Un fauteuil pour l’orchestre – Le site des critiques de théâtre parisien » Partout le feu, texte d’Hélène Laurain, mise en scène Hubert Colas, au CENT-QUATRE, Paris

20 janvier 2025 |
Commentaires fermés on Partout le feu, text by Hélène Laurain, directed by Hubert Colas, at CENT-QUATRE, Paris

© Hervé Bellamy

ƒƒ article de Nicolas Thévenot

Dans un ensemble panoramique affichant le surplomb d’un phylactère, la grâce d’un retable et la contemporanéité d’une planche contact : cinq portraits vidéo juxtaposés. Cinq visages soutiennent leur regard comme il convient de regarder l’avenir : sans ciller malgré la catastrophe écologique annoncée, malgré l’accélération du compte à rebours. Sous cet imposant dispositif introductif, une jeune femme, assise à une table, casquette noire et blousons orange. Presque frêle, les yeux plissés, elle se révélera telle une vrille, luxuriante, tenace, agrippée aux anfractuosités du réel. Micro de conférence placé devant elle. Lorsque la parole se libère, c’est comme une étincelle allumant des mèches dont on ne sait pas encore dans quelle mesure elles enflammeront le discours, à quelles ramifications elles conduiront le feu. Le texte du roman d’Hélène Laurain, adapté par Hubert Colas, porte un regard direct sur une jeunesse militante qu’un Darmanin qualifierait d’éco-terroriste. C’est un est pleinement incarné qui s’exprime avec nervosité, à fleur de peau, porté par la magistrale Stéphanie Aflalo. Racontant un parcours tel un relais de flambeau, commençant par l’action symbolique d’un feu d’artifice allumé dans l’enceinte d’une centrale nucléaire, passant par un interrogatoire de police, se poursuivant par la chronique du rapport inflammable qu’elle entretient avec sa sœur jumelle, Du feu partout ne finira que par sa propre dévoration. Dans cette logorrhée attisée, il y a l’obscurité lucide et moqueuse et le sourire ironique de la désillusion d’un Bret Easton Ellis, il y a aussi le soulagement d’un monde en décadence. Le personnage de Laetitia emprunte au romantisme de la révolte qui peut vite se transformer en vanité et son revers, le désespoir. Le malheur du monde rend la vie difficile et le nihilisme finit par boucher l’horizon comme un plafond bas. Marguerite Duras semble ronronner : Laissons le monde se ruiner. Du feu partout est sans doute symptomatique de notre époque : coupable de son inconscience autant que de sa conscience désastreuse. Du feu partout est le grand critique, portant le feu de la critique autant sur la folie suicidaire de notre monde que sur le geste désespéré d’un activiste. De la célèbre scène des bougies Nostalgiepar Tarkovski, on ne peut plus se prononcer sur le caractère sacré ou la folie d’un tel acte : quelque chose a été irrémédiablement perdu en cours de route. Peut-être est-ce le caractère désormais spectaculaire de notre propre perte multipliée sur les réseaux sociaux qui la rend imparable, stupéfaits que nous sommes par les phares de la catastrophe autant que par les projecteurs qui en racontent continuellement l’histoire ? Le souvenir d’un autre film surgit : Mélancolie de Lars Von Trier. La fin du monde plonge dans l’hystérie collective d’un mariage. Laissons le monde se ruiner. La robe de mariée comme dernière norme.

En choisissant la figure de la militante, en lui ajoutant une parole via le micro, le théâtre devient le porte-parole d’un porte-parole dans une mise en abyme qui n’est pas sans risque. Si cela crée une distance utile et un régime d’attention particulière déformant encore davantage l’écriture d’Hélène Laurain, une redondance formelle peut aussi émerger même si elle contribue, souterrainement, à un théâtre ventriloque inquiétant et prenant. Du feu partout a quelque chose finalement de très entêtant, à la fois à portée et inaccessible : quelque chose comme un feu follet ? Le choc d’un monde qui serait déjà mort ? Un goût de cendre au cœur sans doute.

© Hervé Bellamy

Du feu partoutréalisé par Hubert Colas

Text: Hélène Laurain (Editions Verdier)

Scénographie : Hubert Colas

Avec : Stéphanie Aflalo

Video: Pierre Nouvel

Lumières : Nils Doucet, Hubert Colas

Assistant réalisateur : Hao Yang

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Saine gestion : Sammy Bichon

Régulation vidéo : Morvan Hauray

Durée : 1h25

Du 15 au 18 janvier 2024 à 20h30

Les Cent Quatre

5 rue Curial – 75019 Paris

Réservations : 01 53 35 50 00

https://www.104.fr/

Du 2 au 4 avril 2025 à 19h sauf le samedi à 20h

Joliette Theater

2 place Henri Verneuil – 13002 Marseille

Tél : 04 91 90 74 28

https://www.theatrejoliette.fr/

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