à Mayotte, la reconstruction des bidonvilles est une question de survie

à Mayotte, la reconstruction des bidonvilles est une question de survie
à Mayotte, la reconstruction des bidonvilles est une question de survie

A l’aube, dans le bidonville de Kaweni, c’est le bruit des coups de marteau contre les tôles qui réveille le quartier. Depuis plus de deux semaines, la mélodie métallique est répétée inlassablement chaque matin. La reconstruction des maisons est l’une des priorités des familles qui vivent ici, certaines depuis plusieurs décennies. Le passage du cyclone Chido, le 14 décembre, a dévasté l’île et les quartiers les plus précaires ont été les premiers touchés.

Autour des voitures dont les pare-brise ont été brisés, Bosco, Naïs et Kassim s’affairent sous un soleil de plomb. La veille, ces trois mêmes abattaient un grand arbre qui s’était fracassé sur la dizaine de véhicules présents dans le garage. «Je travaille ici depuis 2019, commence Bosco en assemblant deux poutres, vous devez retourner au travail si vous voulez survivre. » En ce 1er janvier, sur les hauteurs, les bangas – ces petites maisons en tôle – repoussent à une vitesse vertigineuse. “J’ai commencé par reconstruire ma maison bien sûr, au moins pour les enfants, puis j’ai attaqué le garage”, dit-il en regardant travailler les ouvriers qui l’accompagnaient.

A Bosco comme ailleurs, rien n’est vraiment terminé pour le moment. « Il n’y a pas de tôles, pas de clous, et la nuit, il n’y a pas d’électricité, donc pas de lumière pour continuer à reconstruire. » A quelques dizaines de mètres de là, un autre commerçant n’a pas encore commencé à reconstruire. Abdou Chakour est menuisier, son atelier a été pulvérisé par le cyclone. Seul le cadre a tenu. Sa maison est presque terminée. « Il a fallu du temps pour trouver les matériaux, notamment le bois et la tôle. » souligne l’artisan. Après trente-neuf ans sur l’île, il repart de zéro. «Je n’avais pas d’assurance pour le matériel…»

« Reconstruire Mayotte en deux ans, ce n’est vraiment pas faisable »

Tout autour, c’est la frénésie des grands chantiers. Devant la mosquée, les femmes du quartier se sont organisées pour cuisiner et distribuer un repas aux personnes qui en ont le plus besoin. Les hommes vont et viennent, du fer sur la tête. Aboudou est malgache, il vit à Kaweni depuis plusieurs années. Sa maison sort de terre, petit à petit, avec les moyens du bord. Ici, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la volonté de l’État d’interdire la reconstruction des bangas. « Sur le fond, je suis d’accord, il faut en finir avec les bidonvilles. Mais nous avons besoin de logements ! Sinon, où irons-nous une fois expulsés ? »

Tout le monde se pose la même question. Naïzma montre le peu qu’elle et son mari ont pu reconstruire sur les terres où ils vivaient avant le cyclone. Une porte en bois, un cadre fin et quelques tôles ondulées. Ici, pas de contreplaqué, comme avant, pour séparer les pièces où dorment les six enfants. « Il est très difficile de trouver de grandes planches en ce moment » confie la mère. A l’intérieur, toujours pas de matelas. Sur le pas de la porte, Moussa et Moussaïdine, ses deux fils, rêvent d’une nouvelle vie. « Un appartement ou une maison à Kaweni serait génial ! “, s’exclame le premier.

Non loin de là, lavant le linge dans une bassine, Oindidi abonde : « Pour l’instant, nous préférons reconstruire, car le logement dure six mois et après on nous met à la porte. Qu’on nous propose un vrai logement, et nous le paierons comme tout le monde », » lâcha-t-elle en roulant les yeux. « Mais reconstruire Mayotte en deux ans n’est vraiment pas réalisable. »

« De quoi veut-on finalement parler, des maisons, ou de leurs habitants ? »

Pour les architectes, le chantier à venir sur l’île est un véritable casse-tête. Si le Premier ministre François Bayrou a annoncé, lors de sa visite le 30 décembre, vouloir « interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles », cependant, il n’a pas proposé d’alternative. Au lendemain du 14 décembre, de nombreux cabinets ont mobilisé leurs professionnels pour réaliser des diagnostics d’urgence. Priorité aux établissements scolaires transformés à la hâte en centres d’hébergement d’urgence, car près de la moitié d’entre eux ont été totalement ou partiellement détruits.

