Dix ans après sa phase de production, Grande Côte Opérations (Gco) se heurte toujours à la méfiance des populations impactées par l’exploitation du zircon. L’oasis d’un investissement de 2 milliards FCfa du Gco, située à Lompoul, au cœur du désert, n’a pas apaisé la tension entre deux camps qui se regardent comme des chiens de faïence. Pollution des sols et des nappes phréatiques, retombées économiques sans effets sur les sinistrés, danger environnemental… le zircon embrase cette partie du territoire des Niayes.
Autour des dunes de sable, de hautes buttes dignes du grand erg de Mauritanie, aucune trace de vie, si ce n’est un groupe de vaches qui déambulent péniblement pour traverser l’asphalte brûlant. A Lompoul, dans le désert de Louga, à 190 km de Dakar, l’exploitation du zircon et d’autres minéraux a détruit la végétation. Pourtant, le panorama lunaire laisse soudain place à une immense étendue verte : l’oasis du désert. Cabanes à l’architecture saharienne, tentes permanentes et suites, chacune dotée d’une piscine privée. Cerise sur le gâteau : une piscine de 2000 m2. « Nous n’avons pas encore commencé à fonctionner, nous sommes en train de le mettre en place. Les travaux sont terminés depuis fin octobre 2024. Nous attendons les étapes pour opérer. C’est tout un circuit qui part du ministère des Mines jusqu’au ministère du Tourisme », explique Mamadou Kabirou Ba, directeur de l’hôtel « Oasis du Désert ».
A Lompoul, partie de la zone des Niayes, située dans la commune de Kab Gaye (département de Louga), un vent sec souffle et bouillant de chaleur, étouffant l’horizon et le ciel, ce jeudi 12 décembre. Un no man’s land que le Grande Côte Opérations (Gco) a choisi de relancer le tourisme.
« L’oasis du Sénégal a été voulue et conçue dans des zones où l’activité minière a déjà eu lieu. Nous avons jugé nécessaire de construire ce bâtiment pour redynamiser le tourisme sur le territoire », explique Frédéric Zanklan, directeur général du Gco. Selon lui, l’oasis bâtie sur 200 ha pour un financement de 2 milliards de FCfa, fait partie des 900 ha que la filiale du groupe Eramet compte restituer à l’Etat du Sénégal dans les jours à venir. « 80 % du désert est détruit par Gco » La réception de l’hôtel bénéficie d’un réseau d’alimentation en eau et électricité. « Le site est magnifique et nous espérons en faire un très bon usage », s’enthousiasme le directeur de l’hôtel.
Dans cette partie du désert, autrefois forêt classée sous le contrôle du Département des Eaux et Forêts, se déroule la phase de concentration du minerai de sable. A un moment on est émerveillé par la drague qui récupère le sable humide et le concentre notamment au moyen de spirales. Cette usine flottante appelée Wcp récupère 2% de minéraux concentrés et restitue à l’arrière de l’usine les 98% du sable extrait ne contenant pas de sable minéralisé : zircon, ilménite, rutile… Mais tout le monde n’est pas conquis. Cette oasis ne nous intéresse pas», rejette Gora, maire de Diokoul Dieuwrigne.
En effet, les communes de Kab Gaye, Thieppe et Diokoul Dieuwrigne ont décidé de former un front unique dans la lutte contre le Gco. Leur porte-parole, Gora Gaye, définit leurs priorités : « Nous menons un combat pour la justice. Il s’agit d’arrêter la destruction de notre écosystème, d’évaluer les dégâts avec la disparition du désert de Lompoul. Nous voulons panser nos blessures et redonner espoir à nos populations. » Selon l’édile, la stratégie de Gco est d’essayer de détourner l’attention de l’essentiel en parlant d’oasis. «C’est un épiphénomène. Malheureusement, cette société minière veut et implique déjà certaines personnes dans ce dossier. Aujourd’hui, 80 % du désert est détruit par Gco », déplore-t-il. Le maire Gora Gaye demande donc au ministère des Mines et au ministère du Tourisme de réaliser une étude d’évaluation relative à l’impact de la disparition du désert de Lompoul sur l’économie du Sénégal.
