Une fois n’est pas coutume : la Cour suprême du Canada est traînée devant les tribunaux pour son refus de traduire environ 6 000 décisions historiques rédigées uniquement en anglais avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969.
Ce serait même une « première dans l’histoire du Québec et du Canada » selon Droits collectifs Québec (DCQ), l’organisme qui a déposé la poursuite en Cour fédérale vendredi matin à Montréal.
« La DCQ démontre qu’il y aura désormais un prix à payer pour violer les droits des francophones du Québec et du Canada, peu importe la puissance de la personne ou de l’institution contrevenante », soutiennent le président de la DCQ, Daniel Turp, et le directeur général, Etienne. -Alexis Boucher.
Le commissaire est d’accord avec eux
Leur approche s’appuie sur les positions prises par le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, qui a demandé à deux reprises à la Cour suprême de traduire ces anciennes décisions.
Pas plus tard qu’en septembre, le commissaire publiait un rapport appuyant DCQ dans sa plainte contre la Cour suprême.
M. Théberge a conclu que « toutes les décisions que la Cour suprême publie sur son site Internet devraient l’être dans les deux langues officielles puisque cette offre en ligne constitue une communication au public faite par une institution fédérale ».
La Cour suprême s’y oppose
Le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, estime que cet exercice serait trop coûteux et que les avantages réels seraient limités.
Le juge du plus haut tribunal du pays a déclaré lors d’une conférence de presse en juin qu’il faudrait une centaine de traducteurs travaillant pendant une décennie pour traduire les quelque 6 000 décisions. La facture estimée : 10 à 20 millions de dollars.
« Nous n’avons pas cet argent. S’il y a quelqu’un qui l’a, tant mieux. Cela plaira à ceux qui aiment le patrimoine culturel légal », a-t-il déclaré. « L’intérêt juridique de ces décisions historiques est très minime. »
Richard Wagner avait évoqué l’idée d’utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour faciliter la tâche, mais l’idée déplaisait à la DCQ, qui souhaitait une traduction réalisée par des traducteurs spécialisés en droit.
« Les experts appellent à la prudence, car l’IA ne peut remplacer le traducteur juridique, qui connaît les subtilités du droit », explique la DCQ dans un communiqué daté de septembre.
Par sa démarche, l’organisme souhaite déclencher une vague de « mobilisation » pour le respect des droits des francophones à travers la francophonie canadienne.
La traduction de ces milliers de décisions est souhaitée par Québec. L’année dernière, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, réclamant la traduction de ces quelque 6 000 décisions.