YR : « Ce sont des spéculations de terriens (rires). Je vais vraiment bien, je me suis éclaté. Je ne m’attendais pas à ça ou je l’avais bien préparé. J’ai un scénario idéal, je vis un tour du monde incroyablement facile, je pense, par rapport au groupe derrière qui avait des conditions beaucoup plus difficiles au milieu de l’océan Indien. En sortant de ce groupe, j’ai aussi bénéficié de conditions idéales : nous avons traversé le Pacifique rapidement, nous avons à peine pris des ris, nous avons remonté l’Atlantique Sud rapidement. Cela rend les choses plus agréables. J’ai plutôt aimé ce tour du monde. Cela ne veut pas dire que c’était Hawaï et qu’il y avait une grosse ambiance tous les jours. Je m’attendais à avoir un moral bas, mais je n’en ai pas eu. Sportivement, ça se passe super bien, je suis là où je voulais être, dans le top 3. On peut même dire que je suis en lutte pour la première place. C’est vraiment génial.
Quoi qu’il arrive au final, vous avez déjà rempli le contrat, n’est-ce pas ?
YR : « Oui. Si je termine deuxième, ce sera très bien, j’aurais réussi mon Vendée Globe. Mais cela ne m’empêchera pas de me battre jusqu’au bout pour gagner. Mon contrat est déjà rempli. Ma seule grosse erreur, ma faute, serait de ne pas terminer ce Vendée Globe, d’avoir un problème qui m’empêcherait de finir. Cela gâterait une belle copie.
En fin de course, vous avez déjà terminé devant Charlie Dalin, notamment lors de la Solitaire du Figaro en 2016 : avez-vous cela en tête ?
YR : « Je pense que Charlie a cela en tête plus que moi. En réalité, il a gagné plus que moi mais j’ai pu en gagner quelques-uns aussi. C’est sûr qu’il a un palmarès au Poulidor (rires). Il a beaucoup grandi sur ce sujet. Mais là, je ne pense pas que ça va marcher.
Cela vous dérange-t-il qu’on vous parle constamment de votre adversaire direct ?
CD : « Non, c’est normal, c’est une belle histoire pour vous les médias. Si j’étais journaliste, je poserais les mêmes questions.
YR : « Tant que ça reste dans le sport, ça me va mais quand certains médias me parlent de littérature et de poésie avec le pourquoi du comment dans notre jeunesse, le truc ou la première bière qu’on a bu ensemble, là, ça m’énerve. .»
Votre piste est propre : avez-vous l’impression d’avoir commis peu d’erreurs depuis le départ ?
CD : « J’ai regardé mon morceau hier et c’est vrai qu’il est assez droit, c’est plutôt cool. Ce qui m’a vraiment poussé à avancer, c’est ma prise de risque assez poussée dans la tempête sur l’Indian : ça m’a vraiment catapulté devant même si j’étais devant. Je pense que Yoann, qui s’est rendu compte de ce qui se passait, a pris une dose de risque assez forte et a beaucoup tiré son bateau dans la mer formée pour ne pas s’embourber comme les autres. Il a tout donné pour revenir. On a tous mis la barre haut, on s’est poussé les uns les autres pour naviguer fort, on a fait un Pacifique de haute intensité.
Comment les voyez-vous ces deux dernières semaines de course ?
CD : « À un ensemble de choses, comme d’habitude. Là, nous nous engageons sur un tronçon orienté vers la vitesse. Il faut trouver la bonne ligne pour traverser le Pot au Noir. Il y a quatre ans, le Pot au Noir au retour était censé être cool et, au final, c’était plus engageant que le Pot au Noir à l’aller, donc je me méfie. C’est un mélange de tout : l’état des bateaux, la vitesse beaucoup, un peu de placement évidemment aussi. Jusqu’aux Canaries, nous sommes quasiment sûrs de ne pas avoir d’empannages à faire.