Questions sur le montant versé au titre de la part de l’État
Le Code minier de 2016 prévoit en article 33 que l’État peut conclure des contrats de partage de production avec les sociétés minières. Il s’agit en effet d’établir la relation entre l’État et l’entrepreneur tout au long de la durée des opérations minières. Sur la Grande Côte Opérations (Gco) qui détient un permis de 25 ans, le groupe Eramet détient 90% du capital laissant 10% à l’Etat du Sénégal. Cependant, l’avenant 1 à la convention minière avec Gco prévoyait exceptionnellement dans son article 24 que pendant la durée du projet, l’Etat aura le droit d’acquérir 10% de la production de la société exploitante sur la base de la formule de majoration des coûts comme défini en annexe dudit amendement.
-Dans son communiqué du 23 décembre, le journal sénégalais « Libération » révélait que Gco « n’a jamais versé de bénéfices à l’État » et « verse à l’État une redevance ridicule de 4% sur la valeur marchande ». Mais pour maximiser ses profits et dribbler l’État, écrit le quotidien spécialisé dans les scandales et faits divers financiers, « Gco a signé un contrat de distribution de zircon avec la société Emas qui est… contrôlée par Eramet ; le zircon lui est vendu trois fois moins cher que le prix du marché.
« Le Soleil » a fouillé le rapport de l’Itie pour découvrir qu’en 2023, la déclaration de Gco fait état d’un versement de 5 milliards 957 millions 227 mille 301 FCFA au titre du partage de production pour le projet Diogo, réalisé le 8 novembre 2023. Interrogé, le La Direction Générale des Mines a précisé qu’il s’agissait d’une redevance minière et non d’une part de l’Etat. Cette entité du ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines concède également qu’il s’agit d’une spécificité prévue dans l’accord avec Gco.
« Toutefois, la DGM traite ce paiement comme une redevance minière spécifique, impliquant une vérification de l’application de la formule prévue dans l’avenant », indique le rapport Itie. Le document note que la part en nature de l’Etat n’a été déclarée ni par la Dgm ni par l’entreprise. Contacté, Ngagne Demba Touré, directeur général de la Société des Mines du Sénégal (Somisen) a indiqué être en train de réaliser un audit de la gestion des sociétés minières.
Gco a réalisé plus de 141 milliards FCfa de chiffre d’affaires en 2023
Selon le rapport 2023 de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives, les opérations de l’ITIE la Grande Côte ont extrait 292 630 tonnes d’ilménite 54 et 28 956 tonnes de zircon premium au cours de cette année. Pour le zircon standard, la filiale du groupe français Eramet a extrait 19 442 tonnes et 110 527 tonnes d’ilménite 58. Pour le leucoxène, c’était 4 942 tonnes tandis que le rutile était à 3 081 tonnes. 24 927 tonnes de sable de zircon de qualité moyenne et 18 238 tonnes d’ilménite 56 ont été extraites des terres de Diogo par Gco. Selon Itie, en 2023, Gco a réalisé un chiffre d’affaires de 141 milliards 64 millions 555 mille 704 FCfa.
Or, de 2013 à 2023, à l’aide des rapports de Gco, le maire Gora Gaye note que l’entreprise a versé à l’Etat 51 milliards 293 millions 677 mille 862 FCfa au titre des redevances minières, soit 4,6 milliards par an. « Si l’on ajoute ce que Gco donne à la CEDEAO, à l’UEMOA et aux cotisations sociales, cela fait 110 milliards 349 millions de FCfa, soit environ 10 milliards par an. Ce que coûte Gco à l’économie, à notre écosystème, tout ce que l’Etat a investi depuis 80 ans pour réserver cet espace, ça vaut 10 milliards par an ? », demande-t-il.