Un an après les attentats du Hamas du 7 octobre 2023, une enquête Ipsos pour le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) fait le point sur les perceptions françaises de l’antisémitisme et sur la situation des juifs français. Le bilan est un coup de tonnerre dans un ciel calme, même si des alertes angoissantes ont existé ces dernières années, avec notamment les meurtres d’Ilan Halimi en 2006, des enfants de l’école Ozar-Hatorah de Toulouse en 2012 ainsi que l’attentat de l’Hyper Cacher à Porte de Vincennes en 2015.
Ce sondage révèle que 64% des Français estiment que les Juifs ont des raisons d’avoir peur de vivre en France. 12% de la population estime que le départ de certains juifs de France pour vivre à l’étranger est une bonne chose pour la France ; avec une population française d’un peu plus de 68 millions d’habitants en 2024, cela signifie que plus de 8 millions de citoyens partagent cette opinion.
Huit millions de citoyens hostiles
Ces résultats soulèvent plusieurs questions. Apparemment, une grande majorité de Français non juifs ont des craintes pour ce dernier. Cela signifie-t-il que les Juifs sont également majoritaires à le penser ? Cela pourrait-il également se traduire par un large sentiment d’empathie parmi les non-juifs à l’égard de cette communauté et par l’assurance d’un soutien en cas de problèmes ? Cela démontre aussi qu’on ne peut soupçonner les Juifs français de paranoïa.
La seconde est de constater qu’il faut questionner ces 8 millions de citoyens hostiles. S’agit-il d’une résurgence d’un antijudaïsme de droite ou d’extrême droite résiduel depuis de nombreuses années, voire de dissidents chrétiens de Rome ? Mais on ne peut oublier, avec émotion, qu’après l’œuvre de Jules Isaac L’enseignement du mépris (Fasquelle, 1962), Vatican II, dans la personne de Jean XXIII, est venu affirmer l’abandon de l’accusation de « des gens déicides ». Est-ce l’influence de thèses islamistes radicales dont les écrits retrouvés dans les dossiers du procès évoquent sans équivoque la volonté de « tuer les croisés, les juifs et les apostats sans oublier les homosexuels » affirmant que nous ne devons avoir aucun respect pour le sang versé par les victimes de tous sexes et de tous âges ? Est-ce la convergence de ces différentes sources ?
Ce qui est sûr, c’est que les conséquences sont terribles et pleines de souffrances pour la communauté juive, qui représente moins de 1 % de la population et est victime de 57 % de toutes les attaques antireligieuses, comme l’a souligné Bruno Retailleau. , Ministre de l’Intérieur.
Les nouveaux marranes
Désormais l’expression yiddish des Juifs ashkénazes venus d’Europe centrale, affirmant « Heureux comme Dieu en France », est obsolète. Les résultats de cette triste situation sont qu’un très grand nombre de juifs, croyants ou non, pratiquants ou non, ont retrouvé des réflexes d’invisibilité, de discrétion et se comportent parfois sans le savoir comme les « Marranes ». Rappelons que les juifs ou descendants de juifs d’Espagne ou du Portugal, convertis au christianisme à partir du XVe siècle mais qui continuaient à pratiquer leur religion en secret.
Les juifs français, dans leur grande majorité, sinon unanimement, se sont intégrés à la société française avec son histoire, sa culture, ses traditions, participant souvent avec bonheur et fierté au rayonnement de la France dans des domaines très nombreux et immenses. intellectuel, professionnel, artistique, commercial et industriel.
Or, depuis le 7 octobre 2023, le port public de la kippa a été abandonné, la mezuza, petit rouleau de parchemin contenant deux passages bibliques emboîtés dans un réceptacle, a été retirée des portes d’entrée des maisons,
le nombre de dossiers de demande de départ vers Israël (aliyah) a augmenté de 430% (5 700 personnes ont ouvert un dossier auprès de l’Agence Juive)…
C’est une réalité terrible et douloureuse, surtout dans un contexte malgré tout ancien mis en lumière par le sociologue Georges Bensoussan, qui rapportait en 2019 qu’en dix ans, 80 % des juifs de Seine-Saint-Denis avaient quitté ce département, réalisant ce que on parle d’« alyah interne » au profit notamment du 17e arrondissement de Paris et de villes comme Levallois-Perret.
Confiance raisonnable
Le 7 octobre 2023 a marqué la renaissance d’un pogrom, décrit hier par nos parents et grands-parents qui ne sont heureusement plus là pour revivre de tels cauchemars. Mais surtout, les conséquences des explosions antijuives ont fini par déstabiliser dans des souffrances infinies le fragile équilibre des esprits tant des Ashkénazes que des Sépharades. Quand on voit l’État d’Israël venir en aide aux Israéliens menacés à Amsterdam et organiser leur évacuation, on commence à frémir car cette situation est prémonitoire pour de nombreux Juifs d’Europe.
Nous ne comprenons pas cette haine que, loin de baisser la tête, nous sommes déterminés à combattre avec la douleur pour certains de voir l’extrême gauche la maintenir et une partie de la gauche classique se montrer discrète ou prudente, trahir électoralement ses principes humanistes. Les hommes et les femmes sont le résultat de leurs actions car les paroles sans action n’ont aucun sens. Que les anti-juifs soient convaincus d’une réalité simple : le temps des « pyjamas rayés et des numéros d’enregistrement » est révolu.
Les réactions de nombreux politiques, de nombreux chrétiens et musulmans courageux nous invitent à une confiance raisonnable. Nous savons ce que nous devons à la France puisque nous affirmons que nous avons beaucoup donné à notre pays. Il faut absolument que le combat et le courage contredisent le sentiment exprimé par Edgar Quinet : « Le véritable exil, ce n’est pas être arraché à son pays ; c’est vivre là-bas et ne plus trouver rien qui lui ait fait aimer. »
Que l’immense majorité de nos compatriotes nous donnent les raisons d’un amour encore plus fort pour que cesse cet horrible sentiment de solitude !