YR : « Pour remonter, nous avons une pointe jusqu’à la hauteur des Canaries qui est sans réelle stratégie, c’est une vraie ligne droite vers le Nord. S’il y a 15 nœuds d’alizé, c’est plus favorable pour Charlie car il décolle plus tôt que moi. S’il y a 18 nœuds, nous sommes à égalité. J’espère ne pas trop allonger la distance sur ce bord. Une fois arrivé à la hauteur des Canaries pour découvrir l’anticyclone des Açores qui devrait normalement être très bas, très plat et très étroit aussi. Là, je pense que nous allons entrer très tôt dans la dépression de l’Atlantique Nord, passer sous le vent et attaquer les passes avant. Cela signifie beaucoup d’usure, ce que je préfère. Nous nous dirigeons vers un scénario nord-atlantique favorable à une bonne période de reprise. Ce sera rapide. Je sais que si j’ai moins de 100 milles de retard sur les cinq derniers jours, j’aurai encore une carte à jouer. Après, s’il y en a un qui part le premier avec un front, la messe sera dite. Il n’y a pas grand chose à dire là-dessus. »
Visiblement, vous ne parvenez pas à vous débarrasser de Yoann Richomme ?
CD : « Il y a un morceau qui nous relie, qui est difficile à briser. »
Si il fallait le définir ?
CD : « C’est un redoutable compétiteur, c’est un ami aussi, nous avons fait beaucoup de choses ensemble, sur l’eau mais aussi à terre. C’était mon colocataire quand on portait les couleurs de la Macif, on a commencé Le Figaro avec un an d’écart.
En 2016, vous étiez dans la même équipe en Figaro 3 et Richomme vous a devancé à l’arrivée de la Solitaire du Figaro…
CD : « Je n’y pensais plus mais comme tu en parles (rires). Cela me rappelle un mauvais souvenir.
Tu dis que tu ne regardes pas ce qu’il fait mais c’est difficile de te croire…
CD : « C’était dans un contexte particulier, dans une situation météo différente. Bien sûr, je le surveille. Je regarde sa vitesse et ses casquettes mais je vis ma vie. Je regarde surtout mes trajectoires, je ne vais pas suivre les siennes.
Être si proche de vous change-t-il votre façon de naviguer ?
CD : « Si j’avais été seul en tête avec 500 milles d’avance, je ne serais pas resté au près pour monter au mât. Là, j’ai dû durcir ma manière de naviguer, je n’ai pas ralenti le bateau et je me suis un peu écrasé en tête de mât. Ça me pousse à aller plus vite, à trimer plus souvent, à faire des siestes plus courtes, ça ajoute de l’intensité à avoir un bateau si proche. Je ne changerais de place pour rien au monde avec les autres, avec tout le gruppetto : ils donneraient tout pour être à notre place, Yoann et moi. Je suis heureux de pouvoir être en tête de la course, de jouer la victoire finale.
Tous deux côte à côte à cinq milles de l’arrivée, cela vous convient-il comme scénario final ?
CD : « Pas du tout ! Eh bien, si à la fin, c’est moi qui coupe la ligne en premier, je l’accepterai. Même si je gagne d’une longueur, je le prends. Bien sûr, je veux gagner mais s’il y a un petit écart entre nous, ce sera plus cool à vivre. Mon pari est aussi gagné malgré tout. Oui évidemment la deuxième place, je n’en veux pas car je suis là pour la victoire mais ça reste une super place : c’est le Vendée Globe après tout ! Deux fois seconde, il ne faut pas cracher dans la soupe, ce seront deux résultats magnifiques. On ne dit pas tout mais il y a forcément de beaux moments de lutte, où l’on est poussé dans ses retranchements. Et puis, si l’on remonte un peu plus d’un an (NDLR : il a dû renoncer à la Transat Jacques Vabre à cause de problèmes de santé), je suis très heureux d’être là où j’en suis aujourd’hui. Avoir la chance incroyable de pouvoir prétendre à la première place du Vendée Globe. J’ai la chance de vivre un moment sportif assez exceptionnel. J’aime être dans cette situation avec Yoann.
YR : « Ce serait génial pour l’histoire surtout ! Vous pouvez inventer ce que vous voulez, ça me va (rires).
On imagine qu’une deuxième place ne vous conviendrait pas ?
CD : « Je sais que Yoann est venu sur le Vendée Globe pour le gagner. Je suis revenu pour ça aussi. Franchir la ligne en premier (NDLR : il a franchi la ligne en premier il y a quatre ans mais a été reclassé 2e après le temps accordé à Yannick Bestaven pour l’opération de sauvetage de Kevin Escoffier) et être vraiment le premier.
Une arrivée le 14 ou le 15 janvier est-elle possible ?
CD : « Oui, ça pourrait être un truc comme ça, ça ira assez vite ».