Face au constat alarmant dressé par la Cour des comptes sur la gestion des ressources en eau au Maroc, la question de l’eau s’avère plus cruciale que jamais. Entre sécheresses récurrentes, surexploitation des ressources souterraines et retards dans la mise en œuvre des projets stratégiques, la situation appelle une mobilisation urgente et coordonnée. Dans ce contexte, Fouad Amraoui, enseignant-chercheur en hydrologie à l’Université Hassan II, évoque avec nous les enjeux et les solutions possibles pour relever les défis liés au stress hydrique. Entre innovations technologiques, réformes structurelles et gestion intégrée, son expertise offre des pistes pour garantir la sécurité hydrique du Royaume.
Le rapport de la Cour des comptes souligne que près de 50 % des superficies irriguées au Maroc bénéficient désormais de systèmes d’irrigation localisés. Cependant, la demande en eau reste élevée et la surexploitation des eaux souterraines persiste. Quelles mesures concrètes, selon vous, pourraient être mises en œuvre pour stabiliser cette demande tout en préservant les ressources en eau souterraine ?
Selon le rapport de la Cour des Comptes, après presque deux décennies d’efforts de l’État, nous avons réussi à reconvertir environ 50% des superficies irriguées au Maroc au goutte-à-goutte, et ce grâce à des subventions de l’État. Lorsque nous possédons plus de cinq hectares, l’État peut rembourser jusqu’à 80 % du coût d’installation de l’irrigation goutte à goutte, et lorsque nous avons moins de cinq hectares, c’est 100 %. Alors pourquoi n’est-il pas allé plus loin ? Cela s’explique d’abord par le fait qu’il n’y a aucune obligation de mettre en place ces systèmes d’irrigation localisés.
Deuxièmement, les procédures peuvent parfois être restrictives. Donc si l’on veut aller vers une plus grande mise en œuvre de cette irrigation localisée, il faut simplifier les procédures et rendre obligatoire la mise en œuvre de cette irrigation. Car lorsque l’on possède une grande propriété agricole, on est obligé d’installer une irrigation goutte à goutte si l’on veut satisfaire tous les besoins de la parcelle.
Par contre, si on a un petit terrain de moins de cinq hectares, finalement, on ne voit pas l’obligation de l’aménager et donc on gaspille beaucoup d’eau. Ce sont donc souvent des propriétés disposant de petites parcelles qui consomment de très grandes quantités d’eau. D’où l’intérêt de simplifier les démarches et de rendre le goutte-à-goutte obligatoire pour tous.
La réutilisation des eaux usées traitées reste marginale en agriculture, notamment en raison de l’absence de cadre juridique et de normes de qualité adaptées. Selon vous, quels seraient les principaux leviers pour encourager et réguler efficacement l’utilisation des eaux usées dans l’agriculture au Maroc ?
L’assainissement au Maroc n’a qu’une vingtaine d’années, ce qui veut dire qu’avant 2004, nous avions très peu de stations d’épuration. Depuis 2004, il existe le plan national d’assainissement liquide, et ce plan a permis de disposer aujourd’hui d’environ 175 stations d’épuration des eaux usées. Cela signifie qu’aujourd’hui, dans pratiquement toutes les villes marocaines, nous disposons de stations de traitement. Il y a également eu une généralisation du réseau de collecte des eaux usées. Ainsi, grâce à ces stations de traitement, nous disposons désormais d’une eau traitée qui peut être réutilisée. Les réutilisations se faisaient jusque là au niveau industriel, c’était aussi au niveau de l’arrosage des espaces verts, mais au niveau agricole, très, très peu d’expérimentations ont été faites.
D’abord, comme l’indique le rapport de la Cour des comptes, parce qu’au niveau législatif, nous n’avons pas de normes très claires, très précises. Nous avons également mis la barre un peu haute. Et il y a aussi un autre problème, c’est que souvent les eaux usées qui arrivent dans la zone de traitement sont des eaux usées mélangées entre des eaux domestiques et des eaux industrielles. Et quand on a ce mélange, même si on traite l’eau, il y a quand même un risque sanitaire.
