Bruno Retailleau l’assure : le gouvernement Bayrou va « toucher » à l’aide médicale de l’État (AME), un sujet qui divise la droite et la gauche depuis de nombreuses années. Pour appuyer sa position, le ministre de l’Intérieur, issu des rangs de LR, a laissé entendre que cette aide, qui assure que les étrangers en situation irrégulière soient soignés pour plusieurs pathologies sous certaines conditions, contribuait à rendre la France attractive : « Si nous sommes au-dessus “En moyenne, ce que font les Européens en matière de soins, d’aide sociale, de regroupement familial, les réseaux de passeurs, de trafiquants d’êtres humains, vont orienter les flux vers la France, plutôt que vers d’autres pays”, a-t-il assuré au micro de BFMTV.
Citant un rapport remis en décembre 2023 à l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, Bruno Retailleau a également affirmé que cette aide médicale d’État est « un encouragement à la clandestinité » : « Pour l’AME, je demande que l’on reprenne les conclusions d’une rapport que MM. Stefanini et Evin avaient fait et qui avait démontré que l’AME était en fait un encouragement à la clandestinité, a-t-il expliqué. »
Qu’est-ce que c’est vraiment ? 20 minutes a revu ces deux affirmations.
FAUX
Dans leur rapport, Patrick Stefanini et Claude Evin apparaissent plus nuancés que le ministre de l’Intérieur. Les deux auteurs notent que l’accès aux soins « n’est qu’un facteur parmi d’autres » pour le choix de la destination d’immigration. D’autres facteurs entrent en jeu, comme « la langue, l’existence de diasporas, dont certaines sont une conséquence de la décolonisation, [l’existence d’une] allocation versée aux demandeurs d’asile, conditions d’éducation et perspectives de reconnaissance des demandes d’asile, [ou encore le] droit inconditionnel à un logement d’urgence. Ils notent également que « les perspectives d’emploi, l’aide alimentaire, l’aide au transport, [ou encore] jeu de scolarité.
En 2019 déjà, le Défenseur des droits et une enquête réalisée par des chercheurs de l’université de Bordeaux et de l’Irdes réfutaient le soupçon d’un « appel d’air » que créerait l’AME.
Quant à la comparaison européenne proposée par Bruno Retailleau, qu’en est-il ? La France est-elle dans la moyenne avec nos voisins ? Les auteurs du rapport soulignent que « la comparaison de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière en Europe occidentale » s’avère « délicate ». Toutefois, pour eux, cela « ne permet pas de conclure à l’existence d’un facteur attractif susceptible d’orienter les flux migratoires vers la France ». Traduction : La politique française en matière d’accès aux soins ne se démarque pas par rapport à nos voisins européens en termes d’attractivité pour les personnes en situation irrégulière.
-En revanche, l’AME « encourage-t-elle » la clandestinité, comme le souligne Bruno Retailleau ? Les auteurs sont ici aussi plus nuancés et ne parlent pas d’« encouragement » mais de « maintien » dans la clandestinité.
Ils notent que cette aide “contribue” au maintien d’une situation irrégulière, même si “les interlocuteurs rencontrés par la mission étaient divisés à cet égard”, développent Claude Evin et Patrick Stefanini. Les bénéficiaires de l’AME étant précaires, la présentation d’une carte de bénéficiaire permet, dans certaines situations, d’accéder à d’autres services, comme les banques alimentaires ou la tarification solidaire à la cantine. «C’est la somme de ces avantages» qui contribue au maintien de la clandestinité.
L’ampleur de cette aide, qui assure le traitement de plusieurs pathologies pour les étrangers en situation irrégulière, divise la droite et la gauche depuis plusieurs années. Pour en bénéficier, un étranger majeur doit résider en France depuis plus de trois mois et ne doit pas disposer de ressources dépassant 847 euros par mois. Pour les adultes, les frais sont pris en charge à 100% dans la limite des tarifs de la Sécurité Sociale. Certains actes médicaux et médicaments jugés moins efficaces ne sont pas couverts.
Selon le rapport, le nombre de bénéficiaires de l’AME a presque doublé entre 2009 et 2022, passant de 210 000 à 400 000. Quels soins reçoivent-ils ? Elles se rendent le plus souvent à l’hôpital pour faire suivre une grossesse et accoucher (15 % des séjours en 2022) et pour suivre des séances de dialyse, de chimiothérapie ou de radiothérapie (39 % des séances en 2022).