« Voulons-nous toujours vivre ensemble ? », demande avec sérieux le philosophe Pierre-Henri Tavoillot dans son dernier livre. La pandémie de covid nous a éloignés les uns des autres, confirmant un mouvement de fond dans les sociétés occidentales : « La vie commune ne va plus de soi », résume-t-il.
Amazonisation de notre quotidien, dissolution des solidarités traditionnelles (même si la cellule familiale résiste), repli identitaire, explosion d’incivilités… Entre nous, les liens se fragilisent. Lorsqu’il sort de chez lui, l’individu du 21e siècle met des écouteurs sur ses oreilles. Tout un symbole !
Pourtant, en cette période de Noël, un rituel pourrait échapper à cette dislocation : la table. N’aimons-nous pas nous retrouver autour d’un bon repas ? À y regarder de plus près, le séparatisme se cache là aussi : chacun brandit ses préférences alimentaires comme un étendard. La composition du menu est une question de haute diplomatie.
Difficile de tenir une table entière jusqu’au dessert ! Certains préfèrent la formule buffet et s’évadent après l’entrée. D’autres picorent leur smartphone. Allons-nous nous isoler comme les Américains ? Certes, ils n’ont pas la réputation d’être un grand peuple de gourmets, mais 30 % d’entre eux dînent seuls tous les soirs de la semaine, selon le World Happiness Report 2025. Cette proportion a doublé entre 2000 et 2023. La même tendance s’observe dans Europe. Cette « épidémie de solitude et de méfiance » a des conséquences politiques, analysées par l’économiste Yann Algan lors de la Cité de la Réussite, à la Sorbonne : elle alimente le populisme. Le convive solitaire se révélerait être un électeur plus sensible aux émotions, notamment à la colère.
S’il veut redonner confiance, François Bayrou, le thurifère d’Henri IV, pourrait remettre au goût du jour la Poule au pot, et relancer la tradition des grands banquets républicains. La France est dans une situation désespérée mais qui oserait censurer la fête ?
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