Hedia Jelassi est architecte à la mairie de Mtsamboro, au nord-ouest de la Grande-Terre. Pour le chargé de projet de lutte contre l’habitat indigne et spécialiste des risques majeurs, le passage du cyclone a mis en lumière la complexité du territoire.

« L’exposition aux risques naturels concerne tout le monde à Mayotte. Si l’on pense d’abord aux maisons en tôle, en réalité certaines des maisons permanentes peuvent également être considérées comme des logements insalubres. commence l’architecte. Le cyclone n’a épargné aucune construction. « L’État a annoncé vouloir interdire les habitations en tôle, mais leur reconstruction est déjà presque terminée » continue-t-elle en s’interrogeant : « De quoi veut-on finalement parler, des maisons, ou de leurs habitants ? Cette annonce est claire, elle fait plaisir aux élus, mais personne n’y croit vraiment. »

Volonté politique, souvent couplée à la lutte contre l’immigration irrégulière. En 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin lance l’opération « Wuambushu » sur le 101e département français, suivie de « Wuambushu 2 » un an plus tard.

Les bidonvilles ont ensuite été rasés et certains habitants hébergés temporairement. « Avoir un toit est un droit fondamental, rappelle Hedia Jelassi, mais ici, le nombre de logements disponibles n’augmente pas et les aides diminuent d’année en année. Comment l’État peut-il annoncer vouloir lutter contre les bidonvilles s’il réduit les ressources des communes cherchant à éliminer l’habitat indigne ? A Mayotte par exemple, seuls 113 logements sociaux ont été construits en 2023. »

Le problème des ressources humaines dans la construction

Si la question des matériaux se pose, c’est avant tout celle des ressources humaines qui laisse perplexes les professionnels du secteur. Parce que l’île produit son propre béton, la terre crue fait son grand retour et les expérimentations sur le bambou sont prometteuses. Mais le manque d’ingénieurs qualifiés et de main d’œuvre fait craindre un allongement de délais déjà courts.

« Si les grandes entreprises disposent d’un savoir-faire reconnu, les petites entreprises locales sont parfois en difficulté. Ils manquent souvent de ressources humaines, de trésorerie et parfois de compétences sur certains projets, explique Hédia Jelassi. Cependant, nous souhaitons travailler avec eux, c’est normal si nous voulons développer l’île. Mais je vois mal l’État confier un travail colossal à des petites entreprises qui n’ont pas toujours démontré leur efficacité. »

Malgré les ambitions du plan « Mayotte debout », “Si l’Etat avait voulu agir, il l’aurait fait au lendemain du 14 décembre”, ironise le spécialiste, car Chido a réussi là où Wuambushu a échoué, à savoir la destruction de la majorité des bidonvilles. Au lieu de cela, la vue sur Kaweni Heights est déjà redevenue presque la même qu’avant le cyclone.

—–

Loi d’urgence présentée la semaine prochaine

Une facture d’urgence pour Mayotte, intégrant plusieurs mesures à court terme du plan « Mayotte debout », sera présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres, et non ce vendredi 3 janvier comme prévu initialement, a annoncé Matignon jeudi. Cela ne modifiera pas le calendrier de son examen au Parlement, qui reprend ses travaux le 13 janvier.

UN « loi-programme de refondation », tout autre texte pour les mesures à plus long terme doit être « préparé et conçu avec les élus de Mayotte » et sera « définition dans les trois mois », selon l’entourage du Premier ministre.

Selon un rapportpublié dimanche 29 décembre par la préfecture, Le cyclone Chido, le plus dévastateur à Mayotte depuis quatre-vingt-dix ans, a fait au moins 39 morts et plus de 5 600 blessés.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Chawki Benzehra, l’opposant réfugié en France en lutte contre les « influenceurs » algériens
NEXT Une marche blanche pour sauver Rillette, le sanglier menacé d’euthanasie