L’arrêt de la Cour de cassation rend définitives les condamnations de l’ancien patron de France Télécom Didier Lombard, 82 ans, et de son ancien numéro 2 Louis-Pierre Wenès, 75 ans. Ils ont été condamnés pour harcèlement moral institutionnel le 30 septembre 2022 par la cour d’appel de Paris à un an de prison et 15 000 euros d’amende, des peines plus légères par rapport à celles prononcées en première instance en 2019.
Les deux anciens dirigeants de France Télécom (devenu Orange en 2013) ont été traduits en justice en raison de la mise en œuvre dès 2006 de deux plans de restructuration suite à la privatisation de l’entreprise en 2004, et prévoyant le départ de 22 000 salariés et la mobilité de 10 000 autres ( sur quelque 120 000 salariés). Les dirigeants estimaient ne pas pouvoir être condamnés sur le fondement de la loi définissant le harcèlement moral au travail pour ce qu’ils considéraient comme une simple « politique d’entreprise ».
« Indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques » d’une entreprise qui relèvent de sa seule responsabilité, « les actions » visant à mettre en œuvre, « en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui vise à dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés ». les salariés en vue de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation », peut caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, écrit la Cour de cassation dans son jugement.
Jusqu’au bout. “Jusqu’au bout ils se sont donné beaucoup de mal pour expliquer que ce n’était qu’une politique de l’entreprise” alors que “c’était du harcèlement voulu comme tel, organisé comme tel”, a réagi Me Claire Waquet, avocate de la CFE-CGC Orange, partie civile. “Les anciens dirigeants sont désormais définitivement coupables de harcèlement moral”, estime le syndicat dans un communiqué. « Nos premières pensées vont aux familles des victimes des violences sociales de dirigeants incohérents. »
“C’est un arrêt majeur”, qui “reconnaît le harcèlement institutionnel parmi les formes de harcèlement au travail” et “l’inscrit pleinement dans le droit actuel”, s’est réjoui auprès de l’AFP Antoine Lyon-Caen, avocat du syndicat SUD-PTT. “Cela institue en 2025 une jurisprudence pour des faits survenus 17 ans plus tôt, cela pose encore des questions au regard du principe de non-rétroactivité”, a commenté l’avocat de Didier Lombard, Me Louis Boré – un argument rejeté par la Cour dans son arrêt.
En première instance, l’ex-PDG et son ancien numéro 2 ont été condamnés à un an de prison, dont quatre mois de prison pour leur « rôle prééminent » dans la mise en œuvre d’une politique de réduction des effectifs « jusqu’ici-endiste » sur la période. 2007-2008 au sein de France Télécom. M. Lombard, qui avait répété lors du procès en appel qu’il n’avait pas conscience de l’ampleur du climat social dans son entreprise, avait déclaré en 2006 à ses dirigeants que les départs devaient se faire “par la fenêtre ou par la porte”.
-Mode. Il avait aussi suscité une polémique en parlant de « tendance au suicide » en 2009, au plus fort de la crise. Ces départs à « marche forcée », selon la justice, avaient entraîné une « dégradation des conditions de travail » de « des milliers de salariés », dont certains se sont suicidés.
La crise est apparue au grand jour après le suicide en juillet 2009 de Michel Deparis, un technicien marseillais qui accusait directement France Télécom dans une lettre. France Télécom est devenu le symbole de la souffrance au travail. L’entreprise, qui n’avait pas fait appel, a été sanctionnée de l’amende maximale de 75 000 euros dans un jugement historique, devenant ainsi la première entreprise du CAC 40 condamnée pour harcèlement moral institutionnel.
Marie DHUMIERES
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