Trop indigeste, le lapin du gouvernement

Trop indigeste, le lapin du gouvernement
Trop indigeste, le lapin du gouvernement

Le désenchantement gronde dans les rangs des professionnels de santé marocains. Ceux qui avaient osé croire un instant aux promesses du gouvernement en sont réduits aujourd’hui à ravaler leur espoir et à aiguiser leur colère.

En juillet dernier, l’accord signé entre le ministre de la Santé et les syndicats représentatifs était présenté comme une lueur d’espoir. Mais comme nous le soulignions à l’époque dans ces chroniques, cet engagement, qui apparaissait comme une promesse salvatrice, n’était probablement qu’un exercice de communication politique bien rodé. Nous l’avons dit ici : derrière les sourires et les poignées de main, le gouvernement n’offrait aucune garantie tangible. Et voilà, quelques mois plus tard, nos craintes se confirment et la suite des événements semble malheureusement nous donner raison.

Alors que l’année se termine dans une ambiance lourde d’amertume, les professionnels de santé du secteur public, lassés des promesses non tenues, s’apprêtent à intensifier leur contestation. Leur constat est glaçant : la concrétisation de leurs revendications semble dépendre d’un caprice gouvernemental, dépourvu de tout cadre structuré de dialogue social. Les engagements pris en grande pompe sont gelés, sans explication, et la correspondance adressée au ministre de la Santé reste lettre morte. Le mépris est total, le silence assourdissant.

Face à cette situation, les syndicats n’entendent plus baisser la garde. Une coordination regroupant six organisations syndicales, représentant l’écrasante majorité des professionnels du secteur, a annoncé un plan de lutte conséquent dès début 2025, comprenant des grèves, des manifestations locales et régionales, ainsi que de nouvelles actions. Dans un communiqué, dont Libération a copie, la coordination syndicale dénonce les « atermoiements incompréhensibles » du ministre de la Santé et appelle à des actions de lutte sans précédent pour obtenir satisfaction. Dans leur communiqué, ces professionnels, qui incarnent la colonne vertébrale du système de santé, soulignent qu’ils ne demandent pas la charité. Ils demandent simplement au gouvernement de respecter les accords qu’il a lui-même signés.

En effet, depuis cet accord signé le 23 juillet 2024, chaque étape du processus de dialogue est marquée par des flous inquiétants et des retards inexplicables. Ce fameux accord, fruit de longues séances de négociations, semblait ouvrir la voie à des avancées significatives, mais l’euphorie a vite fait place à la frustration. Le chef du gouvernement, censé être garant de la mise en œuvre des engagements pris, s’est muré dans le silence, abandonnant ces promesses à un sort comparable à celui de ses prédécesseurs. Les professionnels de santé sont retournés dans la rue, entre grèves et manifestations. Ce cycle infernal – dialogues, accords, dénégations – ne semble pas près de se terminer.

Il semble que le gouvernement ait oublié que les professionnels de la santé sont bien plus que des fonctionnaires. Ils sont les gardiens d’un système à bout de souffle, les derniers remparts contre une catastrophe sanitaire qui couve depuis des années. Comment espérer réformer un système de santé moribond quand ceux qui sont censés mener ces réformes sont méprisés, maltraités, abandonnés ? Ce mépris ressenti par les professionnels de santé dépasse les seules questions matérielles ou salariales. C’est aussi une atteinte profonde à leur dignité. « Comment peut-on espérer que des professionnels épuisés et désillusionnés soient les acteurs d’une réforme tant vantée ? » demande la coordination, avant d’appeler le ministre de la Santé « à sortir de son silence et à honorer les engagements de son propre gouvernement ».

Il faut dire que cette situation dépasse largement le secteur de la santé. Elle incarne une méthode de gouvernance qui sape les fondements mêmes de la confiance entre les citoyens et leurs institutions. En refusant de dialoguer sincèrement, en ignorant la correspondance officielle, en reportant sine die la mise en œuvre des engagements pris, le gouvernement joue avec le feu et chaque jour qui passe sans réponse aggrave la fracture.

Il est vrai que le Maroc aspire à réformer son système de santé, à le moderniser, à en faire un modèle pour la région. Mais ces ambitions, aussi louables soient-elles, resteront des chimères tant que les professionnels du secteur seront traités avec autant de désinvolture.

Les syndicats l’ont clairement indiqué : dans de telles conditions, il sera impossible pour les professionnels d’investir activement dans les réformes. Et comment pourrait-il en être autrement ? Lorsque ceux qui sont censés apporter le changement se heurtent à un mur de mépris, lorsque leurs revendications légitimes sont ignorées, lorsque leurs efforts pour maintenir la paix sociale sont systématiquement sabotés, quel espoir y a-t-il ?

La coordination syndicale appelle désormais à une mobilisation massive. Et il serait naïf de penser que cette colère restera confinée au secteur de la santé. Car le problème dépasse largement les seules questions de santé publique. Il en va de la crédibilité des institutions, de la légitimité du dialogue social et de la capacité du gouvernement à tenir ses promesses.

Le Maroc mérite mieux. Elle mérite un système de santé digne de ce nom, où les professionnels sont respectés, écoutés, valorisés. Elle mérite un gouvernement qui honore ses engagements, qui place les intérêts de la nation au-dessus des calculs politiques.

Aux professionnels de santé qui luttent pour leur dignité, nous disons : tenez bon. Votre combat est juste et votre colère est légitime. Et à ce gouvernement, nous lançons cet avertissement : le mépris n’est pas une politique. Il est temps d’agir, et d’agir vite.

Mehdi Ouassat

 
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