Vous souvenez-vous de votre arrivée ?
Je me souviens de tout, même si ce n’était pas la route avec les sirènes. J’ai eu l’impression d’un paysage lunaire. Tout était en fait de la même couleur, gris cendré. Nous sentions la chaleur à travers nos chaussures. C’est un métier où on ne voit pas le bon côté de la nature humaine, j’ai eu d’autres cas avec des corps d’enfants par exemple, mais ce genre de situation, c’est une scène de guerre. […] Nous sommes d’abord arrivés à la caserne des pompiers transformée en centre de crise, mais elle se limitait à un commissaire et un téléphone, puisque les hommes étaient au sol. La priorité a été donnée aux secours. Nous nous sommes rendus sur les lieux de l’explosion une fois le tuyau coupé. Comme j’étais de service pendant la période des vacances, j’avais sous ma responsabilité tous les magistrats. J’étais la seule personne autorisée à prendre des décisions. C’était assez impressionnant.
Quel était votre rôle ?
Coordonner l’action judiciaire, c’est-à-dire constater les faits et décider des premières mesures. Quelles responsabilités demander à la police ? Quels experts nommer ? Très vite, l’affaire a été mise en examen. Quand le juge d’instruction prend le contrôle, je suis là pour observer. Ma présence était également nécessaire puisqu’il y avait des médecins légistes. J’ai dû assister à quinze autopsies le même jour.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Arrivée sur place évidemment. Nous ne sommes jamais préparés aux autopsies. J’ai dû explorer des domaines législatifs qui ne relèvent normalement pas de mes compétences, comme le bien-être au travail ou les lois sur le gaz. Je me suis formé, mais on m’a laissé beaucoup de latitude pour aborder le sujet. Ce qui a été compliqué aussi, ce sont les audiences avec des victimes encore meurtries au premier rang. Il y avait des accusés qui avaient commis des erreurs et leur accumulation a conduit à la tragédie. Les pompiers avaient posé les casques de leurs collègues décédés sur les chaises, c’était dur.
Saviez-vous comment rester impartial ?
Oui, mon travail c’est d’être neutre, d’avoir des éléments à soutenir et contre lesquels se défendre. Je voulais vraiment que nous puissions en tirer la vérité juridique. Stéphane Delfosse, rescapé, avait également sorti un livre avant l’audience, mais je n’avais pas envie de le lire avant pour ne pas me laisser influencer.