un marché en pleine restructuration

un marché en pleine restructuration
un marché en pleine restructuration
Christian Hillebrand/AdobeStock

En déclin, bien que résilient, le marché de l’immobilier de bureaux en Île-de- poursuit sa transformation après les bouleversements provoqués par la pandémie de Covid. Le télétravail, désormais pérenne, se conjugue à d’autres facteurs structurants, comme la baisse du nombre d’entrants sur le marché du travail, estime Christian de Kerangal, le directeur général de l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière. (IEIF). Explications.

Actu-Juridique : Comment se porte le marché de l’immobilier de bureaux, et plus précisément en France ?

Christian de Kerangal : Le niveau des transactions ralentit mais ne s’effondre pas pour l’immobilier de bureaux, aussi bien dans les grandes villes régionales qu’en Île-de-France. Numériquement, en 2023, nous passons de 1,9 million de m² de bureaux commercialisés en région parisienne à environ 1,8 million de m² cette année. En réalité, la baisse est surtout significative si l’on compare avec les données pré-Covid où l’on avait un niveau moyen de transactions en Île-de-France qui était en moyenne de 2,3 millions de m².

AJ : Est-ce dû à l’effet télétravail qui s’est fortement accéléré pendant la pandémie ?

Christian de Kerangal : C’est effectivement une des raisons qui contribue à expliquer ce déclin mais ce n’est pas la seule, ni forcément la plus structurante. Le télétravail est resté à des niveaux importants depuis la pandémie. Le ministère du Travail estime que les salariés ayant accès au télétravail – soit 30 % d’entre eux – le font en moyenne 2,3 jours par semaine. Ceci n’est évidemment pas sans conséquences sur les taux d’occupation des bureaux, en nette baisse. De ce fait, les entreprises réduisent logiquement leur surface, notamment pour économiser de l’argent et s’adapter à cette nouvelle réalité. Dès 2020, au sein de l’Institut de l’Immobilière et de l’Épargne Foncière (IEIF), nous avions anticipé que l’impact du télétravail entraînerait une baisse des transactions sur le marché de l’immobilier de bureaux francilien de l’ordre de 15 %. Aujourd’hui, nous sommes légèrement au-dessus. Aussi, le niveau de croissance étant faible, les projets de construction ou de déménagement en immobilier de bureaux sont impactés. À cela s’ajoute un autre élément fondamental : le ralentissement observé depuis près de dix ans maintenant de la croissance de la population active. La population vieillit et le nombre d’entrants sur le marché peine à suivre le rythme des sorties. Jusqu’en 2015 environ, nous connaissions une croissance annuelle de la population active de 2 à 3 %, aujourd’hui nous sommes entre 0,5 % et 1 % par an. Et cette tendance, selon les scénarios de l’Insee, devrait perdurer jusqu’en 2040 avant de s’atténuer. Mais en réalité, si le nombre de travailleurs augmente beaucoup moins, la demande supplémentaire sera limitée. Cependant, l’offre de bureaux peine depuis des années à s’adapter à ce ralentissement démographique. On se retrouve donc avec une offre parfois mal calibrée et un surplus d’espace disponible. Enfin, structurellement, de nombreuses entreprises cherchent, depuis maintenant vingt ans, à réduire simplement leur espace immobilier. Nous ne sommes plus à l’ère de l’expansion comme dans les années 1980 ou 1990. Cela fait suite à une tendance de fond, liée à la rationalisation des coûts. Mais l’immobilier représente le 2e ou 3e poste de dépense dans les entreprises.

AJ : Nous sommes donc à la fin d’une époque et au seuil d’une nouvelle ?

Christian de Kerangal : Oui, il semble que ce soit la fin de la tertiarisation de l’économie, notamment en Île-de-France. Non pas qu’il n’y aura plus besoin de nouvelles constructions ou de restructurations, mais cela ne sera plus à l’échelle que nous connaissions auparavant. Par ailleurs, certains actifs de bureaux devront être transformés pour d’autres usages, notamment des logements pour lesquels la demande est importante.

