Fatigués, plus taxés pour certains et confrontés à des trajets difficiles, les frontaliers tirent sur la corde. Et cela pourrait finir par se briser. Certains commencent à quitter le pays. En France, ils sont de plus en plus nombreux à céder à une « fatigue » devenue trop grande.
Coût des déplacements, longs trajets, salaires insuffisants pour compenser la perte de temps dans sa vie privée… Cela vaut-il encore la peine de traverser la frontière ? C’est l’une des questions qui doivent le plus inquiéter l’Etat luxembourgeois.
Face aux incertitudes qui s’accumulent et aux désagréments de la vie quotidienne, de plus en plus de travailleurs frontaliers témoignent d’un “fatigue” très important. C’est le constat que fait Julien Dauer, directeur de Frontaliers Grand Est.
L’association, qui vient de fêter ses 30 ans, aide gratuitement les frontaliers qui ont des questions sur le Luxembourg, la Belgique, l’Allemagne et la Suisse. Elle est bien placée pour constater que les frontaliers tirent la langue.
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«Pour le public proche de la frontière, le Luxembourg est incontournable. Mais plus on s’éloigne de Thionville vers le sud, plus on se fatigue.» analyse Julien Durée. “Il y a une vraie fatigue, un sentiment de lassitude, ce “toujours nous” face aux coups durs qui s’accumulent.”La hausse des impôts attendue en 2025 pour de nombreux frontaliers français, et la polémique sur leurs allocations chômage, ont usé un peu plus leur volonté.
Avec la fatigue vient une vraie question sur l’intérêt du travail transfrontalier. Surtout dans les métiers non qualifiés. Même si ces derniers ne seront plus imposables en 2025. « Pour les cadres supérieurs et les autres professions qualifiées, il y aura toujours un intérêt. Mais pour d’autres, en comptant le coût du déplacement, le temps de travail, la différence de salaire, beaucoup disent “Est-ce que ça vaut le coup?”. Aujourd’hui, les restaurateurs de la zone frontalière française peuvent faire revenir d’anciens salariés luxembourgeois en leur offrant un meilleur équilibre entre leur vie privée et personnelle.»
Cet équilibre a été remis en question par l’épidémie de coronavirus. Quatre ans plus tard, de plus en plus de travailleurs franchissent le pas. « On dit que le Covid a changé les priorités, et aujourd’hui, ces questions se concrétisent. Nous passons des paroles aux actes“ remarque Julien Dauer.
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Oui, l’attractivité du Luxembourg est en danger
À cela s’ajoutent des inquiétudes sur les retraites et des incertitudes sur le chômage côté français. «Ce qui sera en jeu, c’est l’attractivité du Luxembourg» prédit le directeur des Borderiers Grand Est.
Un tournant se profile pour les premiers travailleurs frontaliers, dont la carrière touche à sa fin. « Les anciens disent qu’ils n’ont « pas le choix » de terminer leur carrière au Luxembourg, mais ils disent aussi « je ne referais pas les mêmes choix de carrière ». Et chez les jeunes, il n’y a plus de tabou sur l’emploi au Luxembourg, qui est également envisagé à court terme.» et non plus comme une opportunité à ne pas manquer. Pour cette génération qui ne mise pas tout sur le salaire, le travail en France n’est plus répulsif.
Pour le Luxembourg, l’heure est à l’inquiétude. Car les problèmes des frontaliers français s’appliquent aussi aux Belges et aux Allemands… dont le nombre stagne déjà.
S’il n’attire plus suffisamment de frontaliers, le Luxembourg aura des difficultés. Son marché du travail est gourmand et les habitants du pays ne suffisent pas à eux seuls à le soutenir.
Pour Julien Dauer, le Luxembourg et ses voisins ont tout intérêt à coopérer davantage. « Il ne s’agit pas de réagir au coup par coup, mais d’avoir une vraie vision sur l’avenir du travail transfrontalier. »
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