Valérie Plante craint pour sa sécurité et celle de sa famille depuis son arrivée à l’hôtel de ville de Montréal en 2017. Trente-cinq ans après la tuerie de Polytechnique, le maire estime que les discours misogynes doivent être considérés comme un crime, pour freiner la vague d’intimidation et violence contre les femmes, y compris les élues.
Dans une interview accordée à Devoir, la maire a défendu le bilan de ses deux mandats à la tête de la métropole. Elle compte profiter de sa dernière année au pouvoir pour poursuivre la transformation de la plus grande ville du Québec : verdir, calmer la circulation et réparer les canalisations souterraines négligées depuis des décennies. Le logement social et la lutte contre le sans-abrisme figurent également en tête de ses priorités.
Nous l’avons rencontrée dans le salon de l’hôtel de ville attenant au balcon où le général de Gaulle prononça son célèbre discours du 24 juillet 1967. Le maire disait qu’elle était en pleine forme, à 50 ans. Cette ancienne championne de natation s’entraîne toujours à la piscine trois fois par semaine. Mais elle se sent « plus légère » depuis l’annonce de son départ de la politique municipale, intervenue dans un an.
Après deux mandats à la tête de la métropole, « je n’avais plus le même niveau d’énergie, de patience, de détermination et de résilience », explique-t-elle.
Le ton dur et les menaces sur les réseaux sociaux ont-ils influencé sa décision de partir ? «Bonne question», a déclaré Valérie Plante. Elle reconnaît que la polarisation remet au premier plan « la question de la sécurité autour des personnalités publiques ». Pour une rare fois, elle évoque le renforcement occasionnel des mesures de sécurité autour d’elle.
« Parfois, je vois qu’il y a plus de personnel [policiers]. A ce moment-là, dans ta tête, tu te dis : ils ont reçu des mails, ils ont reçu des messages”, confie-t-elle sur un ton feutré.
Lors de la cérémonie commémorative du massacre de Polytechnique le 6 décembre, le maire a réfléchi sur le lien entre ces 14 étudiants « tués de sang-froid » et les discours de haine contre les élus. Elle se souvient de toutes les fois où elle est montée sur scène, parfois avec son mari et ses deux fils.
« Je pense : et si… ? » dit-elle, sans finir sa phrase. « J’ai peur, j’ai un moment de trac », avoue-t-elle en évoquant Polytechnique et l’attentat déjoué contre Pauline Marois dans la soirée du 4 septembre 2012.
Ces « attaques misogynes » doivent cesser, insiste Valérie Plante. Elle estime que les discours haineux contre les femmes doivent être criminalisés. « Je veux que nous, en tant que société, envoyions le message que la misogynie est non, tout comme le racisme. Cela contribuerait à donner aux femmes confiance et assurance pour se lancer en politique, pourquoi pas en tant que mairesse de Montréal », a-t-elle déclaré.
Un héritage vert
Les tensions sociales prennent de la place, mais pas toute la place, loin de là, dans le métier de maire, insiste Valérie Plante. Elle se réjouit de la relève qui se dessine au sein de Projet Montréal.
Six membres du parti au pouvoir, dont quatre femmes, ont annoncé leur intention de lui succéder. Luc Rabouin, maire du Plateau-Mont-Royal et président du comité exécutif, s’est lancé dans la course, tout comme les maires d’arrondissement Maja Vodanovic (Lachine), Gracia Kasoki Katahwa (Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce) et Laurence. Lavigne Lalonde (Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension), ainsi que la conseillère Ericka Alneus et Guedwig Bernier, ancienne présidente de Projet Montréal.
La maire affirme laisser une « maison en ordre » à ses aspirants successeurs, entre autres en matière de finances communales. Elle estime que son héritage sera d’avoir « marqué le territoire » en doublant les espaces verts et en rééquilibrant le partage de la voie publique – les piétons, les cyclistes et les bus ont plus d’espace, même si les voitures continuent d’occuper la grande majorité de la chaussée.
Circulation calme
Le règne de Valérie Plante a confirmé que les pistes cyclables sont l’un des sujets les plus controversés de la politique municipale. Les gens l’aiment ou le détestent. Elle assume son titre de « maire des pistes cyclables » tout en rappelant toutefois que les bandes cyclables représentent moins de 1 % des 10 000 kilomètres de rues et trottoirs de Montréal.
« Il n’y a pas de pistes cyclables partout ! » proteste-t-elle en émettant son rire caractéristique. Valérie Plante soutient que la majorité des chantiers qui gênent la circulation dans la ville n’ont rien à voir avec les pistes cyclables, mais sont plutôt dus à la réfection de conduites d’eau souterraines ou d’égouts, négligées depuis des années. décennies.
Le maire affirme une autre vérité : les embouteillages sont dus à l’explosion du nombre de voitures dans la ville, et non aux pistes cyclables, qui allègent la circulation en supprimant les « tanks » de la route.
Valérie Plante assume à la fois la piétonnisation de certaines rues, l’installation de saillies de trottoirs aux intersections, pour sécuriser les passages piétons, ainsi que le verdissement, qui améliore la qualité de vie des citadins : « J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme le maire qui a pris des décisions pour les Montréalais qui habitent la ville, qui la vivent. »
Le logement d’abord
L’engagement d’être le « maire de la mobilité » a été mis à mal, mais Valérie Plante se réjouit d’avoir débloqué, avec le gouvernement Legault, le prolongement de la ligne bleue du métro, promis depuis 30 ans. Une entente avec Québec a également permis l’embauche de 200 policiers.
Le maire a également avancé l’aménagement de futurs quartiers exemplaires, qui seront parsemés de parcs, de places publiques et de commerces de proximité : rue Louvain Est à Ahuntsic, sur le site de l’ancienne brasserie Molson, ainsi que dans les secteurs Pont-Bonaventure et le ancien hippodrome des Blue Bonnets. Des proportions importantes de logements sociaux et communautaires sont promises dans tous ces développements futurs.
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle ferait d’ici novembre 2025 si elle avait une baguette magique, elle répond sans hésiter : « Ce serait d’éloigner immédiatement les gens qui vivent sous des tentes. » Leur offrir un toit dans des logements sociaux où des travailleurs accompagnent les résidents.
Pour ce faire, Ottawa et Québec doivent saisir une fois pour toutes l’urgence de la crise du logement et de l’itinérance – que la Ville est obligée de gérer sans disposer des outils financiers nécessaires, rappelle Valérie Plante. «Il y a une déconnexion du gouvernement québécois face à l’ampleur de la crise de vulnérabilité», a-t-elle déclaré.
Transports publics
La timidité du gouvernement Legault à investir dans le transport collectif inspire la même réflexion chez le maire. «C’est considéré comme une dépense et non comme un investissement. Mais lorsque nous construisons des routes, personne ne demande : « Payez-vous pour une route ? Non, nous faisons des routes ! »
« Les Montréalais ont faim de transports en commun. Quand on le met, ça marche ! Il faut maintenant se diriger vers l’est de Montréal. Cela n’a pas de sens qu’il faille une heure et demie aux gens de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles pour venir travailler au centre-ville. Je comprends qu’ils prennent leur tank. Je ferais la même chose à leur place. »