rencontre avec un capitaine solitaire

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Paris Match. Vous chantez « Sur la lune on danse » dans ce nouvel album. Comment s’est passé ce voyage spatial ?
Gérard Manset.
Oh ! J’y vais assez souvent, c’est un de mes petits secrets. D’ailleurs, je ne vais pas seulement sur la Lune, je vais ailleurs, dans la Chine des siècles précédents et dans le « SAS », mais en réalité assez régulièrement dans notre stratosphère clodoaldienne.

Et parfois on revient sur terre avec un tout nouveau concept, c’est à dire un album…
Oui. Mais c’est toujours du « work in process », constamment à cheval et attelé, toujours en train de faire un enduit, de coller, de construire, en utilisant mes petits outils magiques. Je passe d’une industrie à une autre et d’un cadre à un autre.

Sortir un album n’a plus beaucoup de sens dans un monde où les gens n’écoutent que des playlists.
C’est vrai… Depuis dix ans, tout a changé, un concept complet a été vidé de son sens, totalement chamboulé. Allait-on briser Proust et Zola, couper les symphonies en petits morceaux ? Avant, je m’occupais de tout, la musique, les textes, les visuels, la typographie. Tout cela n’existe plus, tout est écoutable et indigeste, il faut avaler comme ça, morceau par morceau… Pour un auteur, au sens large du terme, cela rend la chose beaucoup plus complexe et avilissante. Imaginez l’artiste qui prépare son exposition, il pense à ses tableaux, à l’accrochage. Ainsi, pour la musique, il s’agirait de produits fins et rares à aligner, dés à coudre, vignettes, gravures. Fini le « Radeau de la Méduse » mesurant 6 mètres sur 8. Un peintre doit-il peindre et montrer une seule toile et brûler le reste ?

Le succès ne m’a jamais mis au défi. En revanche, je suis impressionné par Finkielkraut et Onfray

Gérard Manset

Comment expliquez-vous ce désenchantement face au format trop long ?
Les gens n’ont plus le temps de s’impliquer, de se lancer dans une saga. Ils travaillent, prennent les transports, errent, veulent vivre leur propre destin et se moquent des jérémiades des débatteurs, des cracheurs de feu et des rimeurs contemporains. Qui pourra s’attaquer aux 5 000 pages de « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé ? Les gens veulent des histoires succinctes, résumées, à moitié nouvelles. Annie Ernaux, par exemple, écrit très joliment mais des petits livres de 120 pages…

Vous ne vous résoudrez jamais à vous conformer ?
Je ne fais aucun effort. Mais bon, je vis dans mon époque et j’y pense quand même. Dans mon volumineux grenier, j’entasse toutes les choses qui passent, sourient, sont parfois iconoclastes et impénétrables… Alors, je cherche, cour, veux en voir émerger un peu de lumière. Ce n’est pas toujours facile, il faut être vigilant. Je vais chercher des miracles plus ou moins lisibles, plus ou moins éprouvants ou plus ou moins abstraits, plus ou moins irréels, et plus ou moins dada, cubistes, intimes, universels, plus ou moins poétiques, problématiques, surréalistes. . Ensuite, je fais un choix complètement subjectif, guidé par un certain recul sur ce que je considère comme intéressant – ce que beaucoup ne font en réalité pas. Les gens peuvent me critiquer, mais pas sur mon honnêteté ou ma vigilance.

Le reste après cette annonce

Dans « Rater sa vie », vous dites : « Et l’artiste est mort de n’avoir pas compris que la vie est ailleurs. » Un pied de nez à ceux qui vous suivent ?
Pas mécontent de ce titre qui interpelle. La dernière phrase élégiaque est en réalité un renversement de la situation. C’est très inquiétant de croiser des gens désœuvrés pour lesquels on ne peut rien faire. Restent la compassion et la compréhension. Il est également inquiétant de constater le nombre exponentiel de nouveaux réfugiés chaque jour. Si cela m’émeut tant, c’est sans doute parce que, dans mon enfance à Saint-Cloud, j’ai bien connu les briques, la banlieue et les friches. Au fond, toujours plus proches et solidaires de ces gens-là que des hommes d’affaires. Le succès ne m’a jamais mis au défi, ni intrigué, ni étonné. En revanche, je suis impressionné par le niveau intellectuel des énarques ou polytechniciens, leur discours implacable, le ton égal, sensé, à égale distance de toute bévue éventuelle. Un chef-d’œuvre à regarder, à entendre. Il y a peu d’Alain Finkielkraut et de Michel Onfray. Lorsqu’ils s’expriment, nous sommes dans le monde réel, le déroulement d’un paysage adulte que j’ai rarement suivi, compris et atteint.

Tu dis ça, mais tu as eu des enfants, une carrière.
Heureusement, c’est peut-être ce qui m’a sauvé. Au fond, je suis encore l’individu précoce à l’immaturité flagrante, merci, car rares sont les énarques qui vont sur la lune, cette lune inaccessible à la logique et à la rationalité.

