UNAppelons-le Jean-Michel. Cet habitant d’un immeuble bordelais Gambetta, senior très actif et abonné Orange, a récemment troqué l’ADSL pour la fibre. Mais le 4 novembre, il constate qu’il n’a plus de réseau. « Je descends, je vois un gars dans la rue en train de bricoler dans le placard devant mon immeuble. Je l’appelle, il balbutie que ça va revenir. » Mais ça ne revient jamais. Orange lui envoie un technicien. « Il ne pouvait rien faire à part remarquer que ma ligne était complètement coupée. » Le SAV le recontacte : « Une autre opération est nécessaire… »
On passe au reste. En six semaines, Jean-Michel a vu passer neuf techniciens, dont beaucoup de sous-traitants. Tous lui « imposent des rendez-vous » et l’assignent à résidence pendant des heures. Tout le monde, une fois arrivé, découvre le problème et le laisse sans solution. Comédie de répétition. D’ailleurs, il préfère en rire. A ce jour, Jean Michel ne dispose toujours pas de fibre (lire ci-dessous), mais Orange lui a fourni une Airbox (connexion 4G).
Appelons-le Damien. Cet habitant du Cours Saint-Louis a souscrit un abonnement fibre chez Free. Premier problème, malgré son « éligibilité », la connexion a mis des mois. La connexion s’est produite, il a appris quelques mois plus tard qu’il était menacé. “Nous avons reçu une demande d’écrasement de votre ligne fibre”, lui écrit Free. « Au téléphone, le service client m’a indiqué que cette suppression est due à Orange qui allait faire un grand ménage du bâtiment. » Il attend la coupure.
Stoc, la loi du marché
Jean-Michel et Damien ne sont pas des cas isolés du déploiement du réseau fibre, qui remplacerait l’ADSL d’ici 2030 en France. Qui n’a pas été victime ou témoin de coupures ou de malfaçons ? Pourquoi persistent-ils dans une métropole réputée pour être à la pointe, du moins côté couverture médiatique ?
« On n’est pas au zéro défaut, mais globalement le taux de casse diminue »
“Il y a des problèmes mais le réseau est globalement meilleur aujourd’hui que jamais”, explique Eric Boz, directeur des relations d’Orange avec les collectivités territoriales de Gironde. Il rappelle qu’Orange OI (en tant qu’opérateur d’infrastructure) est « propriétaire et gestionnaire de 98 % de l’infrastructure fibre de la métropole ». Le réseau passe par des points de mutualisation (PM), qui prennent souvent la forme de cabinets de rue et relient « environ 350 logements ». Il transite ensuite par les points de raccordement (PB), des boîtiers installés à proximité ou dans les immeubles, qui connectent en moyenne quatre abonnés. Mais on sait que le problème se pose avec la multiplication des acteurs. Car ici, la loi est celle du marché et du mode Stoc (sous-traitance à l’opérateur commercial), qui délègue le raccordement des derniers compteurs aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) : Free, Bouygues, SFR, Orange, etc. en utilisant sous-traitants, techniciens plus ou moins qualifiés, le tout dans une belle frénésie concurrentielle.
“Plats de spaghettis”
Mais cette époque est sur le point de se terminer. « Aujourd’hui, nous exigeons des comptes des opérateurs qui touchent à nos infrastructures », explique Eric Boz. Tout est tracé, chaque technicien doit faire un rapport d’intervention, avec une photo avant et après. Il y a des contrôles, des sanctions. » Côté maintenance, « on fait des audits » pour repérer les connexions anarchiques, comme les « plats de spaghettis ». « Nous ne sommes pas au zéro défaut, mais globalement le taux de casse diminue » – le terme désigne aussi le « vol » de lignes de fibre.
Alors que pouvons-nous dire des deux problèmes évoqués ? «Nous avons retracé l’histoire de Jean-Michel», raconte Pierre Tarin, responsable de la communication d’Orange. Sa ligne avait été écrasée par un autre opérateur, en l’occurrence SFR. Nous l’avons rétabli et SFR l’a planté une seconde fois, ce qui a compliqué les choses. Nous sommes en train de trouver un autre point de connexion. »
Ce qui permet de revenir sur le cas de Damien. « Nous trouvons étrange cette lettre de Free. Nous mettons en place des règles à Bordeaux pour que personne ne dépasse les lignes et surtout pas Orange OI. Pour les grosses opérations de maintenance, nous prévenons les clients », assure Eric Boz. Suggère-t-il que les opérateurs ont la fâcheuse habitude de se renvoyer la balle en cas de problème ?
Une histoire de Noël
La veille de l’entretien réalisé vendredi 21 décembre, « Sud Ouest » avait donné, avec son accord, l’identité de Jean-Michel aux dirigeants d’Orange. Sans surprise, il a depuis été contacté. « Une charmante dame m’a dit qu’on allait m’envoyer un expert au plus vite », s’amuse Jean Michel, ce lundi 23 décembre. Apparemment, un dossier serait fait rien que pour moi. » Cette fois, il a lui-même fixé sa disponibilité auprès d’Orange, qui lui a de son côté accordé plusieurs réductions, en guise de cadeau de Noël.