’est là que le livre intervient dans l’histoire et devient une forme de résistance à l’assimilation. Virginia Pésémapéo Bordeleau a publié Ours bleu en 2007 et L’amoureux du lacun beau roman érotique, six ans après. Joséphine Bacon, Bâtons de message en 2009.

Le premier roman indigène que j’ai lu, À Essipande Naomi Fontaine, a été publié en 2011. Une voix innue raconte la vie des Innus. C’était donc possible.

D’autres ont suivi et quand, en 2016, j’ai voulu publier un recueil de nouvelles d’auteurs autochtones pour marquer notre présence, j’ai eu du mal à réunir dix personnes. Mais Amonqui signifie « rassemblement » en innu, a reçu un accueil chaleureux. Et en 2021, un deuxième collectif, Wap, a rassemblé 14 plumes indigènes. L’année prochaine, un troisième apparaîtra. Cette fois, une vingtaine d’écrivains des Premiers Peuples contribueront et j’aurais pu en ajouter d’autres.

De nombreux Autochtones sont également devenus des noms connus de la scène littéraire québécoise, Marie-Andrée Gill, Isabelle Picard, Louis-Karl Picard-Sioui, JD Kurtness et de nouvelles voix émergent, Moira-Uashteskun Bacon, Carole Labarre, Katia Bacon.

Avec le réchauffement climatique, on parle beaucoup de la fin du monde tel que nous le connaissons. Les Premiers Peuples étaient déjà là. Ils ont vécu la fin de leur monde pour ensuite être contraints de vivre dans un monde qu’ils n’avaient pas choisi. Lorsque nous survivons à l’apocalypse, nous éprouvons un intense désir de vivre. Et dans ce vaste territoire où les langues des Premiers Peuples sont menacées, leurs voix s’expriment de plus en plus dans l’écrit, dans les livres. C’est ainsi que vit et vibre la littérature autochtone au Québec.

Niaut. Ça veut dire bonjour.

 
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