A Courchevel, la neige est arrivée début décembre. Les nouveaux visiteurs en ont pour leur argent. Tout en haut de la station de ski, à 1850 mètres, le spectacle est magique : des pistes immaculées, des sapins chargés de poudreuse que le vent secoue en petits nuages blancs, sur fond de ciel bleu presque aveuglant. Au tout dernier « étage » de la station née à la fin des années 40, où la densité de palaces est l’une des plus élevées au monde (Les Neiges, Les Airelles, Cheval Blanc, Aman, One & Only sont tous là, et on attend bientôt, parmi d’autres grands acteurs du secteur, un Four Seasons), la saison commence… pour commencer. Si les hôtels ont commencé à ouvrir, et si les téléphériques fonctionnent toute la journée, on croise encore des camions de fleuristes mettant la dernière touche aux dernières décorations de Noël, des ouvriers finissant de réparer une gouttière, ou des bardeaux de bois. un balcon. Dans ce paradis d’altitude, fréquenté par une clientèle fortunée qui n’hésite pas à louer des chalets de plusieurs milliers de mètres carrés, tout doit être parfait. Derrière la vitrine de la boutique Chanel, quelques employés peaufinent la présentation des collections spéciales. Dior et Louis Vuitton ont ouvert leurs portes, mais les joailliers Chopard et Graff attendent la semaine prochaine.
A Courchevel, l’événement de l’année
A l’Hôtel des Neiges, propriété du groupe Barrière (qui comprend le Normandy, à Deauville, le Fouquet’s, à Paris, et le Majestic, à Cannes), l’ambiance s’est – enfin – apaisée. Jusqu’à la veille, on entendait encore le bruit des perceuses et des visseuses, tous occupés à peaufiner le projet le plus attendu à Courchevel cette année : l’arrivée du Loulou, le restaurant parisien du Musée des Arts Décoratifs, également disponible. en versions estivales à Saint Tropez et Roquebrune-Cap-Martin, où l’on retrouve sous le soleil méditerranéen quelques émissaires des familles Pastor et Grimaldi, entre autres heureux du monde attablés autour d’un poisson grillé. A Courchevel, ils ne seront pas dépaysés : l’équipe, en salle comme en cuisine, est majoritairement composée de saisonniers qui ont intégré les codes de cette marque Loulou cool et unique, mélange de casual chic, d’esprit de fête et d’insouciance désormais haut de gamme.
Au carrefour des Alpes et des Grandes Rocheuses
Petit-fils d’un restaurateur aveyronnais, responsable, avec sa sœur Claire, de Loulou, Gilles Malafosse soigne ici les moindres détails. Une marque sur une fenêtre, une serviette oubliée sous un banc : rien n’échappe à l’oeil de faucon de cet entrepreneur élégant, et surtout vigilant, même lorsque les coussins destinés à décorer la terrasse restent bloqués par la douane. Pour le reste, en ces jours de soft-opening, tout confine à la perfection : dans le lobby, le feu crépite dans une cheminée évoquant les jardins de la Renaissance italienne. Le mobilier et les textiles évoquent à la fois l’ambiance chaleureuse d’un chalet et la mythologie des Grandes Rocheuses américaines, dans une équation décorative confiée à l’architecte Corinne Sachot. « Nous avons voulu faire ressortir un esprit un peu nostalgique, dans un esprit qui allie les souvenirs d’enfance à la joie de vivre, qu’il s’agisse des pommes de pin posées sur les tables ou des tenues du personnel, en flanelle, en laine, à la fois traditionnelles et décontractées, » explique Claire Malafosse. A l’étage, les bouteilles rares (cognacs, armagnac, whisky français produit par la maison Benjamin Kuentz, et son homologue SirDavis dessiné par Beyoncé) font miroiter leurs liqueurs ambrées : comme par magie, elles ont remplacé les viennoiseries du petit-déjeuner sur cette table en bois située juste derrière. l’entrée.