AJ : Ces observations affectent-elles l’ensemble de la région de la même manière ?

Christian de Kerangal : Non, absolument pas. Depuis la crise du Covid, on observe un recentrage du marché vers le cœur de l’agglomération, plus particulièrement vers Paris intra-muros, et quelques autres communes proches de l’ouest parisien (Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret, Boulogne). , Issy-les-Moulineaux). Le taux de vacance à Paris est en moyenne de 5%, ce qui est faible. En conséquence, le niveau des loyers continue d’augmenter. En revanche, le taux de vacance est beaucoup plus élevé, de l’ordre de 20 à 25 %, dans certains secteurs au nord ou au sud de Paris.

AJ : Comment expliquer cette concentration vers Paris ?

Christian de Kerangal : Les entreprises ont compris que les attentes des salariés avaient évolué. Au-delà de la facilité d’accès aux transports, ils sont également extrêmement attentifs au tissu urbain dans lequel ils exercent leur activité. Beaucoup d’entre eux apprécient d’avoir des restaurants autour de leur lieu de travail, mais aussi des bars, une offre culturelle et sportive plus développée, etc. En effet, les zones monofonctionnelles où se trouvent uniquement des bureaux, plus nombreuses en banlieue parisienne, sont beaucoup moins attractives à cet égard.

AJ : Et le quartier de La Défense ?

Christian de Kerangal : Il s’agit évidemment d’un cas atypique. La Défense est un quartier qui souffre à la fois de son image froide et bitumée, mais qui dispose d’une masse critique et d’une accessibilité exceptionnelle en transports en commun. Elle reste, pour les grands groupes notamment, le lieu où il faut s’implanter, comme gage de réussite et de puissance. Mais à l’avenir, le quartier de La Défense devra relever plusieurs défis pour rester attractif également. Soit il se réinvente en offrant une expérience plus agréable à ceux qui viennent y travailler avec plus de restaurants, de lieux de convivialité, d’usages mixtes, soit le taux d’inoccupation pourrait continuer d’augmenter au point d’affecter l’avenir du quartier. Il existe également un défi majeur pour La Défense lié à l’adaptation au changement climatique.

AJ : À vous écouter, on devine que tous ces constats seront encore d’actualité dans les années à venir ?

Christian de Kerangal : Oui, nous sommes confrontés à des tendances de fond. La croissance ne devrait pas connaître de rebond significatif à court ou moyen terme. Les entreprises ne devraient donc pas changer leur regard sur leurs besoins en surfaces immobilières et surtout, la population active ne connaîtra plus une augmentation comme avant. Ce sont donc des réalités qui impacteront le marché pour longtemps. Il y a désormais deux priorités. La première, pour des parcs de bureaux toujours attractifs, est de continuer à l’être en répondant aux attentes des salariés et aux évolutions sociétales. Pour d’autres, il s’agit de se réinventer dans le tissu urbain. Réhabilitation, restructuration, démolition, diversité et intensification des usages, chaque quartier est confronté à des enjeux différents et les questions posées aux pouvoirs publics, aux investisseurs et à l’ensemble de la chaîne immobilière sont très nombreuses.

AJ : A ce propos, la réalisation progressive du métro Grand Paris Express ne tombe-t-elle pas au mauvais moment ?

Christian de Kerangal : Le Grand Paris Express reste un projet structurant pour l’agglomération. Il permet déjà, et permettra encore davantage, de redynamiser certains quartiers autour des gares, au-delà des zones historiquement attractives. Il semble toutefois évident que cela ne suffira pas à résoudre les déséquilibres régionaux. Dans le futur, il est probable que l’on observe un archipel de la région avec des quartiers très attractifs au milieu de zones qui le seront moins.

 
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