une histoire d’amour et de haine

Chaque printemps, depuis des décennies, le même scénario se répète dans toutes les banlieues d’Amérique du Nord. A coups de pesticides, d’engrais chimiques et d’arrosoirs automatiques, et au son des chœurs de tondeuses à gazon, les propriétaires poursuivent leur idéal de pelouse parfaite, une quête qui leur impose notamment de mener une bataille coûteuse, chronophage et interminable contre leur ennemi juré, le pissenlit.

Un pissenlit produit de 1 500 à 3 000 graines par an. En raison de sa fertilité, de sa croissance rapide et de sa résistance à la sécheresse, il ne fait qu’une bouchée du pâturin prairies, la principale espèces qui constitue la pelouse. Il faut beaucoup d’efforts et de pesticides pour inverser cet équilibre des pouvoirs.
Getty Images/Romolo Tavani

Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est ce que dit Claude Lavoie, professeur à l’École supérieure d’urbanisme de territoire et le développement régional deUniversité Lavalje voulais comprendre en écrivant l’ouvrage Pissenlits contre pelouse, une histoire d’amour, de haine et de tondeuses, qui vient de paraître aux Éditions MultiMondes. L’idée de consacrer un livre au pissenlit a germé dans l’esprit du professeur Lavoie en 2019, après avoir rédigé son ouvrage 50 plantes envahissantes, protectrices de la nature et de l’agriculture. « Le pissenlit est la plus intéressante des plantes évoquées dans mon premier livre. D’abord en raison de son potentiel phénoménal de plante envahissante, mais aussi parce qu’à travers mes lectures, je me suis rendu compte que, pendant longtemps, le pissenlit était apprécié ou, au pire, suscitait l’indifférence. Il n’y avait aucune vraie raison de le détester. La haine envers cette plante est une construction sociale étroitement associée à l’émergence des pelouses.

Le pissenlit est une plante d’origine eurasienne introduite en Amérique du Nord au 17e siècle. En Europe, ses jeunes pousses étaient consommées comme aliment et la plante était prescrite pour divers problèmes de santé. Son nom commun – pissenlit – en est la preuve, souligne le professeur Lavoie. « C’est une distorsion de pisse-en-lit, une référence aux propriétés diurétiques de la plante. Quant au qualificatif « officinal », il rappelle la pharmacie où les moines et apothicaires du Moyen Âge et de la Renaissance préparaient et conservaient leurs remèdes et potions.

Le pissenlit prolifère dans les milieux ouverts. Lorsqu’il arrive sur le sol américain, il trouve peu d’habitats propices à son implantation en raison de l’omniprésence des forêts. «Pendant trois siècles, le pissenlit a peu perturbé, même dans les champs agricoles», souligne Claude Lavoie. Au début du 20e siècle, elle est encore considérée comme une nuisance agricole mineure. Mais en quelques décennies, sa réputation a complètement changé.»

C’est l’engouement pour les pelouses, l’écosystème le plus populaire créé par l’homme, qui va radicalement changer la donne en offrant un habitat idéal aux pissenlits. Les premières vraies pelouses apparaissent au XVIIee siècle dans les vastes domaines des aristocrates de France etAngleterre. Plus tard, de riches Américains les firent installer autour de leur résidence. « Ce n’est qu’après Deuxième Guerre mondiale, avecexplosion banlieues, que la pelouse est devenue une partie intégrante du rêve américainvoiturela maison unifamiliale et le télévision. Avoir une pelouse verte et bien entretenue est devenue un symbole de richesse », observe le professeur Lavoie.

Après la Seconde Guerre mondiale, avec l’explosion des banlieues, la pelouse est devenue partie intégrante du rêve américain, au même titre que l’automobile, la maison individuelle et la télévision. Avoir une pelouse verte et bien entretenue est devenu un symbole de richesse.
Getty Images/H. Armstrong Roberts

Selon les normes de l’industrie, la pelouse idéale est composée d’une seule espèce de graminée, le pâturin des prés. « Livré à lui-même, sans intervention humaine, ce type de pelouse est sans défense – ou presque – contre le pissenlit, qui ne fait qu’une bouchée du pâturin », souligne-t-il.

En effet, le pissenlit est une machine quasi indestructible, conçue pour envahir. Premièrement, cette plante possède une racine pouvant atteindre 30 cm de longueur, ce qui lui permet, en période chaude et sèche, de combler ses besoins en eau pendant que le pâturin souffre et sèche. « La racine du pissenlit est difficile à arracher d’un seul tenant et les fragments qui restent dans le sol peuvent reconstituer une plante. Le pissenlit pousse vite, il se régénère rapidement après la coupe et il produit de nombreuses graines. Chaque pissenlit produit annuellement entre 1 500 et 3 000 graines», souligne Claude Lavoie.

Il faut donc beaucoup d’efforts et de ressources, notamment des pesticides, des engrais et de l’eau, pour obtenir une pelouse bien entretenue et exempte de pissenlits. « Pour ces raisons, la recherche d’une pelouse parfaite n’est pas sans conséquences sur la santé desenvironnement et, par ricochet, sur notre propre santé », explique le professeur Lavoie.

Cette prise de conscience et la volonté d’aider les populations d’abeilles sont à l’origine du Dandelion Challenge et de No Mow May, deux mouvements qui encouragent les citoyens à ne pas tondre leur pelouse en mai afin que les abeilles puissent utiliser les pissenlits comme Source de nourriture à la fin du mois de mai. de l’hiver. « Pour ceux qui participent à ces challenges, le pissenlit est devenu le nouveau héros de la cause environnementale. Pour les personnes qui aspirent à avoir une pelouse parfaite, ainsi que pour les entreprises qui proposent des services dans ce sens, laisser pousser les pissenlits et ne pas tondre la pelouse pendant un mois est une hérésie.

Comme d’autres enjeux sociaux qui opposent les libertés individuelles au bien commun, ce que nous faisons de notre pelouse et ce que nous aimerions que nos voisins fassent de la leur est devenu un sujet très polarisant, constate le professeur Lavoie. Quelle est sa position dans ce débat ? « Ceux qui croient que mon travail est un réquisitoire contre la pelouse se trompent. C’est un acte d’accusation contre la pelouse parfaite. Pour assainir l’environnement des villes, il faudra apprendre à tolérer une pelouse imparfaite et diversifiée, composée de graminées comme le pâturin des prés, mais aussi de trèfles, de pissenlits et autres mauvaises herbes qui poussent spontanément. Pour y parvenir, il faudra se débarrasser d’une norme sociale qui existe depuis 75 ans. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Le jour suivant.”

 
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