Lors de son discours d’entrée en fonction, François Bayrou s’est placé dans les traces d’un grand roi de France, Henri IV, dont il disait partager l’attachement rural et l’ambition conciliante. Pourtant, pour le moment, les premiers pas du nouveau Premier ministre semblent le conduire davantage vers Henri… Queuille.
Qui se souvient de cet homme politique qui, en son temps, détenait le record de longévité au gouvernement ? Vingt et une fois ministre sous la Troisième République et la Quatrième République, le « petit père Queuille » fut aussi trois fois président du conseil. Très populaire de son vivant, il devient néanmoins le symbole de l’inefficacité d’un régime fonctionnant à vide, car Queuille avait théorisé une forme de maintien cynique du pouvoir par l’inaction.
François Bayrou, aujourd’hui Premier ministre, tentera-t-il de survivre en devenant le « Bouddha de l’immobilité » ? Si la comparaison est évidente, c’est parce que François Bayrou semble avoir adopté la célèbre maxime d’Henri Queuille : « Il n’y a pas de problème assez urgent en politique qu’un manque de décision ne puisse résoudre. »
Lors de son passage rue de Grenelle (1993-1997), François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, avait certainement d’abord tenté de réformer le pays, en mettant sur la table un projet controversé de réforme de la loi Falloux sur l’enseignement public. . Un million de personnes descendues dans la rue ont mis fin à cette ambition et ont poussé le néo-ministre à changer radicalement de méthode.
Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.
François Bayrou élève alors le mot « consultation » au rang de devise du ministère, ouvrant un long cycle de négociations tous azimuts. Ses détracteurs estiment qu’il a ainsi acheté la paix sociale en remettant les clés de la maison au SNES. C’est le sens des propos cruels de Laurence Rossignol à l’égard du président du MoDem et de son long passage à l’Éducation nationale : « Celui-là a un plutôt bon bilan puisqu’il n’a rien fait… ». Simone Veil s’est également distinguée par un commentaire cinglant contre l’ancien ministre de l’Éducation nationale, l’ayant accusé d’avoir trahi Balladur pour Chirac en 1995 afin de rester à son poste et “continuer à ne rien faire”.
Du Grenelle à Matignon, faut-il craindre que cette méthode perdure à Matignon ?
Prenons le cas des retraites, un sujet épineux qui divise sa propre majorité. Le Premier ministre, pris entre une gauche qui veut reconsidérer la mesure de l’âge et une droite qui en fait une ligne rouge, a choisi… de ne pas choisir. Ô réforme, suspends ta fuite ! Vite, on ouvre une conférence qui va débattre, gagner un peu de temps.
En attendant, chacun peut voir ce qu’il veut. On rouvre le dossier, on peut débattre de l’âge, mais si la conférence n’est pas concluante, elle ne changera pas la réforme en cours. Sauf qu’il y aura un nouveau projet de loi sur les retraites, même sans « accord global » des partenaires sociaux. Alors, si l’on est logique, sans accord global, faudrait-il créer un nouveau projet de loi qui confirmerait les équilibres de l’ancienne réforme ?! « Quand vous êtes confus, confondez tout. » dit Queuille. “Quand tu veux enterrer un problème, crée une commission” said Clémenceau.
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Si Bayrou veut réunifier la France, et pas seulement sa base, il faut donc aller à la rencontre des électeurs RN et LFI et les réintégrer dans le jeu démocratique.
Autre sujet, la fiscalité. S’il a lui-même pointé du doigt de manière dramatique le problème de la dette et des dépenses publiques, le chef du gouvernement ne s’est pas exprimé dans sa déclaration de politique générale sur un nouvel impôt sur la grande fortune, visant à remplacer la Contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR). Il n’a pas non plus clairement indiqué que les impôts sur les ménages seraient maintenus au même niveau. Plus sérieusement, il a laissé entendre que certaines dépenses de santé allaient augmenter… obligeant son ministre des Comptes publics à corriger vigoureusement le tir dès le lendemain. Mais comme disait Queuille « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. ».
Cette politique d’imbroglio se comprend par la volonté du Premier ministre de solidifier ses bases pour durer. Mais plutôt que de lorgner sur le petit père Queuille, en ressuscitant le passage proportionnel qui a fait tant de mal à la France, le Premier ministre devrait relire la biographie qu’il a lui-même écrite, celle du bon roi Henri.
Henri IV et son panache blanc, c’est la volonté de rassembler autour de sa personne une France divisée par les luttes confessionnelles ; celui de faire des concessions avec ses ennemis jurés (Paris vaut bien une messe) ; celui enfin de lutter pour une vie meilleure pour ses sujets (le fameux poulet au pot). C’est aussi un roi voyageur : Henri IV a tellement voyagé à travers la France qu’il est incontestablement le roi de France qui a le mieux connu son royaume.
Si Bayrou veut réunifier la France, et pas seulement sa base, il faut donc aller à la rencontre des électeurs RN et LFI et les réintégrer dans le jeu démocratique. Quittez les chambres fermées du Parlement. Les équilibres budgétaires sont une chose, mais deux priorités sont sur la table : la question de la migration et celle du pouvoir d’achat. La question migratoire mérite une messe. Pour résoudre cette question, il faut renouer avec le peuple via le référendum et récupérer des éléments de souveraineté cédés aux juges. Henri IV converti au catholicisme, François Bayrou doit embrasser le souverainisme.
Le défi du pouvoir d’achat demande du panache : il est urgent de réveiller la France productive par une politique d’industrialisation, d’allègement des normes et de clarification de nos attentes écologiques. L’État doit rompre avec une logique rentière (comme l’a très bien démontré Pierre Vermeren) qui fait ressembler de plus en plus la France à l’URSS défunte. François Bayrou a fréquenté le socialisme girondin : il a embrassé le colbertisme libéral.
C’est à ce prix qu’il deviendra Henri IV ou mettra fin à Henri IVème République.