C’est ici que l’on retrouve Gilles Malafosse, autour d’un bol de bouillon chaud offert à chaque convive (pour le reste, la bouteille d’huile d’olive, la focaccia et le demi citron habillé de mousseline blanche, trois signatures Loulou, sont également là sur le nappes impeccables). Mais qu’est venu faire cet homme très occupé, avec ses dizaines d’employés, à près de 2000 mètres d’altitude ? « L’idée est venue d’une rencontre avec le nouveau président de Barrière, avec qui nous avons récemment collaboré. Dans leur portfolio, il y avait deux destinations qui nous intéressaient : Saint-Barth et Courchevel. Finalement, c’est la vue qui nous a décidé, et la possibilité de créer quelque chose de rustique, d’authentique, deux valeurs très Loulou. Regardez : cela ne ressemblerait-il pas à la maison du Père Noël ? » s’amuse l’entrepreneur en scrutant la position des couverts, le drapé des vêtements du personnel, ou encore la consistance du pain – blanc, ou aux graines – qui réagit différemment à la cuisson à ces altitudes.
Carpaccio de daurade et rösti de pommes de terre
Pour cette « clientèle qui comprend » à la fois l’assiette et le décor, le restaurateur-conteur a imaginé avec le chef Benoît Dargère une carte gourmande et joyeusement schizophrène, capable de satisfaire aussi les appétits des amateurs de shopping élégant. sur les trottoirs chauffés (carpaccio de daurade, tranches de thon rouge mariné) à la pute) que celles des sportifs avertis revenant des pistes. Après tout, comme le souligne Claire Malafosse, « l’assiette, pour les restaurateurs comme nous, reste le nœud du problème ». Rösti de pommes de terre, poulet aux morilles, épaule de cochon de lait côtoient les raclettes et fondues de la carte savoyarde, servies dans un espace séparé – odeurs obligent – dans des cuivres rutilants de la maison Mauviel. Une salle à manger privée peut accueillir une quinzaine de convives autour d’une table en bois massif, où l’on peut manger ce que l’on veut. Mais ce jour-là, Tout d’abord, c’est la salade de chou frisé qui cartonne aux quelques tables où l’on parle anglais, russe, et bientôt portugais : le Brésil, avec les Emirats, fait partie de ces nouvelles clientèles tombées sous le charme de la station savoyarde.
Quitte à y payer le prix : le poulet coûte 120 euros à la carte, mais, pour Gilles Malafosse, les prix sont justifiés. Parce que Courchevel 1850, malgré son aspect de village à la Heidi, est une création récente, il n’y a pas de véritable centre-ville ni d’adresses historiques. Les étoiles Michelin sont légion : les Grandes Alpes, le Chabichou, le Sarkara, la Baumanière et bien sûr le 1947 confié à Yannick Alleno arborent tous fièrement leurs macarons Michelin. « Ce n’est pas l’ambition de Loulou : l’idée ici est celui d’une cuisine sincère et authentiquequi reste « Loulou » mais puise aussi dans la culture alpine, qu’elle soit française ou italienne », explique Gilles Malafosse. Et si le caviar Imperial Oscietra de Petrossian figure à la carte, on ne joue pas ici avec la coquetterie des grosses toques, comme les feuilles de shizo infusées au poivre de kampot.
Sur l’importance des moniteurs de ski
Il faut dire que l’écosystème de Courchevel est d’un genre un peu particulier. « Nous sommes plus des collègues que des concurrents », assure Gilles Malafosse, qui n’hésite pas à glaner des renseignements auprès des établissements voisins, à commencer par Le Chalet de Pierres, un restaurant de pistes grand comme une brasserie bavaroise et ouvert uniquement le midi. C’est ici, par exemple, qu’on apprend que la vodka n’est jamais servie aux clients russophones (on apporte la bouteille : ils se servent) ; que les Émiratis aiment que tout arrive, très vite (nous y reviendrons) ; que les tables de quinze personnes sont courantes, gardes du corps (parfois) inclus. Et que les vrais rois de la station sont… les moniteurs de ski, qui murmurent à l’oreille de leurs clients les bonnes adresses où mettre les pieds sous la table.