« Aujourd’hui en Wallonie, la culture de la pomme de terre s’étend sur près de 40 000 ha et elle représente 30 % de l’utilisation de pesticides pour une culture qui est destinée à près de 90 % à l’exportation sous forme de produit transformé. C’est aussi un impact majeur sur la structure et la santé. des sols et un désert pour la biodiversité. La culture de la pomme de terre en Wallonie dans les conditions actuelles n’est ni durable ni locale. c’est avant tout le choix d’un modèle économique orienté vers l’export et non le résultat d’options techniques ou agronomiques »dénonce ainsi Philippe Baret, docteur en agronomie et professeur à l’UCLouvain sur le réseau social Linkedin.
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De son côté, Natagora déplore l’utilisation généralisée dans l’agriculture conventionnelle de produits nocifs pour la santé, la qualité de l’eau et la nature en général. “Les principaux problèmes liés à la culture de la pomme de terre en Belgique sont l’utilisation massive et préventive de pesticides, avec des impacts évidents sur la santé, la qualité de l’eau et la biodiversité. Mais il y a aussi l’agrandissement des parcelles, qui a aussi un fort impact sur la biodiversité. C’est mieux lorsqu’il existe un réseau écologique et que les parcelles agricoles sont petites, c’est-à-dire idéalement quatre ou cinq hectares maximum. Un autre problème est l’érosion des sols, qui est liée à la taille des parcelles et au fait que les terres sont travaillées de manière intensive, ce qui a pour effet de maltraiter la composition organique des sols.ajoute Gaëtan Seny, responsable du plaidoyer agricole chez Natagora.
« Comme toutes les cultures, la pomme de terre nécessite une phase de désherbage contre les adventices (les « mauvaises herbes », NDLR). Il y a donc un recours aux herbicides, mais pas plus que pour les autres cultures. Concernant l’utilisation des insecticides, elle est également comparable à celle des autres cultures. Mais là où ça prend clairement son essor, c’est en termes de fongicides, commente Christophe Vandenberghe, docteur en agronomie et chercheur à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). La pomme de terre est très sensible à une maladie qui est le mildiou. Si une parcelle est affectée, son rendement peut chuter de 80 %. De plus, les pommes de terre touchées par le mildiou pourrissent rapidement, ce qui les rend quasiment impossibles à conserver. Pour cette raison, les traitements fongicides sont cinq fois plus importants que pour les autres cultures.
Ce scientifique nuance cependant la position de Natagora concernant le rôle des cultures de pomme de terre en termes d’érosion, soulignant que des techniques sont mises en œuvre dans les champs pour contrôler ces risques d’érosion ainsi que celui des coulées de boue.
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Pensées actuelles
Consciente de ces manquements et de ces limites, la filière pomme de terre fait un examen de conscience. C’était justement le sujet d’une journée de réflexion organisée en novembre dernier par le Centre wallon de recherche agronomique (CRA-W). “De nombreuses usines de transformation appartenant à l’industrie se développent sur le territoire belge, mais nous nous trouvons dans un modèle très intensif et nous ne pourrons pas changer cette réalité du jour au lendemain. Notre préoccupation en tant que centre de recherche est donc de tirer la sonnette d’alarme auprès des acteurs économiques : si nous voulons continuer à produire de la pomme de terre à l’avenir, il faudra définir des pratiques moins exigeantes en termes de produits phytosanitaires et qui contribuent à maintenir la fertilité des sols. Il s’agit notamment de développer de nouvelles variétés plus résistantes aux maladies et répondant également aux critères de qualité fixés par la filière. Mais il faudra aussi répondre à d’autres défis comme la conservation des pommes de terre et la hausse des coûts de l’énergie.explique Jean-Pierre Goffart, directeur général adjoint du CRA-W.
« Dans les quinze à vingt prochaines années, les pratiques vont profondément évoluer. Il faut absolument sortir de notre système trop dépendant des produits chimiques. C’est une course contre la montre et les défis sont nombreux. Si nous voulons une agriculture durable dans nos territoires, nous devons y penser tous ensemble. »souligne M. Goffart.
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Il y aura toujours des frites
Les producteurs de pommes de terre choisissent déjà de se passer de pesticides. C’est le cas de Bernard Broeckart, agriculteur à Dour. « Mon exploitation est en agriculture biologique depuis 1975. Nous n’utilisons donc pas de pesticides, mais nous travaillons sur des variétés moins sensibles et sur la rotation des cultures. Malheureusement, quand la météo est mauvaise comme en 2021 et 2024, on n’y arrive pas à 100% et il y a des pertes de rendement, mais je suis convaincu de la nécessité de produire moins et mieux. année. C’est une question de respect de la nature et de la vie. Et ne laissez personne me dire que la Belgique mourra de faim si nous arrêtons d’utiliser des pesticides. il y aura toujours des frites dans nos baraques à frites. Cela implique simplement un changement d’habitude. croit l’agriculteur.
Cependant, certains experts, comme Christophe Vandenberghe, estiment que se passer totalement de pesticides n’est pas une option réaliste. “Sans produits phytosanitaires, les fluctuations de production liées aux aléas climatiques seraient bien plus importantes. Dans une économie de marché où les prix sont fixés par l’offre et la demande, il est d’usage de faire le constat suivant : lorsque le déséquilibre entre l’offre et la demande est de l’ordre d’un pour cent, le prix varie d’environ 10 %. Que se passerait-il si le déséquilibre était de l’ordre de 20, 50 % ? Tant pour le producteur que pour le consommateur, de telles variations ne seraient guère confortables.»