Le Matin : « Nechfate » se présente comme une plateforme qui rassemble et partage les principales informations sur le changement climatique au Maroc. Comment est né ce concept et qui sont ses initiateurs ?
Mehdi Mikou : Ce projet est né de la volonté de jeunes Marocains de sensibiliser le public aux enjeux liés au changement climatique et aux crises environnementales auxquelles le Maroc est confronté. Initialement composé de quelques personnes, le projet s’est progressivement élargi pour inclure aujourd’hui plus d’une dizaine de personnes aux profils variés (ingénieur-agronome, doctorant en sciences du climat, économiste, science politique, juriste…) permettant de couvrir un large spectre de problématiques. sujets. Grâce à ces différentes compétences, nous sommes en mesure de rédiger des articles de vulgarisation au sein de nos trois thématiques principales que sont le changement climatique, l’agriculture et l’eau, ainsi que la gouvernance et la société.
Vous venez également de créer une association. Quels sont les enjeux derrière la création de cette ONG et quelles sont ses principales missions ?
En effet, il y a quelques mois, nous avons décidé collectivement de formaliser notre initiative en créant une association. Ce nouveau statut nous offre une meilleure organisation et nous permet de bénéficier de subventions. Ce qui est essentiel pour élargir notre impact à l’échelle nationale. Notre objectif principal est de diversifier les formats de contenu que nous produisons actuellement, principalement des articles et des vidéos. Nous souhaitons inclure des entretiens avec des experts, ainsi que des reportages de terrain, en rencontrant des acteurs locaux dans différentes régions du Maroc. Ces initiatives visent à enrichir notre travail de vulgarisation, tout en donnant la parole à ceux qui vivent et agissent au quotidien sur les enjeux environnementaux.
Pensez-vous que les citoyens marocains sont dûment informés des impacts réels du changement climatique sur leur vie quotidienne ?
Le contexte semi-aride à aride du Maroc rend la société marocaine particulièrement sensible au changement climatique. L’attention portée aux ressources naturelles, notamment à l’eau, est ainsi ancrée dans l’histoire du pays, comme en témoignent les systèmes traditionnels de gestion durable de l’eau dans les zones rurales arides (Khettaras dans les oasis) ou encore dans les villes. (système hydraulique traditionnel de Fès ou de Tétouan). Ibn Khaldoun lui-même parle longuement des racines écologiques des populations maghrébines et de la façon dont la rareté des ressources conditionne nos sociétés. Or, cette sensibilité historique et culturelle est en déclin, déclin rendu plus dangereux par le changement climatique structurel qui touche notre pays. Les citoyens marocains ne font pas toujours le lien entre les événements climatiques extrêmes récents – comme les six années consécutives de sécheresse ou les inondations dans le Sud-Est – et le changement climatique. Une récente enquête de la Fondation Lloyd’s Register révèle par ailleurs que 41% des Marocains interrogés ne savent pas si le changement climatique constitue une menace pour leur vie. Cela met en évidence un besoin urgent d’éducation et de sensibilisation pour mieux comprendre les impacts réels du réchauffement climatique sur leur vie quotidienne.
Quelles sont les sources d’information de la plateforme « Nechfate » ?
La plateforme « Nechfate » puise ses informations auprès de plusieurs sources complémentaires. Tout d’abord, elle s’appuie sur l’expertise de ses membres, issus de domaines variés tels que l’agronomie, l’économie, le droit, le journalisme ou la climatologie. Cela permet d’aborder les questions écologiques sous différents angles. Ensuite, la production de contenus s’appuie principalement sur l’analyse de la littérature scientifique et académique (rapports du GIEC par exemple), garantissant ainsi une base solide et rigoureuse. Enfin, dans les mois à venir, « Nechfate » entend élargir ses perspectives en menant des entretiens avec des experts nationaux pour explorer des thématiques qui ne sont pas encore pleinement explorées au sein de l’association. Cette démarche vise à enrichir davantage la qualité et la diversité des contenus proposés.
Quel impact recherchez-vous à travers la vulgarisation de l’information sur le changement climatique ?
Aujourd’hui, les enjeux écologiques et climatiques sont souvent traités à travers un prisme techno-solutionniste, mettant l’accent sur les innovations techniques, comme les usines de dessalement, les barrages hydrauliques, ou encore les outils numériques, ainsi que sur les mesures réglementaires visant avant tout à limiter la consommation d’eau des ménages. Chez « Nechfate », nous adoptons une approche multidisciplinaire pour offrir une perspective différente sur ces questions, en analysant également les causes structurelles et les impacts sociaux de ces questions. Notre objectif est de sensibiliser davantage, en espérant encourager la société civile et les partis politiques à s’approprier ces questions pour promouvoir des solutions durables et inclusives.
Pensez-vous que le Maroc apporte des réponses appropriées aux impacts du changement climatique ?
Le Maroc est particulièrement vulnérable au changement climatique, notamment à travers des épisodes de sécheresse et un stress hydrique accru. Si certaines solutions techniques, comme les usines de dessalement, ont été mises en œuvre, elles restent insuffisantes, car elles masquent les causes structurelles de la crise écologique. Pour prendre un exemple qui parle désormais à l’ensemble de la population marocaine, la crise de l’eau que connaît le pays n’est pas seulement une crise d’approvisionnement liée à une succession de sécheresses, c’est aussi et surtout une crise de demande liée à une explosion du niveau de l’eau. besoins du secteur agricole dont les politiques de développement ont surinvesti dans l’irrigation des cultures gourmandes en eau. Dès lors, les démarches d’adaptation climatique qui investissent principalement dans des solutions techniques, notamment pour maximiser l’offre, éludent le cœur du problème : nos modes d’exploitation des ressources et notre rapport au territoire. La note technique de la Banque mondiale « Pénurie d’eau et sécheresses au Maroc » datant de 2023 a d’ailleurs souligné ces insuffisances marocaines dans la gestion de la crise de l’eau. Plus généralement, la transition écologique ne se résume pas à des solutions techniques ou à des investissements massifs, elle nécessite une révision profonde des politiques publiques, notamment dans les secteurs agricole et énergétique, une réflexion sur la gouvernance et la gestion des ressources et une valorisation des initiatives et des savoirs locaux et traditionnels. construire un horizon résilient et désirable pour la population marocaine.