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Gérard Manset

© Nicolas Commentaire

Pourquoi retournez-vous toujours à votre enfance ? Est-elle indépassable ?
Je ne peux pas y répondre. Là, en ce moment, le printemps pointe le bout de son nez, trop fort, trop léger… D’abord les tulipes, les brindilles… Je ne suis jamais sortie de cette histoire. Or, nous vivons à une époque où il faut dire les choses et expliquer ces parthénogenèses, ces bouleversements… C’est le défi du jour : tout expliquer, creuser et détailler. Ce microscope du mal rend beaucoup de gens malades, insatisfaits, envieux, car en définissant tout, on brise l’imagination.

Alors s’il vous plaît, n’en dites pas trop ?
J’ai vu sur Internet une sorte d’échange professoral autour du titre « Comme un Lego », des pages et des affirmations, des exégèses absurdes. Ces débatteurs avaient trouvé je ne sais quelle construction, érudition ou solution dans ce qui n’est qu’illogique, irrationnel et sinueux. Comment décortiquer tout cela, le comprendre sans masque et sans érudition ?

L’art peut-il être compris sans érudition ?
Il faut faire appel à un septième sens qui nous emmène directement vers une essence naturellement perceptible : la beauté, l’excellence. C’est une très grosse erreur d’imaginer qu’en recherchant l’approximatif on puisse avoir la satisfaction. Non, ce sont des couches et des couches. Créer de la musique en frappant sur un tambour ? Non, cela fera quinze ans au conservatoire ! Personne n’est prédestiné, ni choisi. Nous ne pouvons pas croire que nous allons expliquer Mozart, Botticelli, les faire comprendre à travers des cours didactiques et des expositions avec des schémas et des flèches, où ils vous mettent un casque. Non merci ! Tout reste une illusion relative à la foi et au mystère, que nous en soyons conscients ou non, cela demande une ferveur totalement magistrale. Et puis on peut rêver.

« Le blues n’a pas d’âge. En , on se traîne avec la poésie du « Petit vin blanc » et du bal musette

Gérard Manset

La musique ne vous fait plus rêver ?
Je suis malheureux musicalement, à part quelques superbes artistes américains. Après m’être plongé dans mes vinyles du coffret « Mansetlandia », je me suis dit que, quand même, tant d’originalité et de créativité pour finalement n’avoir jamais été que seul ! « Comme un guerrier », « Lumières », « Prisonnier des inutiles », puis « Matrice »… Je m’éclatais, mais ayant compris que la langue française se transforme vite en ratatinée… Brel, Ferré, tous ces gens sont respectables, mais là n’est pas le problème : le blues n’a pas d’âge et on se traîne avec la poésie du « Petit vin blanc » et du bal musette, tout ça pour passer à la mode des mille et une BD de moins en moins drôles.

Y a-t-il des raisons d’espérer quand même ?
Nous avons encore une chance : le numérique et la technologie remplaceront cette triste époque. Nous disposons désormais de la conservation de nombreuses choses anciennes extraordinaires dans des textes ou des gravures, des peintures, des documents oubliés. Jusqu’il y a peu, pour voir la « Dame à la Licorne », il fallait visiter le musée de Cluny. Aujourd’hui, en un clic, vous voyez tout, et en 3D ! Le numérique compense la perte de compétences. Cela dit, plus les gens ont de loisirs et plus ils veulent quelque chose, 90 % des ventes de toute la littérature ne sont que des crimes et des meurtres ignobles. Les gens se dirigent vers le pire. Si nous étions dans un pays de philosophie ancienne et érudite, tout cela n’arriverait pas, pas de démagogue. Dans les préceptes bouddhistes, il est recommandé de se tenir à l’écart des défaitistes et des choses négatives. Plus vous cultivez cela, plus ils font mal.

Avez-vous une âme bouddhiste ?
Je reviens au petit garçon qui n’arrivait pas à se positionner car incapable d’une vision réussie. On ne va pas lui parler de politique, lui parler de Sartre, plutôt citer Ronsard et la « Princesse de Clèves ».

Un enfant ne pourrait pas écrire « Blue Algae »…
Certains enfants le peuvent, heureusement. N’essayez pas de trop regarder ce qui se passe ailleurs. Je ne prends rien des autres, mais il y a une similitude dans cette sorte de naissance privilégiée. Je ne sais pas pourquoi j’ai ça. Ma mère jouait du violon, écrivait des poèmes et se tournait instinctivement vers tout ce qui était artistique. Peut-être m’a-t-elle transmis quelque chose de bénéfique ?

Que dire de l’intime Manset ?
Je suis étonné par ce cinglé, bien sûr. Émerveillé par sa différence et sa porosité à certaines émotions. Si j’ai une qualité, c’est cette attitude joyeuse où rien ne pénètre dans le sentiment de perte de temps, de médiocrité ou de manque de curiosité…

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« Blue Algae » (Warner), sorti le 26 avril.

©DR

 
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