Ainsi, si l’on veut réutiliser complètement les eaux usées, il faut essayer de séparer le secteur industriel du secteur domestique et ensuite encourager de nombreuses cultures comme l’arboriculture et les cultures également destinées à l’alimentation du bétail. On pourrait les irriguer à partir de ces eaux et surtout éviter d’irriguer pour les fruits que l’on consomme crus. C’est donc davantage l’arboriculture et les cultures pour l’élevage.
Certains projets de barrages et de dessalement connaissent des retards importants en raison de résiliations de contrats ou de contraintes financières. Quels mécanismes, selon vous, pourraient être mis en place pour accélérer leur réalisation et éviter de tels retards à l’avenir ?
La construction de barrages, mais aussi l’installation d’usines de dessalement d’eau de mer, pourraient prendre plus de - que ce qui est prévu dans les études en raison des contraintes foncières. Par exemple, au niveau de l’appropriation des terres, des histoires d’héritage, il y a aussi des sociétés défaillantes qu’il faut parfois changer. Tout cela fait donc que nous avons souvent des retards dans la réalisation des travaux.
Pour le dessalement, l’État a opté pour des marchés publics privés et donc pour trouver l’entreprise qui réalisera le projet, le financera, etc. Négociations pour fixer un prix au mètre cube produit, contrats également sur l’approvisionnement en électricité à partir d’énergies renouvelables, tout cela cela peut prendre beaucoup de -, et c’est ce qui fait que certains projets peuvent prendre plus de - que prévu.
Donc si l’on veut raccourcir ces durées, il faudrait que l’État prenne ses engagements, car quand on met en place des marchés publics privés, chaque partenaire a des obligations. L’État doit également s’orienter vers des partenaires fiables, disposant de l’expertise technique et du savoir-faire requis. Bien entendu, les projets doivent également être préparés à l’avance.
Face à l’accentuation des effets du changement climatique et des sécheresses récurrentes, pensez-vous que les mesures actuelles, comme l’interconnexion des bassins hydrauliques et le dessalement, sont suffisantes ? Quelles pistes supplémentaires la recherche scientifique pourrait-elle proposer pour renforcer la résilience du Maroc face au stress hydrique ?
Aujourd’hui, le Plan National d’Approvisionnement en Eau Potable et d’Irrigation 2020-2027 contient un ensemble de mesures capables de répondre à la demande future à l’horizon 2030 et même un peu au-delà. De nombreux programmes sont lancés, il y en a qui sont réalisés, à travers la construction d’encore plus de barrages, l’amélioration des réseaux de distribution d’eau et d’irrigation, l’utilisation du dessalement de l’eau de mer, l’interconnexion entre bassins hydrauliques, puisque dans certains bassins nous avons un excédent, et donc nous pouvons amener l’eau de ces bassins vers des bassins où nous avons un déficit.
La réutilisation des eaux usées aussi, puisque les eaux usées traitées peuvent devenir une ressource pour un certain nombre d’usages. Ce sont donc toutes des solutions qui ont été mises en place, qui doivent bien sûr être suivies et évaluées.
De plus, la recherche scientifique est très importante. Nous avons des chercheurs dans toutes les universités marocaines. Certains d’entre eux sont à la pointe de la technologie et des connaissances. Nous devrions donc consacrer beaucoup plus de ressources à la recherche scientifique pour qu’elle puisse fonctionner. Le problème de l’eau persistera même après 2030 ou 2040, ce qui nécessite le développement d’une recherche scientifique capable d’apporter des solutions, garantissant un service adapté à nos besoins actuels, tout en proposant des options économiquement viables pour répondre à la demande. générations futures.
Faïza Rhoul / Inspirations ECO